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Entretien avec Brice AHOUNOU, orateur principal de la rencontre internationale sur l'ethnologie et le cinéma à Quintessence 2011
"Les premiers cinéastes africains et Jean Rouch font deux types différents de cinéma"
critique
rédigé par Médard Gandonou
publié le 20/01/2011
Brice Ahounou
Brice Ahounou
Quintessence 2011, Ouidah
Quintessence 2011, Ouidah
Brice Ahounou, conférencier
Brice Ahounou, conférencier
Les participants de la rencontre internationale sur l'ethnologie et le cinéma 2011, Quintessence.
Les participants de la rencontre internationale sur l'ethnologie et le cinéma 2011, Quintessence.

Journaliste et Anthropologue, Brice Ahounou a dans son parcours de vie rencontré l'ethnologue et cinéaste Jean Rouch dont il a été l'Assistant pendant quelques années et avec qui il a réalisé quelques films. Invité à la 9ème édition du Festival international de film de Ouidah en tant qu'orateur principal de la rencontre internationale sur l'ethnologie et le cinéma ce samedi 8 janvier 2011, Brice Ahounou justifie dans cet entretien, réalisé en marge de la rencontre, l'opportunité d'un échange sur les œuvres cinématographiques de Jean Rouch dans le cadre d'un festival de cinéma et son apport au cinéma mondial et à la connaissance de l'Afrique.

Qu'est-ce qui fait la particularité de Jean Rouch par rapport aux autres cinéastes français qui ont parcouru le continent africain ?

Jean Rouch a démarré ses travaux de recherche en Afrique et au Niger et s'est beaucoup intéressé aux divinités du Mont Sonrhaï. Notamment à la religion et aux rituels du mont Sonrhaï. Donc pour mieux comprendre ses choses, il a pris sa caméra et a beaucoup filmé dans sa vie, ces rituels. Il a beaucoup filmé les rituels de possessions. Or ces rituels de possession parlent des relations des humains avec les dieux, des conversations que les hommes ont avec leurs divinités.
C'est aussi un cinéaste-inventeur dans la mesure où, comme il était ethnologue et anthropologue par ailleurs, il a beaucoup réfléchi sur ces sociétés. Et avec la caméra qui est l'outil dont il dispose pour approcher l'autre, le cinéma devient alors cet outil qui permet d'établir ce dialogue avec l'autre qu'il peut filmer pour comprendre ce qu'il fait, puis proposer à l'autre les images qu'il prend de lui. Ces images qui discutent et valident l'autre, est une approche bien particulière de Rouch. Il a ainsi créé un jeu, un exercice entre l'autre et lui ; la caméra étant l'intermédiaire.
Donc Jean Rouch est dans l'histoire du cinéma un inventeur mais aussi un personnage qui a participé à l'évolution des techniques du cinéma. Il a commencé par renouveler les techniques du cinéma documentaire au tournant des années 60, puis finalement, comme la technologie évolue, il a contribué aux côtés des gens qui fabriquaient la caméra ou les magnétophones, à faire évoluer ces outils.

Les Africains ont été beaucoup filmés par les cinéastes européens. Qu'a de particulier, la manière de filmer les Noirs de Jean Rouch ?

Oui les Africains on été beaucoup filmés au cours du XXème siècle avec le cinéma, mais ils n'ont pas été filmés de la même manière. Il y en a qui avaient filmé les Africains de manière caricaturale, tendancieuse, de manière à les inscrire dans une vision négative pour perpétuer la vision de dominé qu'on a d'eux. Comment s'intéresser à la culture de l'autre en le filmant ? Et, quand on le filme, que deviennent finalement les images prises de l'autre ? C'est à ce niveau que réside toute la différence. À l'arrivée de Rouch, il apporte une autre manière d'approcher les Noirs, les filmant autrement en leur donnant la parole car celui qui est sur l'écran a, avec Rouch, un nom, une identité.
Si aujourd'hui cela a l'air si banal, ce n'était pas le cas à cette époque. Sur ces 40 années, il a filmé au Niger, au Bénin, en Côte d'Ivoire, au Mali surtout avec une série de films sur les Dogons. Au moment où les Africains ne filmaient même pas encore, il s'est exercé à filmer les Africains autrement.

Cet intérêt pour l'Afrique, n'est-ce simplement pas pour Rouch l'assouvissement d'une curiosité scientifique ou est-ce véritablement une passion pour l'Afrique ?

C'est une passion pour la découverte de l'autre. Cet autre, pour parler de manière générique, est en Afrique. Mais Rouch a filmé aussi ailleurs. Mais, à partir du moment où il est venu au Niger comme Ingénieur des ponts et chaussées et qu'il rencontre les rituels du Niger qu'il n'avait jamais vus auparavant, cela lui donne envie de faire des films. Donc ces films, quand il va commencer par les faire, il reste attentif à ce que l'autre lui montre et ce que l'autre lui dit. À cette époque, c'est une attitude qui était quand même particulière et singulière.
Les Européens qui lui étaient contemporains n'avaient pas forcément la patience d'écouter ce que leur dit l'autre dont ils ont les images. Jean Rouch s'est donc mis à l'école de l'autre. Mais finalement ce qu'il découvrait l'inscrit dans une passion pour l'Afrique. Puisqu'il a continué, après ses premières expériences, à faire des films sur l'Afrique et compte plus de 130 films sur l'Afrique, dans un registre de cinéma direct comme dialogue entre filmeur et filmé.

Pensez-vous que la technique de filmage "caméra à l‘épaule" et l'approche du cinéma direct défendu par Rouch, est encore valable dans le contexte cinématographique actuel où l'esthétique a une place prépondérante ?

La caméra à l'épaule est un exercice que Rouch a inventé par accident quand son trépied s'était cassé au cours d'un tournage en 1946-47, en descendant le fleuve Niger. Par la force des choses, il a utilisé cette caméra en la posant sur l'épaule. À partir de cet instant, il a inventé une manière d'utiliser cette caméra sans les trépieds, avec une technique du corps qui va avec. Ce qui apporte cette nouvelle possibilité d'approcher plus aisément le sujet qu'on filme, de se mouvoir plus facilement sur une scène rituelle où les gens sont entrain de danser ou de prier etc. Plus tard beaucoup l'ont copié et avec l'avènement des caméramans de télévision, la technique est très utilisée.
Mais aujourd'hui avec les caméscopes, la caméra n'est plus forcément à l'épaule ou sur les trépieds. Elle est désormais au poing, dans une main, à hauteur du genou, au bout d'une perche etc.
Quant à l'esthétique des œuvres, je crois que ça dépend de la manière dont le caméraman, le cadreur s'empare et s'approprie la caméra pour faire ses films ou montrer quelque chose.

Cinquante ans après la réalisation du film Les Maîtres fous de Jean Rouch, les réactions observées dans la salle Quintessence à Ouidah confirment qu'au premier contact avec les films de Rouch, il y a pour l'Africain un choc, tout comme à la première projection de ce film.

Les Maîtres fous est un film culte que Rouch a réalisé et qui ne laisse pas indifférent. C'est un film qui remue au premier contact. Mais Rouch n'a pas inventé les scènes de ce film. Autrement dit, si lui n'était pas là pour filmer ces rituels des Haoukas du Ghana, nous ne saurions peut-être jamais l'existence de ces rituels. Doit-on le condamner pour avoir filmé une réalité ? Je ne pense pas.
Ce sont nos regards qui changent tout. Car celui qui marche nu n'est considéré comme fou que dans les milieux où tout le monde s'habille. Ce film, projeté dans les milieux qui sont habitués à ces rituels de possession, ne choque personne.

L'autre caractère des films de Rouch sur l'Afrique est la force du commentaire qui impose au spectateur une vision de l'image. Y-a-t-il pas un risque pour Rouch d'abuser des faits à travers ses commentaires ?

Connaissant un peu Rouch, je ne pense pas. Par exemple, parlant du film Les Maîtres fous en 1954, il faut se rappeler que c'était un jeune cinéaste qui doit filmer les images de ces rituels en un jour avec un micro qui est placé dans un arbre. Sa caméra a une durée très limitée et il doit pouvoir remonter les ressorts de sa caméra toutes les 30 secondes. Donc il était plus préoccupé par la prise des images. Mais comme il est ethnologue, on lui a expliqué le rituel et il en donne le minimum essentiel pour la lecture de son film.
C'est vrai qu'il y a des commentaires qui masquent la réalité des images, mais chez Rouch ce n'est pas du tout le cas. Car, quand il réalise Moi un Noir, quatre ans après en Côte d'Ivoire, le commentaire a été fait par le personnage principal du film qui va commenter lui-même ses actions à l'écran.

Comment expliquez-vous alors les critiques des cinéastes africains contre Jean-Rouch notamment de Sembène Ousmane, figure d'une certaine contre-ethnographie du cinéma africain ?

Il faut reconnaître que le dialogue entre Rouch et les cinéastes africains dans les années 60 n'a pas été facile. Car les cinéastes africains étaient dans une logique progressiste et ne partageaient pas forcément la démarche d'un jeune cinéaste français qui cherchait à comprendre les connaissances africaines. Or, les premiers cinéastes africains comme Sembène étaient dans une démarche militante, de libération de l'Afrique et de construction d'un cinéma africain. C'est vraiment deux types de cinéma différent. Rouch ne fait pas de cinéma africain mais un cinéma qui s'intéresse à l'Afrique, alors que Sembène était dans une démarche de construction d'un cinéma africain qui participe à la conscientisation de la société africaine d'alors.
Donc aujourd'hui ce cinéma de Rouch peut ne pas servir de modèle pour l'Afrique mais de lieu d'information pour nos sociétés. Parce que tout un pan de ses images est aujourd'hui d'ordre patrimonial avec des lieux et des rituels qui n'existent pratiquement plus.

Entretien réalisé par
Médard GANDONOU

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