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Entretien avec Idrissa Ouédraogo, réalisateur burkinabè
"L'Afrique n'a pas de marché parce qu'elle est balkanisée"
critique
rédigé par Jacques Bessala Manga
publié le 18/06/2009
Jacques Bessala Manga
Jacques Bessala Manga
Idrissa Ouedraogo (à Yaoundé, 2009)
Idrissa Ouedraogo (à Yaoundé, 2009)
Idrissa Ouedraogo
Idrissa Ouedraogo
Sembène Ousmane
Sembène Ousmane
Djibril DIOP Mambéty
Djibril DIOP Mambéty
Muna Moto
Muna Moto
Henri DUPARC
Henri DUPARC
Bal Poussière, d'Henri Duparc
Bal Poussière, d'Henri Duparc
Henri Duparc
Henri Duparc
Idrissa Ouedraogo
Idrissa Ouedraogo
Idrissa Ouédraogo
Idrissa Ouédraogo
Ecrans Noirs 2009
Ecrans Noirs 2009
Les Écuelles, 1983
Les Écuelles, 1983
Yam Daabo (Le Choix), 1986
Yam Daabo (Le Choix), 1986
Yaaba, 1989
Yaaba, 1989
Tilaï (Question d'honneur), 1990
Tilaï (Question d'honneur), 1990
Karim et Sala, 1991
Karim et Sala, 1991
Samba Traoré, 1992
Samba Traoré, 1992
La Colère des dieux, 2003
La Colère des dieux, 2003
Kini et Adams, 1997
Kini et Adams, 1997
L'Anniversaire (The Birthday), 2008
L'Anniversaire (The Birthday), 2008
Afriques, mes Afriques, 2008, coffret 5 DVD : courts métrages d'Idrissa Ouédraogo - Yam Daabo (Le choix) - Samba Traoré - Le cri du coeur - Kini et Adams, paru le 20 octobre 2008, POM Films
Afriques, mes Afriques, 2008, coffret 5 DVD : courts métrages d'Idrissa Ouédraogo - Yam Daabo (Le choix) - Samba Traoré - Le cri du coeur - Kini et Adams, paru le 20 octobre 2008, POM Films

Président du jury long métrage lors de la 13ème édition du festival Écrans noirs, ayant entre autres pris une part active lors du colloque "Cinéma et économie" organisé en marge du festival, le cinéaste burkinabè a bien voulu nous donner ses impressions sur la thématique dudit colloque. Il plaide notamment pour la création des ensembles régionaux et sous-régionaux qui pourraient aider à absorber la production cinématographique.
Entretien

Vous venez d'assister au lancement du colloque "Cinéma et télévision" organisé en marge de cette 13ème édition des Écrans noirs. Quelle impression première se dégage des échanges préliminaires de cette rencontre ?
Idrissa Ouédrogo : De prime abord, j'ai été surpris de la présence de certaines personnes ressources lors de cette rencontre. Même si c'est enrichissant d'avoir le point de vue des autres continents et des autres pays. J'ai surtout été désolé qu'on n'ait pas abordé à fond les questions liées à l'économie du cinéma en Afrique, car le principal problème, c'est que de moins en moins, les films se font en Afrique. Ceux qui sont quand même faits ne sont pas regardés en Afrique. À mon avis, parler de tout çà, avec des idées concrètes, c'est ce qui doit être primordial lors d'un colloque. Or le problème des colloques, c'est que l'on parle longtemps, et dix ans après, on se surprend à parler des mêmes choses. L'Afrique est dans le marasme, et il est important que nous apportions des solutions à ses problèmes. Il y a pourtant eu une époque glorieuse. Notamment Djibril Diop Mambéty, Flora Gomez, Sembène Ousmane, moi-même et d'autres, qui avons contribué à conférer une certaine respectabilité au cinéma africain dans des rendez-vous internationaux. Mais depuis 1997, l'Afrique est au creux de la vague.

De votre avis autorisé, qu'est ce qui a créé la fracture ?
C'est parce qu'on passe le temps à parler de nos problèmes à des gens qui ne partagent pas nos préoccupations. Le linge sale, comme on le dit souvent, se lave en famille. Nos problèmes sont d'ordre organisationnels, et qui, mieux que nous-mêmes pouvons définir quelles thérapeutiques apporter au malaise du cinéma africain ?
La question de savoir quel type de support pour nos films est une aberration. L'image faite en numérique ou en celluloïd est la même chose pour moi. Cinéma d'auteur ou cinéma populaire, ça ne veut rien dire pour moi, Africain. Derrière le support, il y a un créateur. Le cinéma africain aujourd'hui, c'est une quête identitaire, une volonté d'affranchissement, un refus du conformisme. Nos aînés, Sembène Ousmane, Djibril Diop Mambéty, Dikongué Pipa, etc., l'ont très bien compris, et leurs œuvres n'ont jamais eu à pâlir face à d'autres d'Europe ou d'ailleurs.
On a la capacité pour exister dans le monde. Mais c'est au niveau de l'organisation, du manque d'intérêt de nos États, qui ne veulent pas situer la culture au centre des politiques de développement que le problème se pose. C'est ce genre de questions dont il faut débattre dans les colloques. Mieux organisés, tel que nous le faisons au sein de la Fépaci, nous pouvons faire du lobbying auprès des dirigeants politiques. Le problème est d'ordre politique et non seulement économique.

Le cinéma n'est-il pas perçu auprès de ces dirigeants comme un luxe ?
Le cinéma est effectivement un luxe. Pour produire un bon film, il faut mobiliser entre 400 et 600 millions de francs Cfa. C'est autant de puits, d'écoles et de routes à construire. Mais la question est celle de savoir si le financement vaut la peine ou pas.
Je suis péremptoire. Il faut aussi financer le cinéma, car il a une force d'attractivité et de suggestivité inégalable. Il voyage tellement vite que c'est un moyen par lequel l'Afrique peut se valoriser à l'étranger.

Face au marasme, n'y a-t-il aucune perspective ?
Il faut tout d'abord une bonne législation dans tous les pays. En même temps, il faut une harmonisation des différentes législations tant au niveau des ensembles sous-régionaux que continentaux.
Malgré les difficultés, il faut poser des fondations. En outre, il faut former les professionnels. Il ne faut pas que des imposteurs viennent envahir la profession. On ne s'improvise pas réalisateur. Après, qu'il y ait un besoin d'images chez les populations, c'est un fait. Il faut donc réfléchir sur les possibilités de leur montrer leurs images.

Est-ce que finalement le problème n'est pas celui du marché du cinéma africain ?
C'est effectivement le vrai problème du cinéma africain. Film populaire ou pas, la question est de savoir s'il y a un public en Afrique pour consommer le cinéma africain. Les gens en Afrique ont besoin d'être éduqués, de savoir où ils vont, et çà peut être une mission importante pour le cinéma en Afrique. Le cinéma militant est de ce fait très noble.
Tous les pays qui ont des repères idéologiques comme le Japon, les États-Unis d'Amérique s'en sortent. Ils ont développé un marché intérieur pour leur cinéma. Tous les autres, hybrides culturellement, ont de la peine.
Ce qui me désole, c'est que nous discutions de ces choses-là avec des Européens, qui ont sans doute des choses pertinentes à dire sur leur cinéma en Europe. Mais je n'irai jamais donner des leçons sur le cinéma européen à des Européens. Il faut que ceux qui ont de l'expérience sur le continent et sur le monde aident à comprendre les enjeux. Ce n'est pas ce qui manque en Afrique.

C'est peut-être parce que les professionnels du cinéma en Afrique ont démissionné…
Quand on fait une chose, la première récompense, c'est soi-même. Il y a beaucoup de cinéastes en Afrique qui ont fait énormément pour le cinéma. Mais des gens qui n'ont même pas le vingtième du parcours qui est celui de Sembène ou d'Idrissa ne peuvent pas et ne doivent pas donner de leçons aux cinéastes africains. C'est le mépris même de l'histoire de notre cinéma qui est traduite par cette attitude.
Henri Duparc a fait Bal poussière, un film populaire qui a été diffusé dans le monde entier. Dikongué Pipa a réalisé un chef-d'œuvre avec Muna Moto. Tous l'ont fait avec des moyens modiques. Mais ceux qui nous donnent des leçons ne connaissent même pas ces films. C'est inacceptable. L'argent n'est pas le seul problème.
L'autre problème, et c'est le plus important, c'est que l'Afrique est balkanisée, sans marché. Quand vous voyez qu'au Nigeria le cinéma marche, ce n'est pas parce que leur cinéma est meilleur. C'est parce qu'ils ont un marché qui consomme le cinéma local. Il faut travailler à la création du marché.

Finalement, doit-on industrialiser le cinéma en Afrique ?
Pour industrialiser une activité, il faut avoir un marché. Si on admet qu'aujourd'hui en Afrique, il n'y a pas de marché structuré, la réponse s'impose par elle-même : il ne faut pas industrialiser. Un marché c'est une fabrication en chaîne pour un nombre important de consommateurs. On a la moitié de la population africaine qui vit dans les villages, sans électricité, sans le confort de la ville, sans salles de cinéma. On ne peut comparer que des choses comparables. On ne peut pas dire en Europe que le cinéma en Suisse, en Hollande, en Italie ou en Belgique est le même qu'en France. C'est une problématique mondiale.
En France, en Egypte ou même au Nigeria, ce sont des marchés intérieurs importants qui absorbent une part importante de leur production cinématographique. Il faut encourager les marchés sous-régionaux, dans la Cemac, en Uemoa, et mettre en place des politiques plus globales qui permettent la circulation des films. Dans ce cas-là, on a encore besoin de l'État. Le secteur privé ne peut pas régler cette problématique, car il a prioritairement en tête la rentabilité. Seul l'État a la capacité d'avoir une vision à long terme.

Propos recueillis par Jacques Bessala Manga

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