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Sotigui Kouyaté : Un Géant est parti !
critique
rédigé par Saïdou Alceny Barry
publié le 21/04/2010
Saïdou A. Barry
Saïdou A. Barry
Sotigui Kouyaté ©Alessandro Brasile
Sotigui Kouyaté ©Alessandro Brasile
Sotigui Kouyaté © DR
Sotigui Kouyaté © DR
Sotigui Kouyaté © DR
Sotigui Kouyaté © DR

Nous ne croiserons plus sa haute silhouette dégingandée, ses dreadlocks cachés sous un feutre et ses yeux rieurs de vénérable patriarche. Sotigui Kouyaté a tiré sa révérence le 17 avril à Paris à l'âge de 74 ans. Il nous laisse une œuvre importante et le souvenir d'un homme d'exception à la vie bien remplie.

Au dernier Fespaco, nous avons éprouvé de la gêne à voir l'homme diminué par la maladie, enfoncé dans un fauteuil roulant avec des tubes lui sortant du corps, et nous n'avions pas compris pourquoi il acceptait d'exposer ainsi sous les regards sa déchéance. Quelques temps après, nous l'avons revu au Panaf d'Alger, toujours dans son fauteuil roulant, les tubes lui sortant du corps et c'est là que nous sont revenus en mémoire les vers de Invictus de William Ernest Hemley : Je loue les Dieux qui me donnent/ Une âme noble et fière/…/ Meurtri par les tribulations/ Je suis debout bien que blessé/

Et nous avons compris qu'il y a de la dignité dans son attitude. En tant que comédien, on aurait pensé que la préservation d'une image valorisante lui importait, surtout celle qu'au soir d'une vie, il entend laisser à la postérité; mais ce sont plutôt les actes qu'il lui importait de poser. Pas une image en technicolor retouchée et lisse, mais celle d'un homme dans sa vérité, dans sa sincérité. Il y avait aussi le refus de baisser les bras, car se retirer ainsi du monde sonnerait comme une défaite tant qu'il lui restait un souffle dans le corps. Je suis le maître de mon destin/ Le capitaine de mon âme, disait le poète Hemley. Et à Alger, il était même monté sur scène, jouant le rôle du gardien de la mémoire et de la transmission, entre Habib Dembélé et ses fils, narrant la geste de Soundjata.

La vie de Sotigui ne fut pas un long fleuve tranquille mais une trajectoire pleine de zigzags. Toujours ouverte à l'aventure et à l'inconnu. Les chats ont sept vies dit-on ; Sotigui qui, de ces félidés avait la nonchalance, en a eu plusieurs.
Il fut fonctionnaire et footballeur de l'équipe nationale du Burkina Faso. Chanteur et musicien avec une romance "Mariam Touré", un tube qu'ont fredonné des milliers de mélomanes africains. Directeur d'une des premières troupes de théâtre et de ballet du pays. Et vint la carrière internationale avec Peter Brook au théâtre et la carrière cinématographique dont il serait fastidieux d'énumérer les œuvres.
Disons que Sotigui fut sur les planches et à l'écran, ce que fut l'arbre du Ténéré au milieu du désert. Un repère. Et un symbole. Il a fait sauter l'usage qui cantonnait le Noir à des petits rôles en Europe. Il conférait à ses rôles, quels qu'ils soient, de l'humanité, beaucoup de dignité et une certaine aura comme celle qu'évoque Walter Benjamin à propos de la photo !

De Sotigui Kouyaté, ce que nous retiendrons, c'est un homme au physique aussi étique qu'un épineux du Sahel, des yeux rieurs d'enfant et une voix unique, d'une grande douceur à l'élocution d'une lenteur de caméléon. Comme si, faisant métier de comédien c'est-à-dire porteur des paroles écrites par d'autres, il lui fallait beaucoup de prudence et d'application avant de les livrer aux oreilles des autres. Une grande délicatesse et un profond respect d'autrui qui l'inscrivent parmi les sages de l'Afrique. Une gageure dans le monde du théâtre et surtout du cinéma où tout est factice : strass, paillettes, toc et bling bling.

On n'oubliera pas non plus sa tentative d'être un pont entre la tradition africaine du griot et la modernité du comédien. Descendant d'une grande lignée de griots qui furent les maîtres de la parole et les dépositaires de la mémoire collective, il s'est voulu un griot moderne en d'inscrivant son art dans un combat panafricaniste. Burkinabe, il l'était assurément. Malien aussi et Guinéen un peu. Africain, véritablement. Un africain ancré dans le meilleurs des traditions, ce qui fit de lui un puits de sagesse, d'aphorismes et de proverbes et lui évita de tomber dans le star-system. Ce fut une vie placée sous le signe de l'humilité et de la modestie.

Dans le documentaire de Sounkalo Dao, "Les Dessous du cinéma Burkinabé" (2010), par les interstices du montage, Sotigui nous apportait la contradiction en affirmant que "le cinéma africain existe bien", quand nous y voyions un cinéma toujours en instance parce que cinéma de réalisateurs, mais pas encore une industrie du cinéma. Nous espérons que de là où il est, il ne nous contredira pas cette fois si nous résumons ce qu'il fut par cette formule de Sartre : "Tout un homme fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui."

Sotigui Kouyaté, ce fut la confluence heureuse entre l'Afrique traditionnelle, l'Art comme mystique et l'Afrique cosmopolite. Une synthèse entre passé et présent qui nous montre la voie à suivre !

Barry Saïdou Alcény

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