La fièvre des mangas
Le festival de Locarno, ville suisse située sur les rives enchantées du Lac Majeur, est un lieu de découverte. La 62è édition (5-15 août) est un passionnant voyage dans l'univers des mangas, ces cartoons japonais qui soulèvent les plus grandes passions cinéphiles.
Le programme s'intitule Mangas impact, The World of Japonese Animation. Il arrive au festival de Locarno grâce au Musée National du Cinéma de Turin, en Italie. La rétrospective Manga comporte cent titres. Les mangas sont au départ des bandes dessinées qui ont été adaptées par la suite dans des séries TV.
"Manga" en japonais signifie "esquisse". Les oeuvres les plus connues sont celles de Isao Takahata, Hayao Miyazaki, Taiji Yabushita. Ce sont eux qui ont imposé les héros de Dragon Ball, Ghost in the shell, Akira, Cleopatra, Pom Poko, Kill Bill...
Le festival de Locarno a aussi cette année les yeux tournés vers la Chine, Hong kong et Taiwan. Dans la section parallèle Open Doors qui a déjà montré des films du Maghreb, du Proche Orient et d'Amérique Latine, c'est au tour cette année des cinéastes indépendants de Chine.
Les films suisses ne sont pas en reste au festival de Locarno. À l'ouverture, on a vu une oeuvre magnifique de Fredi Murer : Vitus (2006), acclamée par une salle comble et suivie par un concert donné par l'Orchestre de la Suisse italienne sous la direction de Mario Beretta avec le jeune pianiste prodige Théo Gheorghiu, le héros de Vitus. L'histoire est celle d'un enfant surdoué, pianiste virtuose qui se révolte contre ses parents, préférant vivre avec son grand père qui lui apprend à piloter un avion... Le grand père dans le film est joué par le grand acteur suisse Bruno Ganz.
Vitus a représenté la Suisse aux Oscars 2007 et attiré un public national très nombreux.
Le cinéma suisse actuel se porte assez bien. Dans les 568 salles que compte le pays, la production nationale se maintient à un bon niveau réalisant 580.000 entrées en 2008, pas très loin derrière les films américains et français.
Mais les Suisses sont cependant satisfaits puisque le film qui a le plus marché dans leurs salles : James Bond - Quantum of Solace (800.000 entrées) a été réalisé par Marc Forster, cinéaste d'origine helvétique...
Sale temps pour la bibliothécaire
En compétition pour le Léopard d'Or un très beau film russe, Buben.Baraban (Battements du coeur) de Alexei Mizgirev. Une perle, un des choix évident pour le grand prix.
Il pleut sur les rives du Lac Majeur. Une pluie suisse sérieuse, qui lâche des cordes des noirceurs du ciel et qui sème la panique sur la Piazza Grande en pleine projection du film américain My Sister's Keeper, de Nick Cassavetes. Pas de chance pour ce film. Déjà la veille, on annonçait que le festival n'avait pas invité la star du film, Cameron Diaz. Sa venue à Locarno aurait coûté 100.000 francs suisses, et le président du festival, Marco Solari, a dit de toutes façons les stars n'ont rien à dire...
Locarno festival anti-star mais terrain favori des jeunes réalisateurs doués de talent. Comme le Russe Alexei Mizgirev dont le film éclipse tout ce qu'on a vu en ce début de compétition.
Dans Buben.Baraban, il y a une très belle mise en scène et un vrai langage cinématographique. C'est la triste histoire de Katia, bibliothécaire au salaire de misère jamais payé à temps, qui finit par voler des livres pour les revendre à la gare à l'arrêt des trains. L'histoire se passe dans la région de Tula lors de la puissante grève des mineures qui a paralysé toute la Russie, une région extrêmement pauvre où les gens vivent dans le noir désespoir conséquence de l'ouverture libérale de l'économie nationale.
Un jour, un marin débarque dans la bibliothèque et remet un livre qu'il dit avoir acheté à la gare, sans reconnaître Katia la vendeuse clandestine. Par la suite, Katia, 45 ans et sans vie affective éprouve des sentiments pour le marin honnête et espère changer de vie. Mais celui-ci découvre le trafic et quitte la ville sans espoir de retour. On saura à la fin qu'il est lui-même un filou recherché par la police...
Katia est jouée par la grande actrice Natalia Negova, aussi impressionnante dans cette oeuvre que dans son rôle dans un autre chef d'oeuvre russe La Petite Vera, de Vassili Pitchul.
Le Léopard rebondit
Dans la course au Léopard d'Or du 62è Festival de Locarno, L'Insurgée, premier long métrage du cinéaste français Laurent Perreau a aussi ses chances...
Présenté en compétition et en première mondiale, L'Insurgée est un sérieux concurrent, pour le grand prix, face au film russe d'Alexei Mizgirev. C'est le portrait magistral de Claire, 17 ans, amoureuse et championne de natation, jeune orpheline qui vit (mal) ses rapports avec son grand père qui l'a accueillie dans sa grande demeure. Cet homme est un ancien résistant, célèbre compositeur de musique classique et probablement mystérieux conseiller financier d'un émir du Golfe.
Michel Piccoli, acteur majeur, campe avec son talent sidérant le personnage du grand père Maurice Reverdy. La toute jeune et déjà très convaincante comédienne Pauline Étienne est Claire dans ce film absolument passionnant de bout en bout, dans la pure tradition du meilleur cinéma français, celui de Truffaut, Rivette, Téchiné et Chabrol aussi...
Tout dans L'Insurgée repose sur le jeu des acteurs, il y a peu de mots, mais un grand travail de mise en scène, du décor, des lumières. Le récit oppose deux générations, le grand père et sa petite fille. Laquelle est mal dans sa peau, aime un garçon ébloui par les romans de Conrad et qui un jour disparaît. On voit deux âges qui se repoussent et s'attirent à la foi, à cause des liens de sang qui les unit.
Au bout de l'histoire, le grand père fait une chute dans l'escalier, cet incident facilitera les retrouvailles ; leurs trajectoires finiront par se croiser. L'Insurgée est de ce fait un film optimiste puisque tout finit bien. Claire se réconcilie avec son grand père qui lui dit de faire un grand voyage, d'aller voir les pays lointains, de découvrir les grandes villes du monde, de voler de ses propres ailes.
Le titre anglais du film, c'est d'ailleurs Restless : quelqu'un qui bouge sans arrêt ; partir ailleurs parce que les contacts, les échanges sont les meilleures leçons de la vie. Et Claire est très impatiente de construire sa propre vie.
Laurent Perreau fait preuve dans cette première oeuvre d'une sincérité et d'un talent admirables. L'Insurgée n'est sans doute pas loin de capturer le Léopard...
Azzedine Mabrouki