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Entretien avec Kollo Daniel SANOU
autour de son troisième long métrage intitulé Sarati, le poids du serment.
critique
rédigé par Emmanuel Sama
publié le 08/09/2009
SANOU Kollo
SANOU Kollo
Scène du film Sarati, le poids du serment
Scène du film Sarati, le poids du serment
Kollo Daniel SANOU
Kollo Daniel SANOU

Emmmanuel SAMA : SANOU Kollo vous venez de terminer le tournage de votre troisième long métrage. Parlez nous des thématiques que vous abordez dans votre film qui, semble-t-il, traite de trahison et de nouvelles religions. Que pouvez-vous en dire ?

Kollo Daniel SANOU : Le poids du serment est une fiction que j'ai écrite il y a plusieurs années et qui raconte l'histoire de deux amis (Nyaman et Sibiri) membres de la confrérie des Dozo. Ce sont des chasseurs traditionnels très connus au Burkina Faso, au Mali, en Côte d'Ivoire et ailleurs à l'Ouest du continent. C'est un peu comme un conte mais sur la vie, où il y a de l'amour, de la passion, la trahison, des engagements qui ne sont pas souvent respectés.

Le poids du serment, c'est un peu tout ça. Je me sers un peu d'un parcours initiatique, d'un parcours de la vie de mes personnages centraux du film (Nyaman et Sibiri) qui se trouvent engagés dans une confrérie et qui vont trahir leurs engagements chacun de son côté au hasard de la vie et pour finalement subir les conséquences de cette trahison volontaire ou involontaire.



Le sujet est - il inspiré des faits réels ou par d'autres motivations ?

C'est parti d'une motivation personnelle. J'étais au Canada à Montréal en 1984 quand j'ai vu sur les écrans le film Les Dieux sont tombés sur la tête. Moi-même je suis tombé un peu à la renverse en me disant que c'était un peu ridiculiser les Africains dans leurs croyances traditionnelles. C'est vrai que c'était un film comique. Mais en même temps j'étais gêné de la manière dont ce Bushman était traité dans le film. Pour une bouteille de boisson, il se trouve en train de faire des kilomètres et des kilomètres pour aller jeter l'objet dit maléfique.

J'ai donc décidé d'aborder ce sujet à ma manière à travers le parcours de mes personnages afin de montrer les bouleversements que subissent nos croyances traditionnelles. L'animisme fait partie intégrante de notre culture, en particulier de la culture manding dont je suis issu.

Je me suis rendu compte que l'animisme est présent dans nos réalités quotidiennes que l'on soit chrétien, musulman ou d'une autre confession religieuse. C'est une réalité que l'on vit. L'Africain a donc une double identité religieuse inavouée. J'ai aussi voulu montrer en particulier, à travers le parcours du personnage principal, la rencontre entre deux religions, une religion traditionnelle animiste et une religion dite révélée qui est en fait une secte. La secte ne désigne personne. Mais vous allez voir quand le film va sortir en salle. Il pose le problème d'appartenance religieuse, de choix de religion, de symbiose. Comment trouver un équilibre entre deux types de croyances selon que l'on soit musulman ou chrétien.



Le film a exigé des décors ou des costumes particuliers qui ont nécessité que vous alliez dans la région de l'ouest (région de Orodara) pour tourner… Parlez nous un peu de ces aspects.

Nous avons tourné à Samogoyiri dans le Kénédougou en mi-juillet - mi-août 2009. J'avoue que l'abondance des pluies a failli nous créer des problèmes.



Pourquoi avez-vous choisi cette région ?

Nous avons choisi cette région parce que dans cette zone la tradition Dozo est encore plus vivace. Grâce à l'appui du grand frère Konomba TRAORE, qui a été notre facilitateur, nous n'avons eu aucune difficulté durant le tournage. En effet, nous avions besoin d'un guide connaisseur de ces réalités, parce que mon film traite des questions animistes assez délicates.



Vous avez donc fait des sacrifices ?

Ah oui ! Il faut bien respecter les traditions en place afin de pouvoir obtenir ce qu'on veut dans le film.



Qu'est-ce que vous leur avez donné ?

Non, je ne vous dirai pas.



Mais il y a au moins un minimum que vous pouvez nous dire ?

Le minimum, c'est que j'avoue que c'est la première fois qu'on nous a permis quand même de montrer comment est ce qu'un engagement - une espèce d'adhésion à une confrérie - se fait textuellement. Donc pour filmer cela il faut consentir à respecter la tradition en la matière. Et nous avons été bien servis grâce au soutien du grand frère Konomba TRAORÉ qui joue aussi un rôle dans le film.



Qu'en est-il des costumes ?

Pour les costumes, c'est le chef Dozo qui a mobilisé toute la confrérie. Des anciens Dozos ont donc joué dans le film. Vous allez le voir. Les costumes sont très impressionnants, c'est comme un peu à l'image de Tasuma. Le costume, c'est le symbole du film.

Le costume de Tasuma est un costume de tirailleur sénégalais avec les médailles. Mais ici le costume Dozo, c'est tout le symbole de l'animisme. Le costume Dozo est connu. On rencontre souvent ces gens là dans les rues de Ouaga ou de Bobo qui déambulent se présentant comme guérisseurs ou charlatans et même assurent aussi la sécurité à un certain niveau dans certains pays. Durant les conflits dans la sous région, nous avons vu qu'ils s'y étaient impliqués en Côte-d'Ivoire, en Sierra Léone comme en Gambie. Les Dozos sont une confrérie porteuse des réalités culturelles de notre sous région. Une rencontre annuelle des Dozos instituée par le Ministère de la Culture du Mali a même lieu chaque année à Bamako. Cela témoigne de l'importance accordée au culte des Dozos.

Donc le costume a une grande importance dans ce milieu et vous allez le découvrir dans le film. Je m'en sers d'ailleurs comme un symbole de prise de conscience de mon personnage qui a perdu la mémoire.



Vous semblez, si on extrapole, demander un retour aux sources des traditions ? C'est quoi au juste le message ?

Mon message, c'est la tolérance. Je ne fais pas de machine arrière pour dire qu'il faut revenir au passé. Mais il faut reconnaître que l'animisme est une réalité pour nous à l'Ouest du continent. Il ne faut pas l'ignorer.

L'animisme est présent dans notre vie de tous les jours. Il est attaché à notre culture. Par exemple au palais de l'Empereur des Mossés, le Mogho Naaba de Ouagadougou, vous ne pouvez pas exclure l'animisme, ce sont des traditions que nous continuons de pratiquer, voir de sauvegarder. À mon avis, il ne faut pas avoir honte de cette réalité. Il faut tout simplement cultiver un esprit de tolérance, surtout dans un monde où les conflits religieux se développent. L'Africain doit reconnaître ses origines, montrer au monde ses réalités positives.

On ne peut pas tous s'aligner sur des croyances venues d'ailleurs. Je ne citerai personne. Mais il ne faut pas non plus considérer que tout ce qui est de notre vieux terroir est obsolète.

Si vous fouillez bien, vous allez voir au delà des océans, au Brésil par exemple qu'il y a un syncrétisme entre les croyances traditionnelles et d'autres religions. C'est la même chose à Cuba ou en Haïti. Ce sont des esclaves qui ont amené avec eux les fondements de ces religions. Pourquoi en Afrique on continue de nier cette réalité ?



Comment traitez-vous des nouvelles religions dans votre film car il s'agit d'une secte ? Vous montrer que c'est de l'escroquerie ? De dévoiement de l'âme ? De lavage de cerveau ? Comment présentez-vous ces nouvelles sectes qui pullulent un peu partout en Afrique ?

Je ne vais pas vous raconter mon film. Attendez que le film sorte pour aller découvrir l'histoire. C'est encore plus intéressant pour chacun.

Mais à partir du moment où j'ai choisi de mettre en confrontation une secte et mon personnage qui vient d'une religion traditionnelle qui a ses croyances, cette rencontre est un peu difficile parce que la secte a sa manière de fonctionner au quotidien. En effet, ce sont des gens qui vivent de dîmes, qui ont besoin aussi de recruter du monde autour d'eux. Ce sont des réalités aussi connues en Afrique.

Moi je n'attaque vraiment personne. Je n'ai aucune prétention. Je sais que j'aborde un sujet délicat. Chacun à ses croyances, ses convictions religieuses qu'il défend en tout le temps. Moi, je n'ai fait qu'illustrer une fiction liée à la réalité d'un conflit latent, qu'il faut bien regarder en face à travers ceux qui rejettent totalement nos traditions spirituelles au détriment des valeurs importées par la colonisation.

Je pense qu'aujourd'hui, on parle de valorisation du patrimoine culturel et de sa diversité. L'UNESCO en fait son cheval de bataille. On a même classé les ruines de Loropéni au Burkina Faso comme patrimoine mondial de l'humanité. D'autres éléments culturels peuvent être mis en valeur. "Le faux départ" du Moro Naaba par exemple est un événement traditionnel célébré tous les vendredi depuis des générations.

La confrérie des Dozos existe depuis l'époque de Soundiata KEITA, sous l'empire mandingue. Bref, nous aurons l'occasion d'en parler avec ultérieurement avec d'autres spécialistes de la question à la sortie de mon film.



On ne va donc pas rentrer dans les détails du film. La production de Tasuma a été pour vous (avec votre Co-sociétaire Clap Afrik) un véritable parcours du combattant qui a duré des années. Il me semble que Le poids du serment a bénéficié de conditions plus favorables pour sa production.

Pour ce qui est du financement, je peux dire que c'est la première fois que je bénéficie d'un financement concret de l'État burkinabé. Cela grâce au Ministère de la Culture, du Tourisme et de la Communication qui est qui est très dynamique. J'avoue qu'avec le financement de l'État, nous avons pu tout de suite entamer la production. Le Ministère des Affaires Étrangères français en 2005 nous avait apporté un financement de la commission "Fonds image Afrique" mais par la suite nous n'avons pas pu trouver d'autres financements en France. Cela est dû au fait qu'il y a beaucoup de demandeurs d'aide. Et de plus en plus là-bas aussi les portes des bailleurs de fonds se ferment. "Le Fond images Afrique" par exemple n'existe même plus.

J'avoue que ça a été une chance pour nous d'avoir ce petit déblocage qui nous avait été promis bien avant le FESPACO 2009. Mais pour des raisons multiples nous n'avons pas pu l'obtenir à temps afin d'engager la production de ce film. Cette fois ci, les images sont tournées mais ce n'est qu'une étape. Il reste à faire le montage, trouver de l'argent pour faire le gonflage en 35 mm en prévision de la sortie en salle et pour des manifestations culturelles comme le FESPACO, ou d'autres festivals cinématographique en Europe ou en Amérique.



Dans quel format avez-vous tourné ? Et de quelles compétences avez-vous bénéficié ?

J'ai disposé d'une équipe technique très dynamique notamment au niveau de la direction de la photo et du son et bien sûr de la production de Clapafrik. Mes techniciens sont tous Burkinabés. Nous avons des compétences locales confirmées et nous avons tourné en haute définition (HD). Ce qui permet donc de gonfler les images en 35 mm dans de bonnes conditions techniques pour les salles de cinéma.



Comment se présente le casting de votre film ?

Je pense qu'au Burkina Faso nous avons des compétences en la matière. J'ai cependant donné un rôle important à Etranny Norbert YAO qui est Ivoirien et qui a joué le rôle de gourou dans le film dans un souci d'intégration régionale. Pour nous remercier de sa participation à cette production, il a tenu à nous féliciter en disant que c'est sa première fois qu'il travaillait sur un plateau avec une équipe aussi dynamique, dans un esprit détendu et de professionnalisme. Cela nous rassure qu'au Burkina, on peut compter sur nos compétences techniques parce qu'il fût un temps où la tendance était d'aller chercher ces compétences à l'étranger.

Maintenant qu'on est à l'ère du numérique, je pense que la plupart des gens ont compris qu'il faut compter sur ceux qui ont une bonne formation professionnelle ou une très bonne expérience. Le cinéma ça ne s'apprend pas dans la rue. Certes il y a ceux qui ont fait leur expérience sur le tas, et qui se confirment dans le temps ainsi que de par leur expérience. Mais il y a un niveau technique à maîtriser. Il faut connaître les équipements et l'organisation du tournage. Ce n'est vraiment pas quelque chose qui s'apprend dans la rue.



Globalement cette première étape de tournage du film vous a coûté combien ?

Le producteur pourrait mieux en parler. En effet, Clapafrik est géré Pierre ROUAMBA et les films du Mogho par Toussaint TIENDREBEOGO à Paris. Ce sont les personnes qui pourront le mieux vous parler de ces questions de budget. Ces deux structures ont fait l'expérience de Tasuma et j'espère que mon film pourra se terminer dans de bonnes conditions.



Quand peut-on s'attendre à l'achèvement du film ?

Nous devons chercher l'argent pour le montage. En effet, l'argent dont on disposait est totalement épuisé au tournage. Maintenant, il faut trouver de quoi payer les techniciens, assurer le montage. On veut faire le travail jusqu'au bout de la copie 35 mm, donc avoir l'assurance de pouvoir présenter le film dans de bonnes conditions.



Y a-t-il des télévisions internationales ou continentales qui sont impliquées dans la production de votre film ?

Non ! C'est dans la recherche de fonds pour la post-production que nous allons taper à toutes les portes et même repartir vers l'État, car la finition d'un film coûte cher, même si on tourne en numérique.

Il faut savoir que le film argentique coûte cher mais peut se conserver pour des siècles. Le premier film réalisé par les frères Lumière en France en décembre 1895, continue de circuler dans le monde entier. Ce n'est qu'un problème de conservation. Mais il faut que ces films aussi soient de bonne qualité avec de bons thèmes qui peuvent servir de repères pour les générations à venir.

réalisé par Emmmanuel SAMA,
le 23 août 2009

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