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Lettre à la prison, de Marc Scialom
De la genèse à la régénération
critique
rédigé par Mohamed Nasser Sardi
publié le 17/04/2010
Marc Scialom, 2008
Marc Scialom, 2008
Lettre à la prison
Lettre à la prison
Lettre à la prison
Lettre à la prison
Lettre à la prison
Lettre à la prison
Lettre à la prison
Lettre à la prison
Lettre à la prison
Lettre à la prison
Lettre à la prison
Lettre à la prison
Lettre à la prison
Lettre à la prison

Il y a de ces histoires, lorsqu'on les écoute, on ne peut s'empêcher de dire "Que c'est beau !". C'est le cas de celle de Marc Scialom avec son film "Lettre à la prison".

Début des années 60. La Tunisie enterre ses morts en fêtant le départ des derniers soldats de la colonisation. La France et les français ne sont pas en odeur de sainteté. Pas de chance pour la famille Scialom. Le père, un juif italien de Tunis, vient d'obtenir la nationalité française pour échapper aux tracas administratifs. Le fils, Marc, né en 1934 à Tunis, décide, devant la situation explosive de l'époque, de migrer vers l'Hexagone.
Homme de gauche, il trouve le terrain propice pour ce mettre en valeur et réaliser son ambition : faire du cinéma ; plutôt, continuer à faire du cinéma. Déjà en 1957, il a tourné "En silence" (16mm, 35min et en couleurs, s'il vous plaît!) : une histoire à l'eau de rose sur les sables de Raoued (une plage prés de Tunis) et de Djerba.

"Mai 68". Chris Marker, Jean Luc Godard et les autres militent à travers leurs cameras pour instaurer un nouveau cinéma plus proche des réalités des ouvriers et des étudiants. Ils publient "Les États généraux du cinéma" qui définissent le cinéma militant. Marc Scialom est de la partie. Il décide de tourner son film "Lettre à la prison". Le sujet ! L'émigration et l'exil, bien sûr. Quoi de plus normal pour ce descendent d'une famille qui a toujours émigré (Syrie, Espagne, Italie, Tunisie, France). Marc n'en fait pas un drame. Il s'en approprie tous les avantages et se considère "citoyen du monde".

S'abandonnant aux percepts de la charte des cinéastes de "Mai 68", il commence à tourner son film avec les moyens du bord. C'est-à-dire, presque rien. Chris Marker lui prête une caméra à ressort qui ne peut filmer que des prises de vingt secondes, des amis s'investissent dans le projet, sa compagne de l'époque [Nedjma Scialom, monteuse attitrée de René Vautier, Ndrl] l'appuie. Son ami algérien, Tahar Aibi, va jouer le premier rôle : un jeune tunisien qui débarque à Marseille pour apporter de l'aide à un frère accusé, à tort, de meurtre et emprisonné à Paris.

Les conditions du tournage sont difficiles. Elles obligent le cinéaste à délaisser le scénario initial et à laisser son instinct et sa présence d'esprit saisir ce que lui offre le hasard des rencontres : les gens de la rue, un vagabond qui demande une cigarette, une femme qui passe, les parents, les voisins,…. Il revient même à Tunis pour filmer une scène supposée se dérouler à Marseille (le déjeuner sur le toit). Il se dit, qu'après tout, le montage va dénouer tout ça et y mettre de l'ordre.
Malheureusement, à cette époque, le montage ne se faisait pas chez soi, avec un ordinateur ; il fallait manier manuellement une table de montage. Justement, sa compagne travaille dans une station de montage. Elle lui file les clés en douce et il passe toutes ses nuits à monter son film. La tâche s'avère longue et ardue, car il réécrivait l'œuvre au fur et à mesure. Il y inclut même quelques séquences de son film "En silence".

En 1969, "Lettre à la prison" est terminé. Marc Scialom ne se doutait certainement pas qu'il n'en fera pas d'autres avant longtemps !
Quant Chris Marker le voit, il fait cette remarque anodine "il n'est pas assez militant". À cette époque, venant de celui dont le film "A bientôt j'espère" fut critiqué, en 1967, par les ouvriers pour excès de romantisme, une telle phrase ne pardonne pas. Les producteurs refusent de financer une meilleure version du film, jugeant le sujet pas assez politique. Le coup est dur pour le cinéaste. Même les éloges d'un Jean Rouch, quelques années plus tard, ne le feront pas changer d'avis : Marc Scialom décide de passer à autre chose.
Il revient vers un autre amour : la littérature italienne, surtout "la Divine Comédie" de Dante, dont il s'est déjà inspiré en 1966 pour tourner un court métrage "Exils" (35mm/18mn). Il se consacrera dés lors aux études, puis à l'enseignement universitaire, à l'écriture et à la traduction.

Faisant, comme au cinéma, une ellipse.

1998, trente ans après. Marc Scialom est un nouveau retraité. Juif par filiation. Français par ses papiers. Tunisien par ses attaches. Italien par sa culture. Artiste intellectuel par vocation. Citoyen du monde par conviction. Il décide de changer de maison.
Sa fille, Chloé, vient l'aider. Elle lui demande que faire des boites de film qu'elle a trouvé sur une étagère. Il lui dit de les jeter. Ce ne sont que les vestiges d'une autre vie.
Mais, les films sont comme les enfants : ils rechignent à obéir à leur créateur et veulent exister par eux même. Chloé présente la pellicule à l'association "Film Flamme". L'œuvre a de la valeur. Le film est restauré. Depuis 2008, il est fêté dans divers festivals et manifestations de cinéma.

Dans sa dernière présentation, à Tunis, lors de la manifestation "Migrations et Exils", Marc Scialom est venu par lui-même présenter son œuvre. Il semblait en parler avec détachement. Seulement, sa voix qui vibrait et les larmes qui, de temps en temps, perlaient à ses yeux, le trahissaient. Il est ému d'être l'auteur de ce film et de le présenter dans son pays natal, 40 ans après. Et quant il répétait, à plusieurs reprises, qu'il n'a cessé de faire de bêtises dans sa vie, soyez sûr qu'il évoque sa décision, de jadis, de ne plus faire du cinéma. La preuve ! Il est en train de préparer un nouveau film et un nouveau roman. D'ailleurs, il y a des virus qui n'ont aucun antidote ; la passion du cinéma, par exemple ; l'amour d'une terre où existent des tombes à fleurir, aussi.
Celles des parents de Marc Scialom sont à Tunis. Il y est allé déposer une gerbe de fleurs.

Naceur Sardi

BIOGRAPHIE
1959-1962 : Professeur au Collège Paul Cambon (Tunis).
1963-1964 : Rédacteur au journal "La Presse", quotidien tunisien de langue française.
1967 : Publication au Mercure de France de "Loin de Bizerte", roman décrivant le profond d'un enfant juif de Tunis en juillet 1961, en pleine crise franco-tunisienne de Bizerte.
1984 : Soutenance d'une thèse de Doctorat d'Etat (Université de Paris IV-Sorbonne).
1985-1988 : Chargé de cours à l'Université de Paris IV-Sorbonne.
1985-1999 : Publication de divers articles scientifiques dans des revues
1988-1999 : Maître de conférences d'italien à l'Université Jean Monnet (Saint-Étienne).
1994 : En collaboration, traduction française du Décaméron de Boccace (Le Livre de Poche)
1996 : Traduction française de la Divine Comédie de Dante, in Dante, œuvres complètes,
2006 : Achèvement prévu d'un roman intitulé La machine réalité.


Filmographie
- 1957 :
 En silence (16mm/35mn). Djerba (Tunisie). Moyen-métrage produit par le Secrétariat Tunisien à l'Information.
- 1958 :
 Opérateur de prises de vues pour divers courts-métrages produits par l'Office Tunisien du Tourisme et Danoral International Films (New-York).


- 1964-1965 : 
 Chargé d'études à l'Institut Pédagogique National, Département de la Télévision Scolaire (Paris), chef d'une série d'émissions pédagogiques.

- 1966 : 
Exils (35mm/18mn) court-métrage inspiré de la Divine Comédie de Dante, co-produit par Argos-Films et le Service de la Recherche de l'O.R.T.F.

 Obtention du Label de qualité pour ce film.


- 1969 : 
 La parole perdue (16mm / 8mn) Court-métrage d'animation.
- 1969-1970 :
 Lettre à la prison (16mm/70mn) Un long-métrage tourné en majeure partie à Marseille, dans lequel est décrit le sentiment de perte d'identité d'un Tunisien récemment débarqué en France. - 1972 : Obtention d'un Lion d'argent à la Biennale de Venise pour Exils

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- 2008 : 
 Restauration de "Lettre à la prison". 
Avant première au FID Marseille 2008. Mention spéciale du prix du GNCR.

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