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Douz, la Porte du Sahara, de Sonia Chamkhi et Lassaad Dkhili
Un regard mystique
critique
rédigé par Mahmoud Jemni
publié le 22/06/2009
Sonia Chamkhi
Sonia Chamkhi
Lassaad Dkhili
Lassaad Dkhili
Douz
Douz

Le cinéma "fait et/ou refait la vie". Cette affirmation, je ne m'y oppose pas bien. Elle me donne l'impression que je suis devant un miroir dans lequel je me regarde. Je m'y trouve. Ce type de représentation m'aide à me reconnaître et à renaître. Je m'en réjouis à tel point que j'évacue délibérément une assertion qui m'est trop chère d'ailleurs : "le cinéma se rattache à une méta physique de l'intelligence". Voila, j'avoue ma subjectivité car j'ai ressentis dès le pré générique un rattachement au Douz, la Porte du Sahara que viennent de réaliser Sonia Chamkhi et Lassàd Dkhili.
Ce film me permet de voir "Là-bas", la terre de mes origines, dès que je ferme les yeux. C'est un monde familier qui a bercé l'imaginaire de mon enfance. Je crois aussi qu'il a bercé l'imaginaire de ceux qui ont côtoyé physiquement le Sahara ou par le truchement du récit et de la lecture.

Une civilisation du Verbe

Comme un conte de fée, Douz, la Porte du Sahara ressuscite un passé glorieux et interpelle un présent violent du fait qu'il se détourne des coutumes, d'un savoir-vivre et un d'un savoir-faire menacés par l'oubli.
Les images de Sonia Chamkhi et de son coréalisateur Lassâad Dkhili se veulent un voyage initiatique dans un espace étendu avec des dunes de sable qui confinent à l'infini. Un voyage qui nous fait découvrir une civilisation saharienne riche de ses coutumes, de ses croyances mythiques et religieuses.
Tout se passe à Douz, cette localité du Sud-Ouest tunisien. Jadis route de commerce subsaharien qui dessert le grand Erg Oriental, et relie le Sahara tunisien à celui de l'Algérie, de la Libye, du Niger et de l'Egypte. Et le film conte les M'Razig habitants de Douz, autrefois nomades, aujourd'hui semi-sédentaires, qui donnent un sens à leur existence dans la soif de vivre et la quête de l'éternité.

Dès le générique, Sonia Chamkhi et son coréalisateur nous dévoilent leurs préférences esthétiques : valorisation de la lumière, vénération de la poésie et exaltation de l'espace : le vent balayant les dunes, les traces du chamelier sur le sable et le chant exaltant des femmes confirment l'attachement des M'Razig à ces éléments : Sahara, lumière et poésie.
Le Verbe, en l'occurrence la poésie scandée tout le long du film, constitue la matière du développement du récit. La poésie cimente les différentes séquences et fait éviter toute monotonie. D'ailleurs, je ne me suis pas rendu compte du temps écoulé, au point de ne pas éprouver le besoin de connaitre qu'elle est la durée du film.

Sonia et Lassâad nous présentent un documentaire dans un rapport de face à face assumé, mais pas affiché. En aucun moment, ils sont dans le champ ou perçus en voix off. Ils sont discrets comme leur caméra complice, un outil de proximité qui a permis au spectateur de scruter le psychologique des personnages, tâche souvent accordée au cinéma de fiction.
Les deux réalisateurs ont fait preuve de rigueur et de réserve. Épris de simplicité, non de facilité, et armés d'un esprit de recherche formelle, ils nous ont réuni dans ce film court le pittoresque et le musical, le sacré et le profane, le réel et le mythologique.
Ce savoir faire a aidé ce documentaire à s'élever à la hauteur de l'art, à transcender les limites du genre tels que cinéma direct, films d'ethnologie et de reportage. Ainsi, l'effet folklore et carte postale est totalement absent ; bien que l'ultime objectif de nos réalisateurs est de retransmettre en tableaux et en scènes l'art de vivre des autochtones : cavalerie et costumes traditionnels, danse et chants, course de méharis, joutes poétiques, travail artisanal...

Un film narratif

Douz, la Porte du Sahara est un film narratif. Les personnes filmées se sont chargées de nous conter leur vie dans un va-et-vient entre le jadis et le présent. Ni coiffés, ni maquillés ni spécialement habillés, ces êtres qui parlent devant la caméra ne nous n'ont pas séduits par leurs tenues vestimentaires ou par un autre aspect physique. Ils captent notre attention par leur simplicité, leur assurance et l'image positive qu'ils ont d'eux-mêmes. Pour ces Hilalis, comme pour leur aïeule El Jazia, les canons de beauté, d'attirance et de reconnaissance relèvent de la générosité, du courage et de la poésie. Des valeurs intrinsèques donc.
Qu'ils soient bergers, chameliers, artisans ou encore gardiens de mausolée, tous ces personnages épatent par la facilité du Verbe et la maîtrise des sujets qu'ils évoquent. Les mots leur viennent aisément car ils ont les rapports directs avec leur environnement naturel et spirituel. Seuls les mystiques établissent des relations saines, sincères et naturelles avec le vénéré : le Sahara, pour leur cas.

Ce rapport vrai au lieu et au mode de vie est traduit par moult moyens notamment la poésie. Dès que le tableau de la course des méharis le poète Belgacem Ben Abdelatif déclame son poème "Mon Sahara", une réelle illustration sonore de la vénération, de la bravoure et de toutes les valeurs de ces nomades.
Les joutes poétiques ponctuent l'œuvre et synthétisent à travers le dernier poème "Inscris, Oh histoire de mes aïeuls !", les propos de ce documentaire qui se veut un arrachement à l'oubli, et un désir de saisir ce qui, en dépit de tout, insiste et persiste.

Douz, la Porte du Sahara raconte comment les femmes et les hommes donnent un sens à leur existence matérielle par une élévation vers le spirituel. Ainsi, le gardien de mausolée des deux saints El Gouth et El Mahjoub s'est tracé une ligne de conduite après observation et méditation de ce qui l'entoure. Ni meilleur, ni moins bon. Une relation d'égalité humaine et pacifiste. Voila, pour lui comment doivent être les rapports entre tous les hommes de la terre. Cette soif de vivre ne se manifeste pas uniquement à travers le sacré. On la constate également à travers l'exaltation du travail tel que le métier de Hijazi (Chamelier) la Nouba (berger) et le tissage. Sonia Chamkhi et son co-réalisateur ont saisi maints détails pour faire apparaître la place et le rôle de ces personnages dans la collectivité. Rôle dont ils ne cachent pas leur fierté et leur dignité d'être constructifs, eux qui luttent pour une dignité qui souffre par moments des aléas de la vie moderne car certaines pratiques sont en voie de disparition comme le tatouage. Une Douzienne explique, avec emportement, cette tradition d'embellissement. Outre son éloquence et son savoir raffiné, elle use des gestes qui frôlent l'érotisme signe d'une part d'une personnalité rayonnante et d'une part d'un fort rattachement à un mode désavoué par la nouvelle génération.

Entre le sens et le son

Le moment culminant de ce documentaire est la séquence de fin. Un groupe d'hommes autour d'un feu de camp chantant en chorale "Chute, écoute !". La chorégraphie des mains qui tapent le sable, les expressions des yeux à peine éclairés donnent de l'intensité à cette scène. La caméra de Sonia Chamkhi et Lassaad Dkhili, à l'instar des mystiques, a pénétré sur les pointes des pieds, l'univers de ce groupe pour ne pas les perturber, et a pris son temps pour nous garantir une remarquable composition de l'image et a assuré, par anticipation, le sens et le rythme du montage.

Douz, la Porte du Sahara est profondément imprégné d'éléments humains. Il est riche et varié. Son style crée dans l'âme du spectateur une image d'identification aux gens filmés qui vénèrent leurs petites choses enfouies dans les nuits des temps. Le spectateur, à force de baigner dans ce monde de gens simples, finit par devenir lui-même vénérant. Il s'unifie, à l'instar des soufis, à l'Autre, au Cosmos. Une osmose découle de la pureté des images et de la beauté de la bande-son. Sonia Chamkhi et Lassaad Dkhili nous livrent un film imposant par sa véritable architecture lumineuse, l'originalité de ses propos et la distinction de sa mise en scène.
Douz, la Porte du Sahara est un film d'art. Il invite le spectateur à découvrir un nouvel espace : le Sahara. Espace d'élection des prophètes, mystiques et poètes. Le Sahara n'a-t-il pas toujours inspiré les poètes pour qu'ils nous maintiennent face à "une hésitation prolongée entre le sens et le son" comme disait le grand cinéaste du désert Pasolini. Ce documentaire enrichira par son approche et sa thématique le cinéma tunisien en général et le documentaire en particulier.

Mahmoud Jemni

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