AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 004 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Fantan Fanga, d'Adama Drabo et de Ladji Diakité
Quand la démocratie se nourrit de crimes rituels
critique
rédigé par Moussa Bolly
publié le 22/03/2009
Moussa Bolly
Moussa Bolly
Adama Drabo
Adama Drabo
Adama Drabo et Ladji Diakité
Adama Drabo et Ladji Diakité
Adama Drabo
Adama Drabo

C'est dans une salle "Burkina" de Ouagadougou pleine à craquer que Fanta Fanga, unique long métrage malien en compétition au 21 Fespaco, a été projeté le lundi 2 mars 2009. Cette œuvre, la seconde d'une trilogie axée sur le pouvoir, ne convainc pas autant que Ta dona ou Taafé Fanga, mais elle suscite beaucoup de commentaires en sa faveur.

"Le pauvre a tort", a-t-on l'habitude d'entendre ici et là. Une sentence qui traduit l'impuissance du pauvre face à l'oppression, à l'injustice, à l'humiliation et à la spoliation de ses biens et droits. Pourtant, Fantan Fanga (Pouvoir des pauvres) d'Adama Drabo et Ladji Diakité nous démontre tout le contraire.

Seul long métrage malien en compétition à la 21e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco, du 28 février au 7 mars 2009), la trame de cette œuvre porte sur une véritable et antique tragédie de la société malienne ainsi qu'une tare de l'ère démocratique : les crimes rituels. Ils se multiplient à la veille des élections. En effet, c'est la période à laquelle les disparitions d'enfants albinos sont les plus nombreuses. C'est aussi le moment où sourds-muets, non-voyants et autres nains sont les plus en danger.

Malheureusement, Lassy (Ousmane Wélé Diallo) n'échappera aux chasseurs d'albinos. Le film commence avec la troupe des "Sans Voix", un groupe que l'un des protagonistes a mis en place en souvenir de sa mère, une handicapée. Ce dernier se rend chez un journaliste pour lui faire des propositions d'affichage sur la campagne électorale qui pointe à l'horizon.
Au retour de cette visite, son ami albinos est agressé et tué. On lui prélève la tête. Toute l'histoire part de là. C'est ainsi que le promoteur de la troupe et une policière stagiaire ouvrent une enquête. Une étrange enquête, qui leur permet de voir toutes les facettes cachées de la société moderne malienne.

Ce second volet est inspiré du vécu quotidien. "Ce scénario a été motivé par les sacrifices rituels d'une fillette vers Kangaba et d'un petit garçon sur I'île de la Cité du Niger à Bamako", a déclaré Adama Drabo. Pour lui, le Mali, en tant que pays démocratique ne doit pas composer avec des tares comme le sacrifice humain.

En cette période de mégalomanie et d'injustice, que reste-t-il aux pauvres pour obtenir justice ? Les pauvres ont-ils un pouvoir ? Oui, répondent Adama et Ladji. Et le pouvoir du pauvre réside dans sa croyance aux traditions. Un thème cher à Adama Drabo. D'ailleurs, le film est un conte. Comme autour de grand-mère ou grand-père au coin du feu, le scénario prend la forme d'un conte narré par Tanti (Madina Ndiaye), la non voyante virtuose de la kora.
Tout un symbole. Comme ce poste téléviseur (modernisme) qu'on éteint pour mieux se concentrer sur le conte, pan important de l'éduction traditionnelle, que les jeunes auditeurs promettent de transmettre aux futures générations. Le décor est bien planté dans l'Afrique de la tradition orale !

Des symboles pour une cause

Quand la morale est ébranlée, les vertus foulées au pied et les valeurs bafouées ; quand la mégalomanie transforme l'homme en crocodile pour ses semblables afin de mieux assouvir ses ambitions sordides, quand des flics pourris et leurs acolytes veulent étouffer la vérité sur leurs crimes, que reste-t-il aux pauvres victimes ? Le courage ! La témérité d'un jeune artiste (Souleymane Diakité dans le rôle de Fafa), d'une journaliste (Kadidia Kansaye, Louise dans le film) et d'une jeune policière (Doussou, Djénébou Koné) autant déterminée à se faire respecter de la hiérarchie que de donner une meilleure image à sa profession.
Décidément, nos deux réalisateurs aiment les symboles. Les journalistes et les artistes sont réputés pour être des avocats des "Sans voix", le nom de la troupe théâtrale de Fafa, l'ami de l'albinos décapité pour maintenir la suprématie du parti au pouvoir. C'est donc au prix du courage et de la persévérance d'un artiste, du journal "La Patrie" et d'une jeune policière que justice est rendue à Lassy.

Le sera-t-il à tous les "Sans Voix". Rien n'est moins sûr, surtout dans un pays comme le Mali où les dénonciations de la presse et des artistes tombent dans des oreilles sourdes et ne sont suivies d'aucun effet. Dans Fanta Fanga, il a fallu la fermeté du président (Assane Kouyaté), qui a décidé de respecter la constitution en quittant le pouvoir au bout de son mandat (un autre débat d'actualité au Mali où on se demande quelles sont les ambitions réelles du président Amadou Toumani Touré, trois ans avant la fin de son second et dernier mandat), pour que l'enquête sur l'assassinat du jeune Lassy soit relancée, les coupables arrêtés et punis. Nos décideurs ont-ils ce courage ? Si tel était le cas, la justice malienne serait assainie et les forces de sécurité débarrassées de leur gangrène après dix huit ans de démocratie.

Même si à la fin de Taafé Fanga (Pouvoir du pagne) les femmes reviennent à de meilleurs sentiments et cède la "culotte" de chef de famille à leurs époux, elles ont toujours les premiers rôles dans les œuvres d'Adama Drabo à l'image de Doussou, Louise… Et, visiblement, ce n'est pas par hasard si la troupe des "Sans Voix" est majoritairement constituée de femmes. En effet, elles sont les premières victimes directes et collatérales de ces crimes rituels.
Le pouvoir du pauvre, comme nous le démontrent Ladji Diakité et Adama Drabo, est réel : C'est son énergie vitale ! C'est aussi le Gnama (malédiction) qui résulte de son oppression, de l'injustice et des humiliations dont il est victime.

Une malédiction qui, au finish, n'épargne aucun criminel. Fantan Fanga sera-t-il autant puissant pour offrir au Mali son 4e Etalon du Yennenga au Fespaco. Ce qui est sûr, la concurrence sera rude, même si l'œuvre est déjà bien accueillie par les festivaliers !

Moussa Bolly

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés