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Lieux saints, de Jean-Marie Teno
Les difficultés structurelles du cinéma africain
critique
rédigé par Ludovic O. Kibora
publié le 17/04/2009
Ludovic Kibora
Ludovic Kibora
Jean-Marie Teno
Jean-Marie Teno
Jules César
Jules César
Jean-Marie Teno et Jules César
Jean-Marie Teno et Jules César

Habitué du FESPACO qu'il visite depuis 25 ans, le réalisateur Jean-Marie Teno a été séduit lors de l'édition 2007 par le quotidien de gens de peu dans un quartier populaire et central de Ouagadougou, Saint Léon. Le film ne s'intéresse pas à l'histoire de ce quartier dont le nom vient de l'un de ses premiers occupants qui se serait converti au christianisme. Il s'attache au cadre de vie des populations et aux activités que mènent un groupe de résidents pour s'en sortir. La caméra baladeuse de Teno pénètre les ruelles de St Léon avec un naturel déconcertant.

Les sorties de messe de la cathédrale, les musulmans en prière à la grande mosquée centrale de Ouagadougou plantent le décor de ce film qui ne parle pas de religion mais de situation géographique d'une catégorie de citadin. Ceux que de nombreux festivaliers ne verront jamais pendant leur FESPACO parce que confiné entre hôtels et salles de projections.
Lieux saints n'est pas non plus une critique contre ces étrangers qui viennent et qui s'en vont sans tenter un rapprochement avec le population du pays d'accueil. Il s'agit beaucoup plus d'un film sur le cinéma africain. Le vidéo-club de Bouba sera au cœur du récit du réalisateur commentateur.

Dans ce qu'il appelle abusivement "ciné Club" Kôrô ("le grand frère", en mandingue) Bouba fait œuvre utile en permettant aux films d'ici et d'ailleurs d'être accessibles au public du quartier à moindre coût (50 francs CFA la séance). En achetant ou louant des VCD de films piratés, il fait une programmation digne des grandes salles de cinéma qui se ferment progressivement. Sa philosophie sur la question du public est simple : il faut rendre le film tout simplement accessible au plus grand nombre. Ce qui n'est pas le cas actuellement des salles traditionnelles cinéma en Afrique.
Il est suivi dans cette vision par le réalisateur burkinabè Idrissa Ouédraogo qui reconnaît que le cinéma africain doit faire sa mue et descendre au niveau des bas quartiers où il a un public potentiel qui n'a cependant pas les moyens de voir les films dans les salles.

Pour qui produit-on les films ? Si c'est pour le public, il faut les mettre à la disposition de ce public en tenant compte de son pouvoir économique. La production de VCD et autre DVD de qualité à prix abordable pourrait être une alternative. La preuve est faite que les Africains sont friands de leurs films qu'ils n'arrivent pourtant pas à voir.
Au Burkina Faso, une nouvelle race de réalisateurs l'a bien compris en faisant (grâce au numérique) des films proches des populations. Malgré les insuffisances techniques que recèlent ces films à petits budgets, ils font salles combles dès qu'ils sont programmés. Le cinéma populaire est comme un miroir : chacun y va pour se voir ou voir son environnement humain et physique autrement. Cela doit être à l'esprit des réalisateurs. Le documentaire de Teno pose une question fondamentale au cinéma africain qui mérite une réflexion de tous les acteurs du 7ème art africain, de la réalisation à la distribution en passant par la production.

Cependant le film de Teno ne s'arrête pas à ce seul niveau du public, il force la comparaison entre le cinéma africain et le griot dans les sociétés africaines. Pour cela, à défaut d'un griot véritable (c'est plus souvent une affaire de caste), il braque sa caméra sur le bien nommé Jules César, lui aussi résident de St Léon et fabriquant de djembé, cet instrument qui transmet sons et messages. "Le cinéma c'est comme le griot des temps moderne" affirme tout sourire le jeune Jules César Bamouni qui démontre le lien étroit entre l'instrument de sa passion et l'activité de Bouba qu'il soutient en ameutant le public.

En partant des histoires de vie simples des gens du quartier, qui discutent de la vie socio-politique de leur pays autour du thé, on comprend très vite que le réalisateur a trouvé un bon prétexte pour poser les problèmes de fond du cinéma africain. Celui du public d'abord, ensuite en filigrane les questions du financement et du message. On n'est donc pas surpris de voir la caméra quitter les quartiers Saints pour faire des gros plans deux kilomètres plus au nord sur la façade du ciné Neerwaya ou sur celle du ciné populaire de Wemtenga à environ 5 kilomètres de là. On appréciera alors le clin d'œil hommage fait à Henri Duparc le réalisateur ivoirien qui a, sa vie durant, fait de bons films populaires et de qualité.

Avec cette énième réalisation, Jean-Marie Teno prouve qu'il a une certaine maîtrise du film documentaire. Les images très éloquentes, accompagnées par une musique très posée du rappeur burkinabè Smockey, montrent le quotidien d'une cité où la misère n'est pas trop distante géographiquement parlant de l'opulence. Ce film fera certainement salle comble dans le "ciné club" de Kôrô Bouba, mais il serait bon qu'il soit vu par des professionnels du milieu afin de susciter des réactions et des changements d'attitudes.

Ludovic O Kibora

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