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Fifak 2010, Kélibia (Tunisie)
Richesse des horizons, dialogue des géographies
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 23/09/2010

La 25e édition du Festival international de Kélibia en Tunisie (10-17 juillet 2010) aura été une rencontre riche par les thèmes de ses films et par le génie des jeunes réalisateurs. Les compétitions école, nationale et internationale confondues donneront de nobles motifs de croire les uns et les autres plus ou moins classables. On en rencontrera des lyriques, des surréalistes, des mystiques, des réalistes…

Les lyriques et surréalistes

C'en fut le cas de " Histoire d'un amoureux (Hkeyet achek) ", une fiction de 18'10, qui en mêla à la fois le lyrisme des cœurs désespérés et la satire de ces feuilletons ridicules inondant le petit écran en Tunisie. Le personnage principal a l' " âme inquiète parmi les âmes ", malade de dépit amoureux, cherche désespérément " une épouse " au point de perdre tout ancrage dans la réalité mondaine des vivants. Le rire n'en fera qu'enfler la pertinence du message lancé par le jeune réalisateur Aymen Othmani.
Le comble poussera au dérèglement de l'ordre normal des choses lorsque des familles s'en vont, le cœur au bord de l'émotion, demander pour leur fille la main d'un garçon. Historien d'un nouvel ordre, oserait-on penser, pour qualifier le travail d'Othmani. D'ailleurs, il ne sera pas le seul à s'être autorisé une telle liberté par la caméra.

L'audace élargira le dérèglement à travers Tunisino Code, une fiction de 17 mn du Tunisien Zied Litayem. Un film aux confins d'un art mêlant insolemment réalité et utopie passionnément illusionniste. Le monde s'en trouve déconstruit et désormais faudra avoir le génie de trouver le code pour en " télécharger la vie ". Et pourtant, en laissant le simple regard s'arc-bouter sur l'histoire du film, on se convainc à l'idée qu'il vaut toutes les dénégations que l'on pourrait lui opposer. Il agite, en effet, l'urgence de sortir la Palestine de ce bourbier dans lequel il est plongé depuis des décennies. La manière dont l'intrigue se déroule informe sur la qualité filmique et le sens du message véhiculé par les différentes scènes avares en dialogues et riches en styles télégraphiques. Par lui, l'addition du réel et du fantastique donne un goût de surréalisme.

Les mystiques

Les mystiques seront certainement ceux qui auront fixé les attentions, tant ils auront l'âme portée sur cette autre face que les mortels espionnent et épient. Le jeu des miroirs, l'inhabituel bruit venu du lointain néant ajoute à Noir et Blanc, un film expérimental de 15 mn, un mysticisme sur le dialogue des âmes déportées dans l'au-delà et le souffle d'outre-tombe de ces morts hantant leur bourreau pour l'éternité. Pour ne rien épargner au spectateur terrien, le réalisateur joint à la scène du cimetière un chant lourd et douloureux couvrant de son parfum de finitude les tombes ainsi que les herbes sauvages vivantes n'en pouvant plus d'être mortes. Noir et Blanc, ce sont les deux faces d'une même réalité que le jugement dernier séparera. Finalement, on se croirait avec le personnage incarnant le double rôle, pris dans une sorte d'enfermement. Lequel s'invite de nouveau dans La vie est un don de Ghazi Gafsi. L'hôpital y devient le lieu terminal de l'angoisse de la vie face à l'absence d'alternative salvatrice. Le regard vague de cette femme affronte l'impasse du couloir vide, sans âme, comme un espoir déjoué par une illusion référentielle a laquelle le spectateur lui-même se confie. Avec "Catharsis" en plus, le cinéma de la douleur, a n'en point douter, envahit la sensibilité des jeunes réalisateurs. Qui sait ? Il s'y donne a lire, la précoce conscience d'êtres malmenés par l'incomplétude de l'humain et la jalousie de la mort. Ces deux constantes sont interrogées avec un regard effraye par la question de la destinée dans leurs démarches cinématographiques respectives. Peut-être qu'il ne leur reste qu'a s'agripper aux honneurs que seule la postérité tient entre ses mains. Mais en se tenant aussi éloigné des revenants à l'image de celui de " La Union " qui empoisonne la vie de Sara au point de lui proposer une mort " sans souffrance " pour revivre le temps de l'amour.
"La Gamelle", fiction de 9 mn, réalisé par Maher Ben Khelifa, veut faire revivre le temps de la vie a un homme enchaine a un lavabo cherchant à conquérir la liberté. Cette pièce pouilleuse dans laquelle se déroule tout le film est symptomatique du désenchantement vécu, par-delà le personnage, par le créateur, par l'être humain tout court face aux caprices d'un monde sachant broyer les énergies pour simplement les réduire à néant.

Les réalistes
" Locataire du néant 
Le monde est infidèle à mes rêves "
(Amadou Lamine Sall)

Il y a ceux qui achètent la mort pour avoir perdu le prix de la vie. Ceux qui " brûlent " pour sauver les dernières étincelles de leur existence souffreteuse. Dans ce documentaire, " Harga " (La brûlure , 27'), la réalisatrice y dépeint sans états d'âme le drame d'une communauté de jeunes tunisiens aveuglés par les mirages d'un El dorado niché (en Europe) au-delà de l'océan et sublimé sans cesse par ces immeubles et belles voitures, symboles de la réussite de ceux que les vagues de la mer ont épargné. Les témoignages en sont poignants, les sanglots mal étouffés, les larmes effacées par une main désespérée comme le sont d'ailleurs les visages de ces mères de famille incapables de faire le deuil de leurs rejetons avalés par la mer. La brûlure ! Elle a pourtant un prix : 1500 dinars. Traverser l'océan à bord d'une barque de six mètres de long, comme on traverserait la vie pour rejoindre sa tombe. Bilel, un " ancien brûlé " raconte : " J'ai entendu des cris ". Et revient comme en écho le cri d'une mère : " Mon cœur est lourd. Je suis triste pour mon fils ".
Tout le film se meut entre la dialectique de la mort et du souvenir. Chaque cœur porte la même histoire. Mais chaque cœur ne la raconte pas de la même manière. Chacun est le peintre de son propre désespoir. " La nuit, les gens dorment. Moi, non ! ", confie cette femme dont le mari, Marwen, a brûle pour ne lui laisser en fin de compte que l'absence dans le deuil et le deuil infini de l'absence. Le cinéaste filme les visages, insiste sur les témoignages, laisse parler les vagues de la mer, et invite le spectateur à une sorte de prière sourde. Puisque l'heure est à la brûlure intérieure.

À l'image de "Suicide d'un artiste", ce documentaire de 10'46 d'Ahmed Hermassi. Il est quasiment une sorte de rapport frontal entre la dure réalité et le cinéma. Le réalisateur devient malgré lui celui qui devra immortaliser les derniers instants existentiels d'un jeune artiste qui choisit de se donner la mort par désespoir. Ce film met à nu l'impuissance d'un monde incapable d'arracher une vie à la tentation de la mort. On penserait sans doute à une mise en scène lorsque l'on voit le désespéré s'expliquer sur sa désillusion pour ensuite dans les minutes qui suivent, défiant toutes les tentatives de ses camarades pour le sauver, se pendre sous les yeux des caméras accompagné par le concert macabre des pleurs de tout un monde de jeunes gens éprouvés.

Seulement, il est des brûlures que l'on peut cicatriser comme ce fut le cas dans "Avenue des histoires amputées". Amor Sbika et Anis Tounsi dressent le portrait d'un homme, Rhida, que le sourire aurait dû déserter. Malgré la souffrance d'avoir perdu ses deux jambes à cause d'un diabète, il trouve la force intérieure de surmonter l'épreuve en vivant dignement sa condition. Grâce à la magie de l'orthopédie, il nargue le destin : l'homme conduit son vélo, prend part à des manifestations, taquine l'écriture… Les jeunes réalisateurs font un véritable plaidoyer en faveur des handicapés, en valorisant l'exemple frappant de Rhida. Ce film dépassionné a remporté le prix spécial du jury dans la catégorie Compétition nationale.

"Sables égyptiens", un documentaire de 12 mn réalisé par Aymen Hsin, est une véritable poésie de la nature. La beauté des sables, la splendeur des dunes, l'apparence des pierres donnent a voir l'extraordinaire richesse d'un lieu au corps envoutant. Il nous plonge au cœur de la réalité par un réalisme débordant faisant soupçonner les douceurs cachées de Dame nature dans ce désert d'Egypte.

Et parlant de nature, "Tâches Noires" de Nidhal Ben Hssin, élargit le regard sur la réalité de l'environnement en pointant du doigt l'effet dévastateur de la pollution sur le continent africain.

La contribution de la géographie

Ce festival est aussi riche du point de vue de la contribution géographique. Beaucoup de films ont traversé les océans pour venir y offrir l'image d'un autre monde. Parmi eux, figurent pertinemment "Tom" de Karim Ghorayeb du Liban qui suscita autant de salves d'applaudissements de la part d'un public séduit par le génie d'un personnage capable de faire des prouesses à l'heure de la vaisselle par le truchement d'une machine lavant les assiettes. De même, "Rogenbogenengel" de l'Allemande Anna Kasten (Faucon d'or Fifak 2010) ne laissera pas indifférent : d'une durée de 7 mn, il rend compte, à travers le personnage de Patrick, de la tristesse d'une jeunesse basculant facilement sa vie dans le suicide. "Jesusito de Mi Vida" de Jesus Perez-Miranda (Espagne) nous donne le lien parfois confus liant l'enfant à la divinité ainsi que ses vagues angoisses. "Nino balcon" (Espagne), "Fleur oubliée" (Liban), "Game War (Iran), "Un jour comme les autres" (France), "Jili-Buli Baby (Russie)… ne manqueront pas de laisser des traces dans la mémoire des festivaliers tant par leur originalité que par leur qualité cinématographique.

Bassirou NIANG

Les films cités (classés par ordre de citation)
Hkeyet achek (Histoire d'un amoureux) - Aymen OTHMENI, Tunisie /ISAM Kairouan, Compétition Écoles
Tunisino code - Zied LITAYEM, Tunisie /ISAMM, Compétition Écoles / Compétition Internationale
Noir & blanc - Talel AYOUB, Tunisie, Club Monastir 2 (FTCA), Compétition Nationale
Une vie c'est un don - Ghazi GAFSI, Tunisie /EAD, Compétition Écoles
Catharsis - Safa BELHAJ YAHYA, Tunisie /ESSTED, Compétition Écoles
La Union - Carlos A. SAMBRICIO/Espagne, Compétition Internationale
La Gamelle - Maher Ben Khalifa/ Tunisie, Club Hammamlif (FTCA), Compétition Internationale / Compétition Nationale
Harga - Leila Chaibi/Tunisie, réalisatrice indépendante, Compétition Internationale / Compétition Nationale
Suicide d'un artiste - Ahmed HARMESSI/Indépendant, Compétition Nationale
Avenue des histoires amputées - Amor SBIKA & Anis TOUNSI, Tunisie/ Club Hammamlif (FTCA), Compétition Nationale, Mention du Jury
Rimal massryya (Sables égyptiens) - Aymen Hsin/Egypte, Compétition Internationale
Tâches noires - Nidhal BEN HSSIN, Tunisie / M.J. Hammam Laghzez, Compétition Nationale
Regenbogenengel (L'ange de l'arc en ciel) - Kasten Anna/Allemagne, Compétition Internationale, Faucon d'or
Tom - Karim Ghorayeb/Liban, Compétition Internationale
Jesusito de Mi Vida - Jesus PEREZ-MIRANDA/Espagne, Compétition Internationale
Nino balcon - Pilar PALOMERO/Espagne, Compétition Internationale
Fleur Oubliée - Riham Assi/Liban, Compétition Internationale
Game War - Reza Ahme Yari/Iran, Compétition Internationale
Un jour comme les autres - Joël Sentenac/France, Compétition Internationale
Jili-buli baby - Ksenia KATALYMOVA/Russie, Compétition Internationale

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