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Stolen, de Violeta Ayala et Daniel Fallshaw
Comment un documentaire peut être pervers
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 07/12/2009
Hassouna Mansouri
Hassouna Mansouri
Stolen
Stolen
Violeta Ayala
Violeta Ayala
Daniel Fallshaw
Daniel Fallshaw
Stolen
Stolen
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Stolen
Stolen
Stolen

Il est des films qui vous laissent indifférents. Il en est d'autres qui réveillent en vous une question, une curiosité, une émotion… Il y en a d'autres qui vous mettent complètement en colère. Projeté dans le cadre de ce 22ème Festival International du Documentaire d'Amsterdam (IDFA), Stolen de Violeta Ayala et Daniel Fallshaw est bien de ceux là. Les deux réalisateurs semblent ne jamais avoir appris qu'il y a des sujets qu'on ne peut traiter avec légèreté sous le prétexte aberrant d'un moralisme naïf et insultant pour le spectateur que l'on prend, veut prendre en otage.

Après avoir introduit le film, la réalisatrice a souhaité au public d'avoir du plaisir en le regardant : "enjoy the screening". Cette formule aurait pu être tout ce qu'il y a de normal dans un autre contexte. Mais lorsqu'il s'agit d'un film qui prétend faire un constat terrible comme celui de l'existence encore de l'esclavage dans n'importe quelle société, il y a de quoi se demander s'il n'y a pas de grandes confusions chez les auteurs du film et si cette réalisatrice ne s'est trompée de lieu et de temps.

Le contenu du film après ce moment annonciateur de la débâcle, et la façon dont il est traité, confirmera plus tard la déroute totale qui se trouve derrière ce qui n'est qu'un projet de film, le moins que l'on puisse dire. Au lieu d'un documentaire de cinéma, les deux cinéastes nous présentent un journal de voyage filmé assorti de quelques ingrédients d'aventure.

Le film s'ouvre par un plan très esthétisé sur les dunes du Sahara et la démarche languissante des chameaux. Tout ce qu'il y a d'exotique ayant un effet de carte postale des plus clichés. La voix off vient par derrière confirmer cette impression. La cinéaste parle de son rêve de visiter cette partie du monde comme une expérience extrême. Tous les éléments d'un projet d'aventure exotique sont dès lors mis en place. En effet, le sujet de fond semble perdu en cours de route.
Au départ, on nous dit qu'il s'agit de poser le problème de cette minorité de Sahraouis qui vivent encore sous le joug d'une organisation sociale féodale anachronique et qui fait qu'un grand nombre de cette société est l'objet d'une pratique esclavagiste. Personne ne pourra nier ce fait, à moins d'être animé par une démagogie bête. Cette partie du monde toute entière vit dans une situation absurde depuis longtemps déjà. Le retrait du colon espagnol n'a rien arrangé. Plus encore, il a rendu la vie beaucoup plus absurde à des millions de réfugiés. Mais cela n'est pas évoqué dans le film, ou du moins il est liquidé avec une légèreté révoltante ainsi que d'autres aspects qui auraient pu donner au film toute sa pertinence et sa profondeur.

De l'aveu des réalisateurs eux-mêmes, ils ont fait le film qu'ils n'étaient pas partis faire. Oui, mais, c'est justement là où se situe le mal. Les réalisateurs se mettent trop au devant de la scène. Le sujet principal, et ce n'est pas n'importe quoi, est délaissé au détriment des difficultés que les deux aventuriers ont dû surmonter pour échapper à la détention par le Polisario ou pour faire sortir les enregistrements qui se trouvent enterrés dans le sable du désert. C'est tout ce qu'il y a de stéréotypé des films d'aventure exotiques, sans aucun propos ni thématique ni esthétique.

La force des témoignages et des images confirmant ou dénonçant le mal de cette population sont du coup réduits au statut d'accessoires. Le fantasme d'un jeu léger qui amuse ce couple d'aventuriers cinéastes leur fait perdre l'essentiel du sujet et du cinéma. Ils en perdent toute forme de dignité. Les personnes interviewées sont réduites à des objets de plaisir pervers. C'est comme si le fait de recueillir les témoignages de cette jeune fille parlant du fait qu'elle appartient à un maître qui la prendrait ou la laisserait comme cela lui chante, ou l'histoire de l'autre qui n'a pas vu sa mère depuis trente ans, s'accompagnent d'une forme de jouissance maligne qui leur fait perdre toute leur gravité. À chacun de ces moments, nous sommes invités constamment à regarder le danger dans lequel se trouvent les deux réalisateurs, plutôt que le fond des choses qu'on veut nous montrer.

C'est trop facile de présenter un projet de film comme une aventure. C'est encore trop facile et irresponsable même quand il s'agit de traiter d'un tel sujet qui nécessite une grande pertinence, une humanité sincère et un respect dans le regard que l'on porte sur ces gens. Ils ont déjà assez souffert d'être exploités, utilisés, asservis… Faut-il encore que deux aventuriers prétendus auteurs de documentaires viennent faire de leur douleur un fond de commerce et source de plaisir. Ce serait le comble de la perversité. Le visage du réalisateur qui s'éclaire de joie, lorsqu'il récupère les enregistrements, réduit à néant les moments où la caméra enregistrait les images de souffrance des personnages ou leurs discours qui révèlent l'ampleur de l'injustice dont ils sont l'objet.

Le fait est qu'une grande partie du film serait du moins de l'ordre de l'anecdote de tournage et servirait pour un making off par exemple. Mais comme le film souffre d'un défaut de construction, d'écriture et de fond moral au sens esthétique, c'est bien cette partie qui prend le dessus sur le sujet le plus grave qui est donc rejeté à l'arrière plan. Quand on mesure la gravité du sujet dont on traite et quand on se présente comme un auteur de documentaire, on doit s'armer de scrupules pour éviter le débordement de la subjectivité et se doter d'une grande rigueur de l'écriture afin d'aller au fond des choses… Sinon il faut changer de métier.
Le respect des gens et du sujet pousserait n'importe quel cinéaste à se documenter, à bien se préparer en cernant le problème et en l'étudiant dans toute sa profondeur. Or, les deux réalisateurs de Stolen, se sont comportés comme deux aventuriers qui portent un regard de colonisateur, qui est de toute évidence anachronique et surtout loin du documentaire et du cinéma.

Hassouna Mansouri

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