AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 004 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Ô ! Capitaine des mers… de Hichem BEN AMMAR
Complicité et savoir- faire
critique
rédigé par Mahmoud Jemni
publié le 02/05/2010
Mahmoud Jemni
Mahmoud Jemni
Ô ! Capitaine des mers…
Ô ! Capitaine des mers…
Hichem Ben Ammar
Hichem Ben Ammar

Les larges plans qui ornent Ô ! Capitaine des mers (Raïs Lebhar) sont d'une esthétique fascinante pour un film de fiction. Ces images en ouverture captent nos rétines. La voie est, désormais, libre au fantasme. Soudain surgit le genre : documentaire. On y pénètre comme l'homme qui plonge dans la mer, désireux de retrouver comme dans l'antre maternelle, l'Eden quitté : plénitude et quiétude.
Bien qu'il n'y ait pas de scénario, tout se trame autour d'une dualité/ ambivalence. Mer : calme/cruelle - claire/limpide - immersion /émersion. Pêcheur : révolté/résigné - triste/gai - sage /imprudent. Culture : sacrée/profane …

Les témoignages commencent. Différents personnages évoquent leurs rapports à la mer. Autant de récits de personnages. Celui des "quatre salopards" mérite un traitement fictionnel.
Ils parlent vrai. Leurs propos traduisent une candeur sans faille. Tout est dit et montré : l'imploration du saint, le marabout Sidi Dawoud, la pause de la madrague à travers l'histoire, les rituelles, transe, élection du capitaine, les péripéties conduisant à la Matanza… La mer constitue l'épicentre de tous ces témoignages. Elle est idolâtrée, parfois haïe. De cette passion se dégage un animisme relatant le degré qu'exerce cette grande bleue sur les marins. Même ceux qui sont devenus totalement inactifs reviennent la contempler. "Elle est comme mon père. Je suis sa progéniture. Si elle se fâche, j'accepte, je désire m'y éteindre", avoue un vieil homme.

Des propos de bonne foi et un "jeu" naturel nous guident tout droit au cœur de leur univers. Pardon, leur Madrague se referme sur nous spectateurs, comme la chambre de la mort sur les bancs de temps.

Hichem BEN AMMAR est parvenu avec une parfaite métonymie à nous impliquer dans la réalité de ces braves pêcheurs. Les lignes de démarcations entre le fantasme et la réalité s'estompent car l'auteur a su parfaitement tirer les ficelles, à l'instar d'un habile marionnettiste. Il a su naviguer pendant 44 minutes sans que jamais l'on décroche. Bravo capitaine !
Le secret ? Tout réside dans la complicité et le savoir-faire ! La familiarité au mode de vie des pêcheurs, l'habileté de les observer subtilement est à l'origine de cette complicité. La caméra du réalisateur ne brusque pas, ne frustre pas : elle est présente, discrète, saisissant le moindre geste et la plus simple parole. Sans cela, les interviewés n'auraient jamais parler avec autant d'aisance, en exprimant sans fard leur colère et leur désarroi. Quant au savoir-faire, il est traduit techniquement par le cadrage (une quasi- alternance de gros plans et de plans larges) et par un montage bien rythmé.

Ô ! Capitaine des mers nous met face aux personnages qui nous font part de leurs projets. Nous devenons leurs complices.
Ce sont des personnages simples. Ils débordent de spontanéité et de subjectivité dont ils ne sont pas conscients. A contrario, Hichem BEN AMMAR, lui, revendique sa subjectivité, voire son nombrilisme. Cette revendication n'a pas fait défaut à la neutralité chère au cinéma documentaire. Bien au contraire, elle a forgé la réorganisation de la matière première, permettant ainsi la description de la réalité et sa construction.

Ceux qui ont eu le loisir de voir Femmes dans un monde de foot et Cafichanta retrouvent un metteur en scène fidèle à son approche : ne pas s'effacer après avoir provoqué l'événement. Ils reconnaissent aussi ce souci de vouloir développer l'imaginaire des sujets et d'être à l'affût d'un écart fondateur reliant le fantasme à la réalité. Hichem BEN AMMAR de par son style et son écriture insuffle au documentaire la crédibilité sur laquelle il fondait sa puissance. Il nous a permis de savourer un documentaire poétique, un vif plaidoyer pour la vie où la métaphore est omniprésente. Rien d'étonnant quand le réalisateur de la Cafichanta subvertit, par son art, si singulier et son savoir confirmé nos habitudes de voir. Lui, le critique, le poète, l'universitaire, le faiseur d'images sait voir, dire et montrer. Il sait aussi nous ramener d'une destination à une autre, nous séduire et nous faire fantasmer en déchiffrant le réel.
Seuls les maîtres sont capables de faire analyser leurs complices et ensuite les spectateurs tel Marcel Ophuls, par exemple. Bravo, notre Ophuls : Hichem BEN AMMAR.

Mahmoud JEMNI

Films liés
Artistes liés
Structures liées