Preuve de la sélection prestigieuse et dynamique du 34e Festival de Toronto : le même jour au programme trois films d'une rare qualité : Moloch Tropical de Raoul Peck (Haiti), Adrift de Bui Thac Chuyen (Vietnam) et Cairo Time de Ruba Nadda (Canada). Rachid Bouchareb a aussi eu des éloges pour son film London River.
Dans Moloch Tropical, Raoul Peck fait le portrait d'un président de Haïti que les Américains ont mis au pouvoir pour fini par le chasser. C'est une histoire qu'il connaît bien et qu'il n'a pas eu besoin d'inventer. Raoul Peck a été ministre de la culture de Haïti en 1996-97, après avoir fait des films comme Lumumba, Haitian Corner, L'Homme sur les quais. C'est le récit plein de rebondissements des dernières vingt quatre heures d'un homme qui livre sa dernière bataille.
C'est un ancien prêtre catholique. Mais que veut-on qu'un prêtre devienne quand il a le pouvoir absolu et qu'il fait régner la terreur ? Il devient un diable qui délire et qui voit sans pitié mourir un opposant brûlé vif sous ses yeux, un homme qu'il considérait comme un frère. Il devient un pauvre type malade qui s'appuie aux murs pour marcher et qui a fait de Haïti un pays plein de haine et de sanglots. Il supplie ses commanditaires pour garder le pouvoir mais il saigne et tombe a terre, et quand sonne l'heure, l'ambassadeur américain observe son visage blême avec mépris, le force à signer sa démission et l'expulse hors du pays. C'est une histoire terrible, les molochs de ce genre sont légion en Afrique noire et même au Maghreb, à commencer par le bouffon Khadafi.
Moloch Tropical est un regard lucide, fouillé sur la tragique histoire de Haïti. L'acteur algérien Zineddine Soualem dans le rôle inattendu du président donne une performance hautement remarquable. Moloch Tropical a été tourné dans un lieu spectaculaire : la Citadelle Laferrière qui date du XIXe siècle, perchée au sommet d'une montagne escarpée.
Une chose est sure : le Vietnam possède une nouvelle vague de cinéastes de talent. Adrift se passe à Hanoi aujourd'hui, c'est un récit d'initiation,le passage de l'innocence à l'age adulte, et c'est aussi un univers intime, poétique, sensuel, plein de grâce. Bref, un cinéma nouveau au Vietnam délicat et subtil dans tous ses aspects. Le film de Bui Thac Chuyen a soulevé l'enthousiasme des spectateurs de Toronto.
C'est le cas aussi de Cairo Time, de Ruba Nadda, une jeune cinéaste de Montréal. Comme son titre le dit, l'histoire se passe dans la vibrante capitale d'Égypte.
Une journaliste canadienne en visite au Caire attend que son mari diplomate revienne de Gaza. À l'hôtel mythique Sheppard au bord du Nil, l'attente s'éternise et la Canadienne visite la ville avec un ami égyptien de son mari. On devine vite ce qui va se passer entre eux. Mais le vrai sujet sans doute du film c'est : Le Caire. Jamais sans doute Le Caire n'a été aussi sublimement filme depuis Youcef Chahine, dont Misr Films a coproduit Cairo Time.
Patricia Clarkson et Alexander Siddig sont les héros de cette romance égyptienne. Ils marchent dans la ville jusqu'a épuisement, accompagné d'une suave complainte d'Abdelhalim Hafez et gardent secrets leurs désirs enfouis.
Azzedine Mabrouki
