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Décès du cinéaste sénégalais Mahama Johnson Traoré
La revendication de la fierté africaine
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 10/03/2010
Michel Amarger
Michel Amarger
Mahama Traoré à l'époque de Njangaan
Mahama Traoré à l'époque de Njangaan

Le rendez-vous n'aura pas lieu. Le décès de Mahama Johnson Traoré, survenu à Paris, le 8 mars 2010, interrompt une conversation enflammée, sur le sens des images. Observateur critique des évolutions du cinéma en Afrique, le réalisateur cherchait des ouvertures pour améliorer la situation sur le terrain. Volontiers présent aux réunions entre professionnels, son idée de créer un espace de formation du cinéma au Sénégal, reste à l'état d'ébauche. La fatigue, engendrée par la maladie qui le frappe à Paris, lors d'une programmation de ses films au Festival du Réel, en mars 1996, ne lui permet pas de concrétiser ses derniers projets. Affaibli par des dialyses, puis une greffe du rein, il se soigne avec acharnement en France, pour mieux réinvestir le cinéma sénégalais où il a posé sa marque.

Artiste engagé, adepte d'une fierté africaine revendiquée, Mahama Johnson Traoré épouse la cause du cinéma avec passion. C'est autour de Dakar, où il naît en 1942, qu'il développe le meilleur de son travail. Pourtant son père, chef d'entreprise, le destine à être ingénieur en électronique. Il complète ses études au Mali puis en France où lors d'un stage pratique, il prend goût à la direction d'acteurs. Sa formation au Conservatoire Libre du Cinéma Français, s'étoffe par des stages à la télévision française, puis au contact de techniciens européens. Mais c'est la réalité du Sénégal qui l'attire. Et Mahama Johnson Traoré participe ardemment au désir d'émancipation du cinéma sénégalais des années 70.

Il pénètre les problèmes de sa société par des films intenses et parfois populaires. L'opposition des classes sociales est le sujet de son premier court-métrage, L'enfer des innocents, 1969. Les prévarications des notables sont dénoncées dans Lambaaye, Truanderie, 1972. Il se signale en abordant la condition des femmes avec Diankha-Bi, La jeune fille, 1969, où trois Sénégalaises connaissent des fortunes diverses selon leur éducation, et Diegue-Bi, La femme, 1970, où un haut fonctionnaire détourne des fonds pour combler une courtisane. L'exode rural qui précipite les Sénégalais vers Dakar, inspire Garga M'Bossé, Cactus, 1974, avec un couple de paysans qui récolte l'indifférence urbaine. La charge contre les abus des écoles coraniques culmine dans Njangaan, N'Diangane, 1975. Un talibé y subit les coups du maître avant de s'enfuir puis d'être replacé dans l'école par son père. Sa fin tragique frappe les esprits.

Ces films creusent la voie d'un cinéma d'auteur, attaché à pointer les disfonctionnements du Sénégal pour les changer. Ils témoignent aussi de la maîtrise de la mise en scène de Mahama Johnson Traoré. Elle s'exerce à la télévision lorsqu'il dirige huit épisodes de la série Fann Océan, 1992. En adaptant une œuvre de Mamadou Seyni Mbengue, le réalisateur emploie avec succès la satire sociale pour livrer des tranches de vie de Dakar. Les intrigues qui s'y nouent, l'individualisme qui s'y propage, sont soulignés par le cinéaste, comme la solidarité populaire à laquelle il aspire.

Fermement ancré dans son époque, Mahama Johnson Traoré cultive le respect des anciens et le culte de la mémoire. Comme l'atteste Reou-Takh, La ville en dur, 1972, un moyen métrage qui rappelle la traite à Gorée, en évoquant les liens d'un Noir américain à ses racines. Le film, interdit au moment de sa sortie au Sénégal, est développé avec une véhémence que le réalisateur manie volontiers dans la vie. Attentif à la reconnaissance des aînés qui ont ouvert la voie du cinéma au Sénégal, et sur le continent africain, il se fait le porte-parole d'un engagement offensif. Sa silhouette altière en impose dans les débats où l'on discute des rapports à l'Occident. Mais il y cherche des alliances pour évoluer.

Malgré la maladie qui le plombe en France, dans les années 2000, il travaille pour des sujets de télévision, et s'engage dans la préparation de Nder, en 2009. Ce long-métrage doit raconter l'action héroïque des femmes de Nder, au Sénégal, qui se sont immolées par le feu, en 1919, pour ne pas être prises comme esclaves par des flibustiers maures. L'épopée menée avec le concours d'une scénariste algérienne, veut célébrer l'esprit de résistance des femmes africaines. Au-delà, c'est la conscience du continent que défend Mahama Johnson Traoré. Le rendez-vous n'aura pas lieu. Le réalisateur a rejoint ses ancêtres à Dakar.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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