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Al Ghaba (Les Démons du Caire), d'Ahmed Atef (Égypte)
Les absences-balafres
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 01/04/2009
Bassirou Niang
Bassirou Niang
Ahmed Atef, cinéaste
Ahmed Atef, cinéaste
Ahmed Atef
Ahmed Atef

La vie dans Al Ghaba se décline par la violence verbale et/ou physique. Elle est embrumée, nourries de couleurs grises, aussi amères que l'atmosphère des dépotoirs de la ville du Caire. Les personnages y traînent des malheurs, des pleurs, des cœurs lassés de peine…Ce sont des vies balafrées, comme enchâssées dans des destins injustes qui naissent et s'oublient rageusement dans la violence.

C'est l'impression qui reste chez le spectateur qui finit de voir le film de l'Egyptien Ahmed Atef, Al Ghaba (Les démons du Caire), un long métrage d'une durée de 90 minutes réalisé en 2008, en compétition au Fespaco. Ce drame qui vient à la suite d'Omar, How to let girls love you, pourrait s'apparenter au personnage de Birchima - la petite amie de Turbini - un jeune homme violent éloigné des sentiments d'humanité, et prêt à tout pour mener sa vie de marginal.

Balafrée à la suite d'une bagarre par Gigi - une femme enceinte créchant dans une carcasse de voiture oubliée dans une décharge et qui encense sa vie en s'armant du courage de ses désirs - elle perd petit à petit ses jours et ses nuits dans le regard culpabilisateur de l'autre ainsi que de l'insolence du chagrin. Comme par obsession, la caméra fixe les ruines, les immondices, compagnons bien originaux de jeunes garçons et de femmes que la vie a refusés. Elle oppose les grandes bâtisses marquées de leur insolence à ce milieu pourri habité par une bande d'oubliés. On croirait en la convocation d'une comparaison voulue par le réalisateur pour amplifier à souhait la réalité malheureuse de chacun de ses personnages.

Certains des personnages retiennent l'attention du spectateur. Ramadan, un jeune rejeton d'à peu près 14 ans recommence le parcours de sa vie avec des compagnons d'âge et de condition ; mais il sait que pour survivre, la seule logique reste à adopter la violence. Il se bat avec sa bande d'insupportables pour repousser les limites que lui impose le quotidien avec son cortège d'incertitudes et de mal. Voler, mentir, ou tuer. Peu importe ! Les démons du Caire offre des tableaux de vie toutes aussi entaillées les unes que les autres.

La musique, la mélodie prenante des chansons ouvrent des boulevards d'émotion, surtout lorsque Birchima la balafrée, se retrouvera le front cogné à l'impossible chance de se voir restituée à sa propre personnalité. La balafre l'éloigne de la confiance en elle-même, du désir de continuer à vivre ; elle en pense que la vie lui a volé sa raison d'être… Et pourtant, le mal lui est venu d'une partie de plaisir avec Turbini, le petit ami de Gigi, lequel d'ailleurs croise le fer avec Hamoussa, un dealer établi dans les taudis repoussants du Caire.

La balafre n'a pas non plus épargnée les vies féminines à l'image de celles des sœurs de Ramadan que leur papa violait. Un papa assimilé à un "chien qui ne vaut rien" - une image intériorisée par son propre fils, moulu aux sources de la violence de rue pour la survie. Lequel finalement noie son géniteur dans une marre de sang, dans…son ignoble péché. L'amour paternel n'a même pas l'ombre d'un mirage dans ce film ; il fait partie des absences ressenties fortement par les personnages meurtris.

Les poubelles de la ville que les gamins visitent avec désespérance pour tromper leur faim, semblent enceintes de tous les manques qui fondent les absences-balafres. La seule récompense du spectateur, c'est peut-être la mémoire vivante de la belle chanson, fut-elle tristement teintée de souvenirs capables de réveiller des douleurs.

Bassirou NIANG (Sénégal)

Article paru dans le Bulletin Africiné n°10 (Ouagadougou), du jeudi 05 mars 2009, durant le Fespaco 2009.
Bulletin publié par la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC, Dakar), avec le soutien du ministère burkinabè de la Culture, du Tourisme et de la Communication, du Fespaco, de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF, Paris), du Ministère français des Affaires Etrangères, du Centro Orientamento Educativo (COE, Milan) et du Rurart (Poitou Charentes, France)

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