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Entretien avec Mama Keïta, réalisateur de L'Absence
"Le vrai sujet du film, c'est le deuil inachevé"
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 22/06/2009

À suivre la démarche de Mama Keïta, l'on ne peut ne pas penser à Mahamat-Saleh Haroun, le réalisateur de Bye Bye Africa qui parlait de "Cinéma schizophrène", dans un entretien accordé à Oliver Barlet. Puisqu'en faisant l'archéologie de ce long-métrage qu'est L'Absence applaudit par la critique, le réflexe conduit à une conscience saisissante, chez le réalisateur, des réalités d'un environnement psychologique mais aussi géographique modelant la vie d'Africains qui n'ont jamais pu réussir le voyage de la réconciliation. Ce film reste saisissant tant il évolue sur le mode de la conscience dynamique d'un cinéma perméable au sens du combat à mener dans une Afrique cherchant désormais à produire ses propres images.
Entretien…

Africiné : Mama Keïta, il y a quelques années, vous avez réalisé Le sourire du serpent que beaucoup de gens n'ont pas compris. Aujourd'hui, en ce Fespaco 2009, vous revenez avec un autre long-métrage, L'Absence touchant le thème de l'immigration. Pourquoi un tel choix sur un sujet qui motive les attentions et soulève beaucoup d'émotions dans une Afrique de plus en plus marginalisée ?

Mama Keïta : Il y a deux circonstances qui m'ont amené à cela. Moi, je faisais des films à Paris ; j'y ai grandi, c'était mon univers, entre guillemets, naturel. Je suis comme un poisson dans l'eau à Paris. Et évidemment, on porte son regard sur ce qui nous est le plus familier dans notre environnement.
Je me souviens m'être confronté lors d'un dîner à un acteur qui avait pointé cette faille en moi : qui est que, compte-tenu de mon nom, de mon histoire, je me cantonnais simplement à un cercle parisien. Et il m'avait interpellé lors de ce dîner - il y a de cela une dizaine d'années - en me disant qu'il y avait peu de cinéastes d'origine africaine, caraïbéenne, qui sont aujourd'hui en mesure de faire des films sur les réalités de leurs pays d'origine - parce qu'il y avait énormément de talents non employés, comme toujours d'ailleurs, parmi les acteurs d'origine africaine et caraïbéenne.
Et il y avait ce sentiment, cette aigreur que de voir des réalisateurs comme moi ne porter leur regard que sur la société française. Et il me disait en l'occurrence ceci : "si quelqu'un comme toi ne porte pas le regard sur nous, qui le fera". Ça a été une déception qui m'a bousculé, et qui m'a fait m'interroger.

L'Absence_BandeAnnonce from sebastien touta on Vimeo.



Suite à cela, j'ai écrit Le sourire du serpent qui est la rencontre d'une prostituée d'origine slave et d'un travailleur d'origine africaine en situation irrégulière dans une zone de manufacture à l'abandon. Ils ont attendu pendant toute une nuit un bus qui n'est jamais venu. Le chauffeur du dernier bus (une femme) qui devait les convoyer vers le centre-ville a été assassinée par un psychopathe. C'est la première fois que j'ai investi la question de l'immigration.
La seconde fois, c'est à travers L'Absence parce que j'avais autour de moi, à Paris, tout un ensemble d'intellectuels d'origine africaine venus faire leurs études. Et à chaque fois que je parlais avec eux, je voyais qu'il y avait un point commun : ils étaient pour la quasi-totalité supposés revenir au pays d'origine. J'avais noté psychologiquement une forme de malaise, une forme d'écartèlement, une forme de culpabilité rampante qu'ils n'arrivaient pas à dissoudre, à gérer et qui les rongeait comme un cancer.

Encore une petite anecdote qui a tout son poids : j'ai vu des hommes pleurer devant moi de n'avoir pas pu aller à l'enterrement de leur mère. Ça m'avait frappé ! Ça m'avait frappé cette récurrence. C'était symptomatique. Derrière toute leur histoire, il y avait cela. Ils étaient supposés retourner au pays, mais 95% d'entre eux étaient toujours en France. Certains, évidemment, avaient raté l'objectif que leurs parents leur avaient assigné. Là, c'était terrible ; ils préféraient plutôt clochardiser à Paris que la honte du retour. D'autres avaient brillamment réussi, avaient refait leur vie et s'étaient enracinés en France pour une multitude de raisons.
Il y avait aussi les défis politiques : certains se sont demandés s'il ne fallait pas mieux retourner au pays et faire bouger les choses quels que soient les risques. À Paris, ils se sentaient totalement inutiles. Ce sont toutes ces histoires que j'ai condensées dans L'Absence.



J'ai préféré prendre l'exemple d'un surdoué, d'un surdiplômé, d'un major de Polytechnique et le mettre dans le bouillon de ce contexte et me dire : "Qu'en est-il de lui ?". Il y a donc deux niveaux de lectures dans mon film.
Le premier est politique, avec ces élites qui partent et qui ne reviennent pas ; ceux sur lesquels le pays et les amis ont investi et qui ne tiennent pas parole, entre guillemets. Je me focalise simplement sur ce malaise, sur ce déséquilibre, sur cette culpabilité. Mais en aucun cas, je ne les juge.
Je sais aussi que les structures familiales en Afrique sont encore patriarcales, et c'est souvent l'aîné mâle que l'on envoie faire des études ; c'est sur lui que l'on investi prioritairement ; c'est lui qui est le garant de la famille ; c'est lui qui est supposé reprendre la barre à la mort du père. J'ai voulu aussi examiner ce qu'il en est au niveau intime lorsque cette personne est absente.

Il y a là une double absence : celle au sein de la famille qui voit souvent celle-ci se disloquer ou perdre sa colonne vertébrale ; et puis il y a celle aussi du compte à rendre au pays. "On a investi sur toi. Tu t'es formé. Alors qu'en est-il ?".

Ce que vous dites se retrouve dans cette scène pendant laquelle Adama, le personnage principal, se querelle avec son ancien professeur qui n'hésite pas à le critiquer sur ses choix et son comportement. Ce dernier n'est-il pas la voix du pays qui demande des comptes ? Cette conscience qui lui indique son erreur ?

Son professeur incarne la morale. C'est celui qui l'a éduqué. Il représente le père de substitution puisqu'Adama et sa sœur sont orphelins de père et de mère ; qu'ils ont été élevés par leur grand-mère. Ce professeur lui inflige une leçon très violente. Et parce qu'Adama ne veut pas l'écouter, il le chasse de sa maison, comme un père qui chasse son propre fils, alors que quelques minutes auparavant, il l'a retenu contre son gré pour honorer le dîner. Trois minutes après : "Monsieur, je ne vous retiens plus". Il lui rend même son cadeau. C'est un désaveu total. Une répudiation.
Parce qu'il s'aperçoit qu'Adama est dans l'égoïsme alors qu'il avait tant investi en cet enfant. Il s'est dit que toutes générations confondues, c'est le plus doué de tous les élèves qu'il a eus ; lui, il reviendra au pays. "J'ai investi en lui ; je l'ai élevé ; je me suis battu pour lui pour qu'il ait une bourse ; en lui, je crois". C'est la désillusion. C'est un homme désabusé qui a été désillusionné tant de fois. Tant de fois, il a misé sur des jeunes et ne les a pas vus revenir. À Adama d'ailleurs il dit : "Mieux vaut tard que jamais", quand il pense qu'il est revenu.


L'ABSENCE de Mama Keita EXTRAIT 2 par IsabelleBuron



Ce qui se passe, c'est qu'il y a un drame intime qui fait qu'Adama fuit la réalité de son histoire. Il y a donc une double fuite : non seulement dans son arrogance et son égoïsme. Sorti de la plus grande école et au plus haut niveau, il est plus blanc que Blanc. Il a été délavé d'une certaine manière. Il a été surformaté. C'est-à-dire qu'à ce niveau de l'élite, on ne voit plus la couleur de sa peau. D'ailleurs quand Adama débarque, c'est un étranger total. Il comprend encore la langue du pays, mais de manière automatique, il répond encore en français. Tout en lui - ses attitudes, sa posture - indiquent qu'il n'est plus là. C'est cet individu que j'ai voulu plonger dans le tourment de la question par rapport à la famille, au pays.

Vous avez aussi, dans votre démarche cinématographique, mis aux côtés d'Adama son ami Djibril, qui est en quelque sorte celui qui lui ouvre les yeux sur la vérité.

Est-ce que vous avez noté d'ailleurs qu'Adama, au bout de 24 heures après son arrivée, a voulu repartir ? Il vient pour une fausse raison. Il ne revient pas pour s'installer ni pour rendre visite à sa famille. Il a été induit en erreur. Et son retour est un retour précipité parce qu'il reçoit un télégramme lui disant que sa grand-mère maternelle - parce que la filiation maternelle est très importante - qui l'a élevé est mourante et qu'elle n'en a plus que pour quelques jours. Il revient donc quasiment pour les funérailles. Et quand il arrive, il a la surprise de voir qu'elle se porte comme un charme. Elle est vieille et fatiguée, mais encore en bonne santé.
Au bout de 24 heures, il décide de partir parce qu'il dit que "tout le monde s'essuie les pieds sur moi". Pourquoi ? Parce qu'il a des comptes à rendre à tout le monde. À son amour, à son professeur, à son premier amour, à sa grand-mère, à sa sœur, au pays. Il se sent donc dans la posture d'un accusé parce qu'il n'a pas assumé son histoire. C'est cette absence-là qui va conduire à la tragédie.

Djibril ne fait que lui dire ce que tous les autres lui disent, d'une manière ou d'une autre. Même le petit nain qui va l'escroquer d'un billet de 100 euros, c'est symptomatique. L'aveugle même lui dit : "Mais tu viens de quelle planète, pour confier ton argent à un inconnu ?". C'est-à-dire, de toutes parts où il se tourne, il prend des coups. Et c'est le prix de l'absence.


L'ABSENCE de Mama Keita EXTRAIT 3 par IsabelleBuron



Cette absence est même ressentie dans la maison parce qu'Adama ne communique ni avec sa sœur, ni avec sa grand-mère. Il y a quelque part un vide affectif, sentimental non rempli…

Ils communiquent. Adama est en rupture avec sa terre d'origine. Sa sœur Aïcha n'est que la métaphore de l'Afrique. Elle est en douleur, en souffrance. C'est la tragédie de sa sœur qui va l'appeler à la rédemption. Aïcha est métaphorique quelque part de l'Afrique. Je vous dis tout cela de manière très savante. Mais, rassurez-vous, quand j'écris je ne comprends pas cela. C'est après coup que je comprends. C'est quand j'ai fini mon film que je comprends ce que j'ai voulu dire. C'est-à-dire que l'écriture est plutôt automatique.
Ce sont des choses que je charrie en moi comme cela et que je mets sur le papier en vrac ; parce que je prends beaucoup de notes et écris dans un temps très court. Ce qui fait que c'est comme un sprinteur. Après vient le moment où l'on s'interroge en se demandant ce que l'on a voulu dire. Qu'est-ce que je veux dire par là ? C'est la manière dont moi je fonctionne ; c'est d'abord l'instinct qui vient ensuite suit la raison. Bizarrement ! (rires). Je comprends le thème sur lequel je veux travailler.

En fait, le vrai sujet du film, c'est le deuil inachevé. Autour de cette thématique de deuil inachevé, il y a qu'Adama perd sa mère quand il a 8 ans et il ne s'est jamais remis de cette perte. Et tout aussi surdiplômé qu'il est, il reste immature affectivement : son évolution affective s'est bloquée à 8 ans. Il n'arrive pas à faire le deuil de cette mère. Et c'est cela qui fait qu'il ne peut pas revenir à la mère Afrique.

On a aussi vu que vous avez réussi le choix des acteurs puisque Adama et Djibril - tout comme Mouss Diouf et bien d'autres - sont arrivés à se mettre dans la peau de leurs personnages respectifs. Peut-on savoir les préalables que vous avez mis en avant, pour tenir ce pari du jeu bien fait ?

Il y a déjà les aptitudes de ces acteurs là. Excusez-moi l'expression un peu vulgaire : on ne fait pas d'un âne un cheval de course. Ils sont potentiellement de bons acteurs. Ensuite, un film, c'est une chorale. Il faut mettre tous les éléments au diapason, pour que ça sonne juste. Ça évidemment, c'est le travail de l'acteur sous la direction du directeur d'acteurs qui est le metteur en scène. Mais vous savez, on n'est pas dans le domaine de la science, mais plutôt dans celui du tâtonnement.
Quand on joue, on tâtonne ; on essaie des choses ; on s'approche de la vérité. Parfois, la vérité c'est la grâce. Parfois la grâce se refuse à nous. On force, on essaie. Il y a des journées qui sont miraculeuses, d'autres qui sont catastrophiques pour le directeur d'acteurs comme pour les acteurs.
Les acteurs même s'ils ont connaissance du scénario, ils le tournent dans le désordre. A un moment donné, ils en oublient le fil même du film, tellement ils sont dans des moments où il faut qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes.

Quand Ibrahima Mbaye [qui joue Djibril, ndlr] a vu le film complètement dans sa cohérence, il était ému. Il me revient une phrase de lui, parce qu'il est arrivé un peu tard sur le plateau - il était sur le film de Mansour Sora Wade Les Feux de Mansaré - pour enchaîner avec le mien. Il fallait donc qu'il se connecte avec tout ce qui se faisait. Ça n'a pas été simple au début. C'est vrai qu'à un moment donné, je frisais le désespoir.
Et il m'a alors interpellé en me disant cette chose extraordinaire : "Il ne faut jamais me lâcher. Si tu ne me regardes pas, si tu ne fais pas attention à moi, je suis perdu. Cogne-moi, fais-moi mal mais ne me lâche pas". Je lui ai dit "okay ; on peut donc aller très loin ensemble". À partir de ce moment-là, on avait réglé notre conduite et on s'est échangé l'un l'autre des sourires dans ces moments difficiles où ça a failli ne pas marcher entre nous. Il m'a dit ces mots, on s'est serré la main et on avait compris qu'on était sur le bon chemin. Parfois, il faut passer par des obstacles terribles, être très proche du précipice pour atteindre la grâce.

Pourquoi avoir choisi de tourner L'Absence à Dakar et non en Guinée ?

Parce que je suis un "Boy Dakar" ("Un Dakarois pur jus", Ndlr). Je ne peux pas vous dire autrement. C'est parce que je suis un "Boy Dakar". Deux pays d'Afrique m'ont fait la proposition de me donner tous les moyens et le matériel nécessaires. J'ai dû décliner ces invitations à contrecœur, en leur donnant toujours la même explication selon laquelle quand on se projette quelque part. Et moi, je me projette dans les lieux de mon enfance ; je suis né à Dakar. Même si je n'y ai pas vécu longtemps, j'y reviens souvent.
Et pour moi, ma référence africaine, c'est le Sénégal bien que je sois d'origine guinéenne. Il y a toujours ce reproche que me font les Guinéens : "Pourquoi tu as tourné Le Fleuve, L'Absence au Sénégal ?" Les Maliens me disent la même chose.

Mais quand on écrit un film, on se projette ; on visualise. Et moi, l'urbanisme de Dakar m'est familier. Quand j'arrive à Dakar, je pose mes valises et je sais tout de suite où je vais. Chez mes amis d'enfance. Je vais à Derklé, au Terrain Castors où j'ai évolué. J'ai tous mes amis qui sont concentrés dans cette zone. Il n'y a pas d'hésitation. Je marche dans les rues de Dakar tranquillement. Dans tout autre ville d'Afrique, on sentirait tout de suite que je suis un étranger. Je suis obligé de demander sans cesse où est-ce que l'on va de tel endroit à un autre. C'est aussi simple que cela. Pour moi, il n'était même pas question que L'Absence se passe ailleurs. Je n'aurai pas su le faire ailleurs. J'aurai été totalement étranger comme d'ailleurs le personnage…
Cela dit, le prochain long-métrage que je prépare se déroulera entre New York et Conakry. Je reviens au pays de mon père. L'histoire est basée sur un fait réel. Et que ce fait réel s'est passé à Conakry, il y a à peu près six à huit ans de cela. Je restitue donc le contexte qui est un contexte politique. C'est une géographie, un espace, un contexte politique.

Quels sont les films qui vont ont marqué lors du Fespaco 2009 ?

Je vais peut-être dire une insanité : je n'ai vu aucun film, puisque j'ai enchaîné interview sur interview. Ça, c'est parfois le désespoir de certains réalisateurs. C'est vrai que naturellement aujourd'hui, je vois peu de films. Je viens de finir deux films coup sur coup : L'Absence et un autre d'une jeune réalisatrice Guadeloupo-américaine qui s'appelle Mariette Monpierre que j'ai produit. Ça m'a pris ces deux dernières années. C'étaient donc pour moi des temps très lourds et très forts que j'ai consacrés au cinéma. C'est une sorte d'overdose. C'est-à-dire presqu'à un moment donné où le corps n'en peut plus tout simplement.

Vous avez eu quand même des échos du succès de certains films ?

J'ai eu des échos de Teza (Étalon d'or de Yennenga 2009). Déjà au Caire, j'ai une de mes amies nommée Ramatou Keïta qui était dans le jury qui m'a dit que c'était un film sublime. C'est le film que je voulais voir - à part les deux films sénégalais : celui de Léandre Baker (Ramata) et celui de Mansour Sora Wade (Les Feux de Mansaré) que j'avais voulu voir parce que ça se passe tout simplement au Sénégal, et que ce sont des amis de vieille date. Ce sont les trois films que je m'étais au moins dit que j'allais les voir. Et je n'en ai vu aucun, malheureusement. J'ai beaucoup symphatisé avec la sœur de Haïlé Gerima [la productrice Salomé Gerima, ndlr], le réalisateur de Teza. J'avais promis que je viendrais à la projection de ce film - il y en avait trois que j'ai toutes ratées, parce que des gens comme vous m'interpellent pour toute une série d'interviews.
Je suis producteur de mon film, il faut donc faire le service après-vente. Il faut parler du film, faire sa promotion.

Quelle est votre appréciation sur ce Fespaco 2009 et quel est votre sentiment sur l'avenir du Fespaco en général ?

Le Fespaco est un espace on ne peut plus indispensable, vital pour le cinéma africain pour qu'on ait une vitrine. Les conditions d'organisation sont déplorables. Moi, j'aime infiniment ce peuple. J'ai un plaisir immense à y revenir à chaque fois parce que c'est le lieu des retrouvailles, le lieu de la fraternité, de la célébration. Je regrette simplement que souvent ils oublient que nous faisons des films (nous les cinéastes et les producteurs) au prix d'énormes sacrifices. Et on ne trouve pas forcément ici une préoccupation qui place le cinéma au cœur du Fespaco. C'est terrible ! C'est un festival un peu désincarné de ce point de vue là.
S'ils comprenaient vraiment que l'âme du Fespaco, c'est le cinéma, les cinéastes, les acteurs, les cinéphiles, ils ne nous imposeraient pas des conditions si déplorables d'organisation, de projection d'accueil qui ne sont même pas à la hauteur de l'hospitalité africaine. Car il vient des milliers de gens de partout. Et dans l'hospitalité africaine, quand on accueille l'étranger, on lui donne le meilleur. Et je ne pense pas que ce que je vois là soit le meilleur du Burkina Faso. Certainement pas ! Certainement pas !

Ce n'est pas le Burkina-Faso qui est en cause, c'est l'organisation. Ce sont deux choses différentes. Ce n'est pas le peuple burkinabé qui, lui, est magnifique dans sa générosité, dans son ouverture d'esprit, dans son accueil, qui est en cause. On voit toutes les salles qui refusent du monde, lors des projections. Il y a vraiment un appétit, une envie.

Moi, je suis interpellé dix fois, vingt fois, trente fois, dans la journée par des spectateurs qui me disent qu'ils ont vu mon film. C'est cela qui donne la force de faire des films. Ce qui désespère, en revanche, de faire des films, c'est quand on amène des films et que l'on voit qu'ils sont projetés dans certaines conditions. Le film de Mansour Sora Wade, après deux projections est totalement rayé.
Le matériel n'est pas révisé. Le catalogue arrive quatre jours après le début du festival ; les journalistes courent dans tous les sens pour interpeller les réalisateurs pour savoir quand leurs films seront projetés, la date, le lieu. C'est inimaginable de venir si loin et d'attendre trois ou quatre jours pour avoir son accréditation ainsi que son "Pass" pour aller voir les films.

Mais encore une fois de plus, je ne veux pas la mort du Fespaco. Au contraire, je milite pour son succès. Autrement, je ne viendrais pas à Ouagadougou présenter mon film ici. Nous sommes des cinéastes et des producteurs. On n'est pas les moins bien placés pour aider à organiser. Quand on fait un tournage, c'est une armée que l'on met en mouvement. Le sens organisationnel, nous l'avons.
Quelqu'un comme Clarence Delgado qui est le premier assistant de Sembène, il suffirait simplement de l'appeler pour qu'il vienne donner un coup de main. Parmi les techniciens, les cinéastes, il y a plein de gens prêts à venir. On paierait notre billet et on viendrait. Mais apparemment, ils veulent garder cette organisation comme une affaire privée. Alors, il faut mettre des gens compétents. Il y a des gens compétents, des esprits brillants au Burkina-Faso. Pourquoi on ne fait pas appel à eux ? Pour quelle raison ?

C'est l'événement le plus important dans ce pays. C'est l'équivalent des Jeux Olympiques pour un pays, et on confie ça à des gens qui ne savent pas ce que c'est que… Je veux dire : c'est une Ferrari et on confie ça à des conducteurs de charrette. Vous voyez ce que je veux dire ? C'est une Formule 1. Un festival aussi grand que cela, c'est une Formule 1. C'est ce festival qui a fait connaître ce pays à travers le monde, plus que toutes ses ambassades réunies. Et comment se fait-il, quarante ans après, à la 21ème édition, qu'on en soit encore à des défauts organisationnels qui polluent la bonne conduite du festival ? C'est inadmissible et ça donne une très mauvaise image de l'Afrique. Ça désespère !

La page facebook du film :
www.facebook.com/pages/LAbsence/612235578842126

Propos recueillis à Ouagadougou par
Bassirou NIANG
(Sénégal)

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