La réalisatrice martiniquaise Camille Mauduech et son producteur Ludovic Naar sont à Bordeaux pour l'avant-première de leur film Les 16 de Basse-Pointe dont la sortie est prévue demain mercredi 22 avril 2009.
Ils viennent de Pau, où Les 16 de Basse-Pointe ont eu droit avant-hier, lundi 20 avril, à une projection débat au cinéma Le Méliès (la Béninoise Vicentia AHOLOUKPÉ en est la programmatrice et directrice intérimaire). Le Méliès, classé Art & Essai et recherche, est installé dans un ancien lieu de culte d'un "quartier anglais".
À Bordeaux le mardi 20, la cinéaste et le producteur se retrouvent dans les murs d'une ancienne église : Saint-Siméon, où le cinéma Utopia dispose de 5 salles.
La salle Toussaint-Louverture - du nom du héros de l'indépendance de la République d'Haïti - crée l'émotion chez Camille Mauduech qui mène les débats avec Karfa Diallo, Président de DiversCités. À leurs côtés Jacques "Jacquot" Letsbats, vétéran du Parti Communiste Français (PCF), ainsi que Michel Dubertrand, responsable national du PCF et Secrétaire Départemental de la section de Gironde. Devant la salle de près de 200 places remplie à craquer, Camille Mauduech glisse au micro : "Vous êtes nombreux, c'est impressionnant et encourageant".
Discours de la méthode
Après presque 4 ans de recherches, la réalisatrice livre un film qui est selon ses mots autant une quête qu'une enquête. D'abord, elle a passé un appel à témoins à Bordeaux dans le quotidien Sud Ouest, sans grande illusion. La surprise sera au rendez-vous puisqu'elle est contactée par Jacques Letsbats, membre du comité de soutien des 16 coupeurs de canne présumés coupables du meurtre de leur employeur en 1948. Le choix de cette bouteille à la mer à Bordeaux se comprend : tout le procès s'est fait dans la capitale girondine. Avant de laisser les spectateurs découvrir le film, Camille Mauduech conclue : "Les 16 étaient héros à Bordeaux et ils ne l'ont jamais été dans leur pays". Le "pays" c'est la Martinique, où des Noirs d'Afrique ont été déportés, mis en esclavage.
Le Békécide martiniquais du 06 septembre 1948
Après l'abolition en 1848, des ouvriers sous contrat sont importés d'Inde. Cent ans après, les Noirs sont toujours au bas de l'échelle. Les Indiens occupent une position intermédiaire : ils sont les Commandeurs sur les champs de canne ; l'industrie sucrière est toujours dominante et aux mains des Békés, descendants des négriers.
Croyant son frère Gaston en danger de mort, son frère Guy de Fabrique rapplique armé avec 3 gendarmes. Les frères de Fabrique sont des "petits Blancs", des patrons sous les ordres de propriétaires dits "grands Blancs". Les petits Blancs sont les réceptacles des frustrations qu'ils nourrissent au quotidien dans la vie des Noirs et Indiens. L'expédition de Guy de Fabrique dégénère et il y perd la vie. Son corps déchiqueté est retrouvé lacéré de 36 coups de couteau. Ce n'est pas un crime ordinaire : c'est un "békécide", estime l'écrivain Camille Moutoussamy, neveu de Paterne Moutoussamy qui fut tête de file des 16 de Basse Pointe.
"Mon avocat m'a fait enlever une séquence"
Jusqu'au bout, le documentaire maintient le suspens sur le coupable explorant toutes les pistes, interrogeant toutes les rumeurs. Le Parti communiste français est un personnage à part entière, à travers la mobilisation des ouvriers agricoles martiniquais, celle des dockers du Havre qui bloquent le bateau qui transporte les 16 de Basse Pointe, puis celle des militants de Bordeaux, sans oublier les journalistes maison (L'Humanité, Les Nouvelles de Bordeaux, Justice).
C'est à la fête de l'Humanité à Bordeaux que la cinéaste pénètre le monde des vétérans du PCF qui la guident dans ses recherches. À l'issue des discussions nourries avec le public bordelais (avant un rendez ce mardi 21 au cinéma Jean Eustache, à Pessac), Camille Mauduech prend date pour la prochaine Fête de l'Humanité.
Le film aborde des questions aujourd'hui encore sensibles. La réalisatrice a pris soin de consulter son avocat et d'exciser une séquence génante aux regards des implications juridiques "sans que cette coupure au montage cela ne dénature mon propos ni mes intentions" se défend Camille Mauduech. Pendant tout le débat et avant la projection du film, le producteur Ludovic Naar est resté discret au fond de la salle.
Bordeaux, port négrier
Distribué en métropole par Cinéma Public Films (Paris), le film est sorti il y a un an (en mars 2008) à la Martinique où il a fait 15.000 entrées en 2 mois avec une seule copie. Cette projection-débat est la soirée d'annonce de la commémoration de l'esclavage à Bordeaux. Le documentaire ouvre le 11ème Mémorial de la Traite des Noirs organisé par l'association Diverscités (Bordeaux). Le prochain temps fort est prévu le jeudi 7 mai à 18h avec une rencontre littéraire avec Claude Ribbe à la Librairie La Machine à Lire avant la Marche aux flambeaux, le Vendredi 08 mai à 20h 30. C'est un Parcours-Mémoire "sur les traces de la traite des noirs à Bordeaux" ; le départ est fixé au Palais de Justice, devant l'École Nationale de la Magistrature, c'est-à-dire devant l'ancien Fort du Hâ où les 16 de Basse-Pointe avaient été embastillés. Comme le dit la cinéaste martiniquaise le passé esclavagiste et l'esprit colonial qui lui a succédé ont formé le soubassement de la tragédie martiniquaise passée et actuelle. L'année 2009 prend un certain relief pour la capitale de la Gironde car Bordeaux prend en main son histoire après une ridicule et anonyme plaque sur les quais de la Garonne. Le Dimanche 10 mai aura lieu la Cérémonie officielle de l'inauguration de 3 salles permanentes consacrées à l'esclavage au Musée d'Aquitaine. De plus Bordeaux a été choisie comme capitale de la commémoration officielle de l'esclavage sous le haut patronage du président de la république française.
Thierno I. DIA
