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L'image de Tanger au cinéma
Irene Von ALBERTI et Moumen SMIHI
critique
rédigé par Bouchta Farqzaid
publié le 24/06/2009
Bouchta Farqzaid
Bouchta Farqzaid
Tangerine
Tangerine
Irene von Alberti
Irene von Alberti
Whatever Lola Wants
Whatever Lola Wants
Nabil Ayouch
Nabil Ayouch
Bernardo Bertolucci
Bernardo Bertolucci
Chergui ou le silence violent
Chergui ou le silence violent
El Ayel, le gosse de Tanger
El Ayel, le gosse de Tanger
Moumen Smihi
Moumen Smihi
Tangerine
Tangerine
Tangerine
Tangerine
Tangerine
Tangerine
Tangerine
Tangerine

Il est un penseur qui a avancé l'idée qu'un orientaliste est semblable à un escargot qui change de place, mais tout en restant à l'intérieur de sa coquille. Pour ce dernier, l'Orient se réduit à une série d'idées reçues, de stéréotypes qui ne font que reproduire l'image de l'Autre dans les textes des Mille et une nuits. Malgré toutes les mutations qu'ont les connues les sociétés orientales, beaucoup de réalisateurs occidentaux se conforment absolument à cette manière de représenter l'Autre, en en donnant une image fixe et décontextualisée.

Le film Tangerine (2008), réalisé par l'Allemande Irene Von ALBERTI, s'inscrit amplement dans cette conception assez négative qui, loin de jeter les ponts entre l'Orient et l'Occident, participe à amplifier l'abîme entre les deux univers.
Par une vue panoramique sur la ville de Tanger, le film s'ouvre sur l'appel à la prière, sans ancrage temporel : l'aurore ? Le crépuscule ? Ce clin d'œil assez malicieux est renforcé par la confusion des codes culturels et religieux. En effet, lors d'une scène, l'on est stupéfait par le fait que la femme - qui est une maquerelle - se met à faire la prière pendant que le muezzin appelle à l'exercice moral. Cette critique explicite de la culture orientale est encore manifeste dans une autre scène où l'époux allemand et la Marocaine font l'amour avec comme fond sonore l'appel du muezzin.

La caméra subjective joue dans le film un rôle déterminant, dans le mesure où elle nous permet d'appréhender le point de vue de la jeune épouse allemande, qui vient visiter le Maroc - Tanger, à la recherche des plaisirs exquis : sexe, narguilé... Cette focalisation interne met en exergue le regard réducteur que l'étrangère jette sur un monde différent, à l'instar du personnage de Lola chez Nabil AYOUCH.
À cela s'ajoutent des images qui, à cause de leur immobilité, fonctionnent comme des cartes postales et servent techniquement de "raccords" entre les scènes et les séquences, dont des chats qui se nourrissent dans des poubelles ; un garçon marocain perché dans un balcon, pendant la nuit ; une plage vue de par-dessus les toits de la ville...

L'être oriental n'échappe point à cette vision dévalorisante, en ce qu'il est présenté soit comme violent, en témoigne le vieil homme qui bat la jeune fille et la persécute, et de fait il est l'antidote de l'Allemand qui prend sa défense ; soit comme un nécessiteux, tels les garçons ou la femme qui demandent de la charité, ou encore une personne corrompue qu'illustre bel et bien l'avocat, au même titre que l'aubergiste dans Whatever Lola Wants. En outre, presque toutes les femmes du film s'adonnent à la prostitution en vue de subvenir à leurs besoins. La belle et jeune marocaine (Amira) est même prête à sacrifier son corps pour pouvoir obtenir un visa.
Parallèlement, le film nous donne une image valorisante de la femme allemande, du fait qu'elle cherche à rendre son mari heureux en le mettant en contact avec Amira qui, de par son nom, introduit l'étranger dans un univers de magie et de délices.

Cette vision dénaturalisante de la ville de Tanger, on la retrouve également dans certains films étrangers, tel Un thé au Sahara de Bernardo Bertolucci, entre autres, auquel Tangerine fait écho partiellement par la présence du couple étranger, qui s'y installe à la quête d'un univers mythique où la sexualité masculine en crise se ravive en contact avec le corps oriental.

À cet égard, il est impératif pour un critique de se servir d'une méthode qui se veut objective, telle l'approche comparative, afin de corriger cette vision unidimensionnelle. La filmographie de Moumen SMIHI est notamment incontournable. Depuis Chergui ou le silence violent jusqu'à El Ayel, le gosse de Tanger, ce réalisateur tangérois développe une image assez nostalgique de la ville, sans la mythifier. En effet, Tanger est un espace de rencontre des différentes cultures (andalouse,, marocaine…) et religions (Islam, Christianisme, Judaïsme). Elle est donc un espace historique où chaque événement si anodin prend sens et acquiert de l'ampleur.
Dans les films de SMIHI, la réalité prosaïque se trouve non seulement affichée, mais également dépassée par une dimension à la fois poétique et historique que l'œil-caméra nous fait découvrir. Dans un silence onirique, la succession des lieux sacrés - minarets, églises, synagogues - et des ruelles portant des noms des personnages universels, nous met au cœur même de l'Histoire marocaine, mais en tant que partie intégrante de l'Histoire universelle. Pour SMIHI, semble-t-il, chaque signe, chaque indice, chaque nom propre, à Tanger, nous invite à re-lire ce qui a constitué l'essence même de cette ville, à savoir la coexistence des êtres, des cultures et des religions.

C'est pourquoi, un regard cinématographiquement "objectif" serait celui qui relie les deux bouts de la réalité marocaine sans pour autant entraver les fictions possibles. À notre humble connaissance, cela est encore rare, pour ne pas dire inexistant.

Bouchta FARQZAID

Article paru dans Le Reporter (Casablanca) du 12 avril 2009.

http://www.lereporter.ma/index.php?option=com_content&view=article&id=1951:limage-de-tanger-au-cinema-irene-von-alberti-et-moumen-smihi&catid=92:tribune-libre&Itemid=277

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