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Le Mandat (Mandabi)
Le prix de l'émancipation sénégalaise
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 28/06/2021
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
Ousmane SEMBÈNE, réalisateur sénégalais
Ousmane SEMBÈNE, réalisateur sénégalais
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film, avec Makhourédia Guèye (en bonnet rouge) et Sembène (avec la pipe, l'écrivain public)
Scène du film, avec Makhourédia Guèye (en bonnet rouge) et Sembène (avec la pipe, l'écrivain public)
Scène du film, avec Isseu Niang (la 2ème épouse, au premier plan) et Younousse Ndiaye (1ère épouse)
Scène du film, avec Isseu Niang (la 2ème épouse, au premier plan) et Younousse Ndiaye (1ère épouse)
L'affiche de 1968
L'affiche de 1968

LM Fiction de Ousmane Sembène, Sénégal / France, 1968
Sortie France : 30 juin 2021
Distribution : Splendor Films

Alors que la production des images africaines s'amplifie, dopée par les nouvelles technologies et la diversité des supports, il semble utile pour aller plus loin, de mieux évaluer l'apport des pionniers. Le plus en vue est sans doute Ousmane Sembène, connu pour avoir ouvert la voie du cinéma sénégalais, et au-delà, valoriser la percée du 7ème art de l'Afrique de l'Ouest après les indépendances.
Inaugurée avec Borom Sarret, 1963, puis La Noire de… en sélection à la Semaine de la critique 1966, lauréat du Prix Jean Vigo et d'un Tanit d'or aux JCC, la carrière de Ousmane Sembène continue son essor avec Le Mandat, découvert à la Biennale de Venise en 1968. C'est cette œuvre caustique et militante, à l'image de son auteur, qu'une restauration opportune en 4K, pare d'un nouvel éclat sur les écrans d'aujourd'hui.



Le film est l'adaptation d'une nouvelle de Sembène, publiée en France, en 1966. Le récit s'attache aux péripéties de Ibrahima Dieng, un brave musulman désargenté qui exerce son autorité sur ses deux épouses. Sa vie se complique lorsqu'il reçoit un mandant de 25 000 francs CFA (environ 38 euros, NDLR), envoyé de Paris par son neveu émigré. La somme doit être remise à sa sœur et Ibrahima peut garder 2 000 francs. Aussitôt que la nouvelle portée par le facteur arrive, les épouses achètent à crédit et la convoitise s'étend dans le voisinage. Mais Ibrahima a du mal à encaisser le mandat.
La Poste exige une pièce d'identité qu'il n'a pas et le renvoie à la mairie où sa date de naissance imprécise ne lui permet pas de l'obtenir. Piloté par des proches intéressés par une commission, il se fait gruger par un pseudo photographe, sans avoir les photos indispensables aux papiers. Baladé d'un côté à l'autre de Dakar, Ibrahima est coaché par son neveu, peu scrupuleux, pour faire une procuration et toucher le mandat. Mais les embûches persistent et les dettes s'accumulent. Ibrahima perd pied, devenant la risée de son entourage.

Ousmane Sembène dénonce le système administratif hérité du modèle colonial français. Il croque avec mordant les fonctionnaires corrompus qui servent leurs intérêts en jouant les cultivés parlant français. C'est ainsi que Sembène, marxiste et anticolonialiste, innove en valorisant et en revendiquant l'usage du wolof, une des langues les plus parlées du Sénégal. Avec la fermeté qui le caractérise, il s'affirme comme un cinéaste de l'indépendance, résolu à montrer ses concitoyens sans concessions alors que les colons français interdisaient aux Sénégalais de filmer leur territoire.
Le Mandat est mis en scène avec efficacité, enchaînant les moments de tensions autour du personnage principal. Ousmane Sembène souligne le rôle des femmes dans la cour et les activités du quotidien, les gestes rituels du musulman, l'avidité des religieux intéressés, les commerçants opportunistes, les voisins prédateurs. Son approche réaliste de Dakar relève les contrastes de la ville avec ses rues animées, pleines de voitures dans les quartiers administratifs du centre, et les maisons basses traditionnelles du quartier où vit Ibrahima.

Ce héros déstabilisé est joué par l'acteur de théâtre Mamadou "Makhourédia" Guèye, un des seuls professionnels de la distribution. Pourtant le film valorise des figures de la scène sénégalaise telle Isseu Niang qui est déjà une artiste appréciée. Et le cinéaste apparaît comme il aime le faire, dans le rôle d'un traducteur de français à la Poste. Après un mois de répétitions, les protagonistes recrutés pour Le Mandat composent des personnages énergiques devant l'objectif du chef opérateur français Paul Soulignac qui a aussi cadré L'Eau vive de François Villiers, 1958.
Mais à part le monteur français Gilbert Kikoine avec qui Sembène retravaillera, le réalisateur privilégie des Sénégalais pour les postes techniques. La production mobilise l'apport du cinéaste avec le Français Robert de Nesle, impliqué dans le Comptoir Français de Production Cinématographique. L'objectif du réalisateur est d'affirmer la fierté africaine en échappant aux archétypes occidentaux, tout en dénonçant les dérives et la corruption du Sénégal post indépendance.

Cette ambition fait écho aux revendications actuelles et la restauration du film lui permet de conquérir d'autres territoires à l'international (*). En 2021, le visuel de la nouvelle affiche est dû à l'artiste nigérian Adekunle Adelelke. Ainsi se conjugue le panafricanisme cher à Sembène, avec la production cinématographique contemporaine. Car les sujets traités dans Le Mandat restent d'une grande actualité. Et cette fable sur l'honneur, l'hypocrisie et l'émancipation, opportunément restaurée, peut toucher plus largement de nouvelles générations.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)
pour Africiné Magazine

(*) La version restaurée (par StudioCanal, en 4K) de la fiction de Ousmane Sembène date de 2020.
Splendor Films distribue Le Mandat dans les salles françaises.
Studiocanal sort le film restauré, en DVD et Blu-ray en France, au Royaume-Uni, en Australie, en Nouvelle Zélande puis dans d'autres pays grâce à ses partenaires internationaux.
Criterion l'édite en vidéo, aux Etats-Unis et au Canada.

Parmi les suppléments du Combo DVD/Blu-Ray, disponible depuis le 30 juin 2021, figurent un commentaire audio par Samba Gadjigo et Jason Silverman, auteurs du documentaire Sembène !, 2015, une interview de Alain Sembène, fils du réalisateur, une conversation entre le scénariste Boubacar Boris Diop et la sociologue Marie-Angélique Savané à Dakar, plus divers documents sur le film.

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