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Rencontre avec Pierre LABA, réalisateur martiniquais
"Je suis un amateur qui aime le cinéma"
critique
rédigé par Noura Borsali
publié le 01/10/2010
Noura BORSALI
Noura BORSALI

Le coup d'envoi du FIFAK2010 a été lancé le samedi 10 juillet 2010 au soir, dans l'enceinte de Sidi el Bahri à Kélibia, devant un public fort nombreux composé de Kélibiens, de cinéphiles et de gens du cinéma. Le film d'ouverture est signé Pierre Laba, cinéaste français d'origine martiniquaise vivant en Côte-d'Ivoire. Auteur de trois longs métrages à succès, a-t-on écrit : "Coupé décalé" (2005), "Danger permanent" (2006) et "Le gaucher d'Abidjan" (2009), il vient de signer en 2010 son 4è long métrage intitulé "Mariage à trois visages".

Film à petit budget qui a coûté, selon le réalisateur, 50 millions de CFA, entièrement financé par lui-même et dont le tournage a duré trois mois, il est loin d'être un film amateur. Un film "professionnel", relève Pierre Laba en insistant sur les guillemets. Le film d'une durée de 1h30mn a plutôt déçu les spectateurs. Une rencontre programmée par les organisateurs du FIFAK a eu lieu le dimanche 11 juillet à l'école de pêche de Kélibia et a permis un débat étonnant par sa franchise avec le jeune réalisateur. Pierre Laba a eu en effet le mérite d'être à l'écoute des cinéphiles présents et d'être très attentif à leurs critiques parfois audacieuses. 

mariages à 3 visages from Africiné www.africine.org on Vimeo.



Le film traite d'une question d'une grande actualité : celle du mariage entre Noirs et Blancs via internet permettant aux Africains l'obtention d'un visa pour la France. Le sujet qui ne manque pas d'intérêt est traité avec humour, un moyen pour Laba d'alerter les spectateurs sur les problèmes vécus par les Noirs africains : l'illettrisme et l'exode vers la France. "C'est un film comique, a-t-il déclaré, à travers lequel je veux passer un message et critiquer des faits".
Mais voilà que le traitement de la question pose diverses interrogations que le public n'a pas manqué de soulever. Les spectateurs n'ont pas apprécié cette narration au premier degré, simpliste et naïve, a-t-on dit. D'autre part, l'auto-dérision appliquée aux Africains noirs a déplu. Profiteurs, matérialistes à la recherche du gain, filous et manipulateurs, tels apparaissent les Africains présentés dans le film. Quant à la femme, future mariée, elle est plutôt débile, analphabète, manquant de culture et de savoir-vivre au point que l'une des intervenantes écoeurée par cette image de l'Africaine analphabète n'a pas manqué de relever que l'on peut être analphabète et intelligente.
Cet humour n'a pas été efficace et s'est plutôt retourné contre une image réelle et pourquoi pas valorisante d'une Afrique qui se bat au quotidien pour survivre. Beaucoup de clichés dans le film sont péjoratifs, rabaissent les Africains noirs et confirment l'image que des Occidentaux ou autres racistes et méprisants voudraient donner de l'Afrique noire. Une image rappelant les anciens et nouveaux dominants.

On est loin de tout ce mouvement de la négritude réaffirmant au visage du monde la richesse de l'être et de la culture noirs. En regardant le film de Laba, Martiniquais de naissance, on ne peut pas ne pas penser au poète de tous les temps Aimé Césaire qui a inventé lui-même le concept de négritude pour revaloriser la profondeur du monde noir. Le retour au pays natal de Laba bien qu'il soit réel - et en cela se différencie du voyage poétique de Césaire - ne semble pas, hélas, porteur d'un même message, du moins dans ce nouveau long métrage.
Le film se voulant une comédie, comment expliquer, s'interrogent les intervenants, que les deux Français (le père - futur mari et sa fille) n'aient pas été un seul instant tournés en dérision comme ce fut le cas pour les protagonistes africains du film ? Il est vrai que la France reste la puissance supérieure épargnée par la moindre critique. Le film ne s'est-il pas terminé par le cri de Zass, le visa brandi à la main, autour de : "Vive la France". À moins que le réalisateur ait voulu y placer un humour… trop incompris par les spectateurs.

Pour Laba, ce film, "Mariage à trois visages" (il faut y lire "à trois visas") se veut une réconciliation culturelle entre l'Afrique représentée par le Burkina Faso et la Côte -d'Ivoire et la France. Une sorte, dit-il, de melting-pot Afrique-Occident qui rapprocherait, selon lui, les deux mondes sans toutefois tomber dans les procédés de rencontres via internet guettées par l'arnaque et les divers abus comme la prostitution etc… Pourtant, le film demeure silencieux sur tous ses abus qu'à aucun moment il ne dénonce. L'intrigue du film évolue et se termine à l'eau de rose, avec un happy-end qui frise le ridicule.

Quant au traitement esthétique, ou plutôt technique ou encore cinématographique du film, de nombreux reproches ont été adressés au réalisateur qui a reconnu ses lacunes. Le son n'était pas au point : tantôt bas, tantôt fort ! Une technique utilisée par moments (les 4 images présentées simultanément en une seule représentant les préparatifs du mariage) s'apparente à celle du feuilleton télévisé. Les couleurs surtout l'orange ont déplu en dépit des belles prises de vue qui, quant à elles, semblaient casser plutôt le rythme du film qui se trouve alors stagnant.
Le montage doit être repris et corrigé, n'a-t-on cessé de suggérer au réalisateur qui a promis de re-monter le film à son retour. "C'est la première fois, a-t-il dit, que j'ai tourné au Burkina Faso où il existe un grand problème de température de couleurs, d'autant que les techniciens burkinabès n'étaient pas aussi performants que les techniciens ivoiriens à qui j'aurais dû faire appel". Et de renchérir : "Je connais toutes les lacunes de mon film. Mais j'aime le cinéma et je vous aime aussi". 

Cri d'amour pour cet amateur qui aime le cinéma (selon ses propres termes) et qui a eu, reconnaissons-le, le grand mérite d'être à l'écoute de son public qui, pourtant, ne lui a pas réservé la part belle. Une sincérité des deux côtés qui révèle à quel point la qualité du cinéma africain prime sur toutes les autres considérations et aussi à quel point le cinéma doit être ce miroir valorisant de cet autre nous-même….

Noura Borsali

Article paru sur www.cinematunisien.com, le 14/7/2010

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