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Fatma, de Khaled Ghorbal
Ou avoir mangé son blé en herbe
critique
rédigé par Mahmoud Jemni
publié le 03/06/2010
Mahmoud Jemni
Mahmoud Jemni
DVD du film (Editions Trigon Films)
DVD du film (Editions Trigon Films)
Awatef Jendoubi (Fatma)
Awatef Jendoubi (Fatma)
Awatef Jendoubi (Fatma)
Awatef Jendoubi (Fatma)
Khaled Ghorbal
Khaled Ghorbal
Khaled Ghorbal
Khaled Ghorbal

Les toutes premières minutes sont éloquentes. Meublées d'un silence qui nous coupe le souffle et nous donne l'extrême envie de connaître l'épilogue de l'histoire d'une jeune fille violée par son cousin.
Les plans initiaux du premier long métrage de Khaled Ghorbal ont jeté, en quelque sorte, les bases de l'œuvre et posé sa problématique. C'est-à-dire se souvenir avec animosité des torts subis ; à la suite desquels une jeune fille perd ce qui est considéré comme le plus valeureux dans une société (malgré les signes insoupçonnables de son évolution).

Le silence de Fatma, voire la fuite en avant, n'a fait qu'approfondir sa tristesse et rendre son calvaire de plus en plus impitoyable. Partir à Tunis semble son seul moyen de lutte, pardon, de rompre avec sa ville natale qui lui rappelle qu'elle est une femme souillée et meurtrie.

Dès l'installation de la jeune étudiante dans la capitale, le spectateur n'est plus dans l'expectative car la praxis cède la place à une narration sans progression et dépourvue de charnières fiables. On se trouve obligé de suivre des scènes inutiles meublées de prétextes, à faire dormir debout, telle que la perte du bouchon du moteur de la voiture. Tout cela pour qu'Aziz et Fatma s'adonnent à leurs plaisirs sous la belle étoile dans un lieu désertique, loin des regards du directeur, du gardien de l'école où Fatma enseigne après avoir abandonné l'université.

Khaled Ghorbal a eu le double mérite de soulever un tabou (la virginité) et de mettre à nu l'hypocrisie d'une génération dite lucide, cultivée et ouverte. Ce mérite a été minimisé par le traitement et l'approche suivis. Ils ont porté préjudice à la femme.

Dans La Trace de Néjia Ben Mabrouk, Sabra s'obstinait à aller faire ses études à Tunis et fuir les multiples interdits que lui fait subir son environnement. Elle n'a pas cédé ni aux tentations ni à l'harcèlement.
Au contraire, Fatma est présentée comme une dévergondée qui cède sans hésitation aux tentations : alcool et libertinage. Elle est femme-caméléon qui a eu recours, la veille de ses noces, à la chirurgie pour se faire une virginité. Sournoise, notre héroïne a caché la vérité à Aziz, l'homme qu'elle a longtemps fréquenté avant même de vivre sous le même toit. Homme de sciences et de culture qui ne se retient pas devant certains interdits dont l'alcool et les fréquentations illicites, ce même Aziz fait un drame quand son épouse se confesse après leur mariage.
S'il a sombré (sans raisons valables) dans un profond malheur, est-ce parce qu'il s'est senti après le mariage être un homme trompé et blessé dans son honneur ? Ou parce que sa femme lui a dit - à juste titre - d'ailleurs, " je ne suis pas la seule responsable" ! Question énigmatique mais sans réponse à l'écran.

Le réalisateur a désavantagé la société et l'œuvre dans son ensemble par des symbolismes mais n'évoquant dans l'imaginaire d'une catégorie de spectateurs que de fausses représentations. Toutes les autres s'appellent Fatma, plagiant ainsi "Tous les autres s'appellent Ali" [réalisé par Rainer W. Fassbinder, Allemagne, Ndlr]. Khaled Ghorbal a multiplié les clins d'œil. Outre les prénoms et leur charge symbolique (Fatma / Ali) il a porté à l'écran les images d'une université vide de toute référence écrite dans la langue nationale. Or, dans ce contexte universel, on a besoin de dialogue de civilisation. C'est un dialogue tributaire d'information sur les productions d'une civilisation ne serait-ce que par des renvois et indices passagers.
Tout réalisateur sait bien que son film n'aura pas de place dans le monde du cinéma s'il ne véhicule pas des images culturelles locales qui séduisent par leur authenticité. L'exotisme ("Fatma" en est plein) et le quémandage poussent à rejeter l'œuvre par ceux qu'elle présente : les siens. Nous aurons aimé adhérer aux belles paroles de la productrice qui disait : "Ce film représente dignement les sentiments des Tunisiens". Hélas, il les a trahis et que toute sa valeur réside dans son idée centrale et dans ses premiers plans. Lors desquels, la caméra balaie chambre et sentiments annonçant une tempête qui va se lever. On ne l'a jamais sentie venir. Le style et les erreurs techniques l'ont repoussé, nous laissant un mauvais arrière goût qui rappelle l'expression "Avoir mangé son blé en herbe".

Mahmoud JEMNI

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