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5e Fifak (10-17 juillet)
Tant qu'il y aura des films amateurs
critique
rédigé par Samira Dami
publié le 01/10/2010

La 25e édition du festival international du film amateur de Kélibia (Fifak) s'égrène depuis voilà quatre jours entre projections de films en compétition, rencontres et débats.

Chaque soir, vers 22h00, dans le théâtre de plein air, plein comme un œuf, assis sous un ciel étoilé et inconfortablement installé sur des bancs en ciment (!) le public fidèle de tout âge de cette manifestation vient au rendez-vous de la fête du cinéma amateur.

Tant qu'il y aura des films amateurs, le public viendra, malgré tout.
D'une section à l'autre, des opus se sont imposés, suscitant l'intérêt et créant le débat avec une mention spéciale pour les cinématographies russe, argentine, libanaise et iranienne. Mais parlons d'abord des productions tunisiennes découvertes jusqu'ici dans les trois compétitions confondues entre internationale, nationale et films d'école.

Made in Tunisia

Tunisino code de Zied Litayem est certes un film d'école de l'Isamm (Institut supérieur des arts de multimédia de la Manouba), mais sélectionné dans la compétition internationale. Voilà un opus qui ne manque pas d'imagination, fort d'une idée assez intéressante et d'un traitement moderne façon "Matrix". Un auteur-réalisateur écrit en direct, sur son PC, le scénario de son film. Dans son monde virtuel, il alimente de plusieurs données la matrice de son ordinateur construisant et "manipulant" les personnages, les situations et les images grâce, entre autres, à un code politique.

Le propos, pas toujours clair, se focalise sur les évènements et tourments qui agitent certaines régions du monde, telles la Palestine et l'Irak.
Puis de s'intéresser enfin, lors de la phase du climax (le culminement de l'action), à des problèmes qui nous sont plus propres, entre autres la condition de l'artiste sous nos cieux. Très applaudi par le public Tunisino code vaut notamment par la forme enlevée, séduisante et dans l'air du temps.

Toujours dans la compétition internationale Le parfum de la terre montre l'évolution cinématographique de Abdelaziz Bouchmel, du club "El Hamma" (ayant remporté l'année écoulée, le deuxième prix de la compétition nationale). Ce film documentaire traite du quotidien de villages du sud du pays.
Le rapport à la nature, la difficulté de vivre de ces paysans du sud sont montrés dans des scènes pas du tout misérabilistes, enveloppées d'airs de la gasba (flûte), un peu longs toutefois, et de beaux chants de femmes.

Cependant, il manque à ce documentaire un angle plus précis de traitement, bien que le réalisateur ait tenté plusieurs pistes (la rareté de l'eau par exemple) mais sans oser s'aventurer plus avant. "le parfum de la terre" reste en retrait de tout point de vue réellement affiché.

Quid des autres films tunisiens, programmés dans le reste des sections?
Côté section films d'école, évoquons L'ascenseur de Aymen Marzouka, produit par l'Isban (Institut supérieur des beaux arts de Nabeul) qui se distingue par un certain effort d'animation à propos de relations amoureuses inspirées par des couples qui prennent l'ascenseur.

Histoire d'un amour (Hikayatou ishkin), où le réalisateur Heythem Othmani de l'Isam (Institut supérieur des arts et métiers) de Kairouan rend hommage aux fictions télévisuelles, entre séries et feuilletons. De Hadj klouf et Ommi Traki à Sayd Errim en passant par Khottab al bab, Bin ethenaya, Ghada, Matos s'égrène une enfilade de situations, les unes plus indigentes et maladroites que les autres et sans intérêt aucun. Il faut dire que notre cinéaste en herbe n'a que des références télévisuelles. L'on ne comprend pas ce que vient faire ce court métrage dans le programme car il n'est pas nécessaire de sélectionner à tout-va si l'on veut garantir le niveau et la qualité. 

Dans la section nationale, signalons A louer, de Nidhal Sehili (club Monastir 2) où un jeune à la recherche d'un travail est contraint au final à jouer les mannequins dans la vitrine d'une boutique de vêtements.

A louer, qui pêche par la mollesse des situations, au milieu du film et un son saturé, se caractérise par une belle attaque et un bel épilogue (chute). 
Enfin, Suicide d'un artiste, de Ahmed Hermassi, cinéaste amateur indépendant, filme, lui, la performance d'un étudiant de l'Institut des beaux-arts de Sousse dans le cadre d'une rencontre universitaire nationale. Cette performance a créé une intense polémique, s'agissant de la simulation d'un suicide, par pendaison, d'un artiste mais qui a, malgré tout, beaucoup choqué les étudiants.

Ce documentaire, en fait un reportage, agite le problème de la création et de la créativité et de leur limite : pourquoi pas? Mais faudrait-il encore que le traitement soit clair et conséquent. Or, le traitement est loin d'être limpide et si le spectateur n'a, auparavant,  aucune idée sur cet événement, il ne comprendra pas grand- chose, ni aux tenants  ni aux aboutissants de l'histoire. Il s'agit d'un collage très confus et cahotique de témoignages d'étudiants. Seule la scène de la performance assez dangereuse et choquante, du reste, suscite un certain intérêt.
Maintenant, concernant les films  étrangers de la compétition internationale, certains ont jusqu'ici émergé du lot.

Citons Absence de J.F. Budnik (Argentine), The frame of memory de Mohamed Ridha Mouradi (Iran), Forma d'Aleksey Trosenko (Russie) qui ont prévalu par la clarté du propos, la force de l'imagination et la qualité de la technique. Mais le film ayant surclassé l'ensemble est Tom du Libanais Karim Ghorayeb. Ce film d'école en compétition internationale s'est imposé par la fraîcheur et l'originalité aussi bien du propos que du traitement. La question fondamentale qu'il pose étant la suivante : peut-on effacer ses souvenirs et laver la mémoire aussi bien des bons que des mauvais souvenirs?
"Impossible, répond Tom, car plus on insiste plus on essaie de les effacer, plus ils remontent à la surface de notre mémoire".

Tous ces souvenirs sont représentés par des assiettes que Tom lave et astique fortement afin de se débarrasser de tout ce qui lui rappelle le passé, en vain. Mais à force de s'adonner à cet exercice de "lavage de mémoire", Tom invente un système de machine à laver. Traitant du rapport au temps, à l'histoire et à la mémoire, ce film d'école réussit à convaincre, surtout grâce à l'imagination débridée, l'économie des moyens, l'ingéniosité du décor des lumières et du jeu. Et ce n'est pas là la première fois que les films d'écoles libanais forcent l'admiration et le respect.
A suivre donc.

Samira DAMI

Article paru dans le journal La Presse de Tunisie, le 15-07-2010

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