AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 935 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Les feux de Mansaré, Mansour Sora WADE
L'adieu aux armes
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 29/07/2009
Jean-Marie Mollo Olinga
Jean-Marie Mollo Olinga
Mansour Sora Wade, au Fespaco 2009
Mansour Sora Wade, au Fespaco 2009
Mansour Sora Wade sur le tournage des Feux de Mansaré
Mansour Sora Wade sur le tournage des Feux de Mansaré
Ibrahima Mbaye dans Les Feux de Mansaré
Ibrahima Mbaye dans Les Feux de Mansaré
Mansour Sora WADE et son actrice principale, Khady NDIAYE Bijou, au FESPACO 2009
Mansour Sora WADE et son actrice principale, Khady NDIAYE Bijou, au FESPACO 2009
Mansour Sora Wade, en 2005 à Dakar
Mansour Sora Wade, en 2005 à Dakar
Ecrans Noirs 2009
Ecrans Noirs 2009
Fespaco 2009
Fespaco 2009
Khouribga, FCAK 2009
Khouribga, FCAK 2009
Khady NDIAYE Bijou, Hôtel Indépendance (Ouaga, 2009)
Khady NDIAYE Bijou, Hôtel Indépendance (Ouaga, 2009)

Dans son premier long métrage, Ndeysaan ou Le prix du pardon, Mansour Sora Wade met en opposition deux amis d'enfance, deux frères, qui se disputent une femme, au point d'en arriver à la mort. Les feux de Mansaré, le deuxième long métrage de Mansour Sora Wade, a hérité de cette intrigue : deux amis d'enfance, Mathias et Lamine, se disputent Nathalie. À sa naissance, celle-ci a été promise à Mathias, parti chercher fortune à l'étranger. Mais, la jeune fille est plutôt amoureuse de Lamine, l'instituteur du village, aux revenus modestes. L'un des rivaux est chrétien, l'autre est musulman.

Au-delà de la fable de Ndeyssaan, Les feux de Mansaré se présentent comme une métaphore de la situation actuelle de l'Afrique. Symbolisé par Nathalie, une jeune femme vierge et aux charmes éblouissants, le continent noir regorge de richesses qui suscitent tant les convoitises des locaux que des étrangers. Convoitises qui débouchent inéluctablement sur la violence. Film contemporain, il se déroule dans un village au paysage quasi désertique, filmé en plans larges, comme pour mieux présenter le décor dans lequel se déroulent les affrontements. Il y a, ici, de la part de Sora Wade, une volonté de rendre compte et surtout d'attirer l'attention sur les dangers qui guettent ou menacent l'Afrique : la déshumanisation à travers la tentative viol de Nathalie par Mathias ; les divers trafics (armes et diamants) ; la toute-puissance de l'argent et du pouvoir ("La sagesse est meilleure conseillère que l'argent et le pouvoir", prévient le chef Kanouté) ; etc. Et pour tirer la sonnette d'alarme, le réalisateur se sert d'un personnage omniprésent dans son film, le fou du village, qu'on retrouve dans bon nombre d'œuvres littéraires et cinématographiques africaines. Il y est presque toujours celui qui sensibilise, informe ou dénonce sans fards, mais que personne n'écoute, du fait de son handicap. S'il est considéré par certains comme "un artiste qui a pété les plombs", la travailleuse d'une Ong humanitaire, elle, trouvera pourtant qu'il "n'est pas si bête, ce fou", et Mathias reconnaîtra, à un moment : "Il a raison, ton fou". Néanmoins, il continuera de conseiller : "Ecoutez les hommes de Dieu… Ils nous amènent la lumière".

Outre le personnage du fou, Sora Wade introduit en scène un autre, un gamin, dès la séquence d'ouverture. Obnubilé par le cinéma, il l'illustre par le cadre formé par le pouce et l'index de ses deux mains, cadre dans lequel se déroule toute œuvre filmique. Au travers de ce jeune homme, le réalisateur ne rend-il pas hommage au septième art en l'élevant au rang de mémoire, lieu par excellence de conservation des souvenirs ? Ce n'est donc pas un hasard si ce gamin immortalise, grâce à sa caméra, les différentes scènes et étapes de la vie à Mansaré, qu'il enverra d'ailleurs à la télévision nationale, pour qu'elles soient sues ou vues du monde entier.

La notion de cadre apparaît dans Les feux de Mansaré comme l'un des éléments prépondérants de sa mise en scène. Lorsque le gamin, le cinéaste en herbe, vient brièvement suivre les cours à travers la fenêtre de sa salle de classe, par exemple, Mansour Sora Wade n'inscrit-il pas ce deuxième cadre, celui de la fenêtre, dans le cadre préexistant, celui de l'objectif de sa caméra ? Par cette mise en scène, ce double cadrage n'enferme-t-il pas son personnage dans une espèce d'obsession par rapport à ses souhaits intimes, un peu comme François Truffaut dans ses films avec Antoine Doinel, ou encore Kiyoshi Kurosawa qui n'hésite pas à filmer ses personnages dans l'encadrement d'une porte, d'une fenêtre ou d'une vitre de voiture ? Fort heureusement, cette esthétique du cadrage ne demeure pas figée, car le jeune cinéaste finit par sortir du cadre ; il finit donc par se libérer, au point d'outrepasser les limites du village.

Par ailleurs, ce deuxième long métrage de Mansour Sora Wade ne tient pas du premier seulement au niveau de l'intrigue. Le réalisateur est demeuré fidèle quant à l'utilisation des couleurs. C'est ainsi qu'il choisit à dessein d'habiller la milice de Mathias en noir. Le noir ici comme couleur anti-paix colporte une symbolique faite de violence, d'antipathie et de négativité ; c'est la couleur du mal. Contrairement au blanc porté par Lamine et à la robe de la mariée de Nathalie, symbole de pureté, d'innocence, de vertu, de chasteté, de fidélité, de la lumière qui triomphe de l'obscurité. Malgré cette utilisation appropriée des couleurs, le film de Sora Wade comporte tout de même quelques limites.

Concernant le jeu des acteurs, par exemple, Ibrahima Mbaye (Mathias) écrase tant et si bien les autres acteurs de son talent qu'il les ravale au rang de comparses. On eût dit qu'ils ne jouent que pour mettre en exergue cet immense talent. Manifestement, tous les acteurs n'auraient pas été dirigés avec un égal bonheur. En dehors de Mathias, on a le sentiment que les motivations des autres personnages n'ont pas été bien campées. Comme la jeune femme qui commande la milice de Mathias, ils ne semblent pas avoir véritablement été libérés de leur être réel pour jouer des rôles.

Finalement, Les feux de Mansaré laissent l'impression d'avoir échappé à leur réalisateur sur les cinq dernières minutes. Pour faire retomber la tension, il choisit une fin quelque peu tirée par les cheveux, voulant à tout prix se rapprocher de ce qu'on a vécu dans certains pays (Côte d'Ivoire, Libéria, etc.), où des armes ont été brûlées pour signifier la fin des conflits. Mais, la fin de ce film paraît trop simpliste, à l'exemple de cet assassinat dont on connaît la meurtrière, mais à qui rien n'est reproché, dans un village qui tient à la vie. Tout aussi simpliste et même déroutant, cette grossesse de Nathalie qu'on découvre sans révélateurs. Visiblement, Mansour Sora Wade avait beaucoup d'idées dans sa tête quand il tournait ce film où l'on dit adieu aux armes et à l'amour, comme chez Hemingway. Il a voulu tout y mettre et, comme le dit l'adage, qui trop embrasse mal étreint.

Jean-Marie MOLLO OLINGA

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés