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Freda
Survivre par le cinéma en Haïti
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 13/10/2021
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
Gessica Généus, réalisatrice et productrice haïtienne
Gessica Généus, réalisatrice et productrice haïtienne
Scène du film
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L'équipe du film
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LM Fiction de Gessica Généus, Haïti / France / Bénin, 2021
Sortie France : 13 octobre 2021
Distributeur France : Nour Films

A l'heure où la situation est tendue en Haïti, la résistance du peuple, et notamment celle des femmes, s'expose sous le regard de la réalisatrice Gessica Généus qui signe Freda, en sélection au Festival de Cannes 2021 dans la section Un certain regard et en Compétition au Fespaco 2021. Après des années de dictature, évoquées par Raoul Peck dans L'Homme sur les quais, 1993, un séisme ravageur en 2010, l'assassinat du président en juillet 2021, l'île est aujourd'hui dévastée par la corruption, et la guerre des gangs qui attise la violence en multipliant les morts.
Dans ce contexte, le travail de Gessica Généus défie le mauvais sort avec une fiction qui puise son énergie dans son travail documentaire. Connue comme comédienne à 17 ans, elle s'impose avec sa société, Ayizan Production, qui lui permet de développer une série de portraits documentaires de figures marquantes de Haïti, Vizaj Nou, 2014-2016, puis Douvan jou ka leve (Le jour se lèvera), 2017, documentaire explorant l'âme haïtienne en s'inspirant de son histoire familiale. Des expériences qui ont nourri l'écriture de Freda, sa première fiction.



Freda est une jeune étudiante qui vit à Port-au-Prince avec sa sœur Jeannette et leur frère, derrière la petite boutique de la mère. Elle les élève seule, munie de sa bible protestante, avec une préférence pour le fils qui se prépare à partir en exil en Amérique Latine. Jeannette se blanchit la peau en courant les garçons. Depuis cinq ans, Freda diffère sa relation avec son amoureux qui revient de La Barbade où il a fait soigner une blessure causée par une balle perdue à Port-au-Prince.
Jeannette croit décrocher le gros lot lorsqu'un jeune politicien lui offre un mariage doré. Les choix des deux sœurs s'opposent mais leurs sentiments les unissent tandis que la mère cherche à profiter du mariage. L'action se précipite quand Jeannette revient pour échapper à la violence de son mari. Le frère parti, les femmes règlent leurs comptes alors que Freda laisse remonter un traumatisme d'enfance, aiguisé par l'attitude de sa mère. Le tout émaillé des manifestations de rues, des grèves à la fac, des tirs de rues à Port-au-Prince.

"Je voulais avant tout faire exister un point de vue féminin sur la société haïtienne, car c'est un point de vue qui est négligé", avance Gessica Généus en valorisant ses héroïnes. Cette intention est soulignée par les difficultés du quotidien de la famille de Freda, les revendications exprimées par ses camarades à la fac, les mouvements de révolte dans les rues, les tirs de nuit, sans que leur liaison avec les scènes des relations familiales soient bien intégrées dans la cohérence du film.
C'est lorsqu'elle se concentre sur l'espoir de Freda de rester sur l'île, le désir de sa sœur de s'élever, celui de la mère de cultiver sa morale bigote, l'aspiration à l'exil du frère, que la cinéaste provoque l'émotion. "La femme est comme dans un étau et doit vivre là", relève-t-elle. Il en résulte une tension qui fait bouillonner Freda. "Elle fait partie de ces jeunes qui n'ont pas la possibilité de se projeter. Et comme son quotidien est ponctué de manifestations, de pneus qui brûlent, de tirs dans la rue… tout l'empêche d'imaginer un futur", estime Gessica Généus.

En s'attachant aussi à la figure ambiguë de la mère qui pratique la religion avec un zèle suspect, la cinéaste souligne le clivage et la rivalité entre le protestantisme et la culture vaudou. "Le protestantisme fait office de gouvernement dans notre pays", déplore Gessica Généus. "Et donc elle fait la guerre au vaudou parce que quand on n'a pas de réponse, on attribue tout ce qui nous arrive au diable, à la malédiction. Le vaudou est utilisé comme symbole de cette malédiction." Une analyse qui n'empêche pas Freda de frayer avec ses rites comme pour revendiquer ses racines noires.
Freda est dialogué en créole, langue que la réalisatrice à voulu imposer : "Je ne voyais pas comment faire le film autrement qu'en créole même au-delà d'un combat personnel ou d'un désir d'affirmation de ma négritude." Elle valorise une caméra mobile, maniée par Karine Aulnette, qui traque les émois des personnages dans des scènes d'échanges intenses, lançant ses jeunes actrices débutantes, Néhénie Bastien et Fabiola Rémy, dans les situations. "Je donne peu d'indications", confie-t-elle. "Ce que j'aime, c'est saisir le réel." Le film en profite sans que l'articulation entre les scènes soit assez convaincante.

La production est assurée par la société de Gessica Gédéus et une structure française [SaNoSi Productions, Maintenon, près de Chartres], avec le concours d'une société basée au Bénin [Merveilles Production, Cotonou]. Ainsi Freda transmet des vibrations haïtiennes au-delà des frontières, prolongeant l'engagement de sa réalisatrice, plus saisissant que sa maîtrise de l'écriture cinématographique. "Je vis dans un pays où le mystérieux est aussi vivant que le réel", glisse-t-elle en bravant les dangers. "On a besoin de penser que tout pourra aller bien un jour. Mais Freda, comme les Haïtiens, est privée de cette illusion." Un message qui reste fort pour sensibiliser les spectateurs au sort de Haïti.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)
pour Africiné Magazine

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