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Le père de Nafi
Dérives de l'islam au Sénégal
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 06/06/2021
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine et Afrimages
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine et Afrimages
Mamadou DIA, scénariste et réalisateur sénégalais
Mamadou DIA, scénariste et réalisateur sénégalais
Scène du film
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Scène du film, avec Alassane Sy (de face)
Scène du film, avec Alassane Sy (de face)
Scène du film
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LM Fiction de Mamadou Dia, Sénégal, 2019
Sortie France : 9 juin 2021

La progression du radicalisme religieux préoccupe de nombreux états africains. Et même si le Sénégal est encore relativement épargné par l'intégrisme, Mamadou Dia est l'un des premiers cinéastes de la région à aborder la question avec une fiction, Le père de Nafi, 2019. Fils d'imam il débarque aux Etats-Unis en 2014, pour engager un Master cinéma. Le réalisateur retrouve sa ville natale, Matam, pour mettre en scène un drame familial édifiant. "Le problème terroriste ne se pose pas réellement au Sénégal", relève Mamadou Dia, "mais il était intéressant de poser le débat".



Le père de Nafi, Tierno, est un imam traditionnel qui régule avec sagesse et conformisme la vie du village, refusant que sa fille parte étudier à l'université. Et l'inclination de Nafi pour son cousin, Tonkara, fils de son frère Ousmane, déplait à Tierno qui voit son autorité contestée. Ousmane s'oppose aux valeurs de Tierno en voulant instaurer sa mainmise sur le village pour favoriser la venue d'un chef religieux, au profil de djihadiste autoritaire, avide d'y asseoir son pouvoir.
Tierno tente de conserver son prestige auprès des habitants que son frère séduit par ses principes et achète avec de l'argent, fourni en sous-main. Et il s'efforce de garder sa fille en défendant la liberté du village. La famille est prête à éclater mais Nafi sait réagir. Les intégristes aussi, en pratiquant la politique de la terre brulée, et en éliminant leur maillon faible. C'est alors à l'imam qu'il revient d'apaiser les tensions et de restaurer le dialogue dans sa communauté.

Mamadou Dia s'appuie sur une trame solide pour filmer un conflit familial, aiguisé par l'intrusion des islamistes. "L'idée du film était de montrer les conséquences du terrorisme sur la cellule familiale", confirme le cinéaste en opposant deux frères qui ont des conceptions différentes de l'islam. Car si Tierno assure le maintien d'une tradition pacifique et conservatrice dans le village, Ousmane y revient avec une vue de l'islam rigoriste et radicale. "Celui qui arrive avec des idées nouvelles sur la religion est finalement celui qui la connaît le moins", estime Mamadou Dia, en relevant toutefois les contrastes de Tierno.
En revanche, sa femme lui insuffle sa sagesse, et sa fille, Nafi, paraît comme un personnage volontaire qui oriente l'action par ses désirs de choix et d'émancipation. "Nafi est à l'image de ces femmes peules", souligne le réalisateur. "Elles ont ce regard décidé et savent très bien comment arriver à leurs fins". Mamadou Dia valorise alors la résistance féminine, de Nafi et de sa mère, comme une forme de réaction face au conservatisme et à la radicalisation religieuse ambiante.

"J'ai grandi dans un islam très tolérant qui est celui de l'Afrique subsaharienne. C'est cet islam méconnu que je voulais montrer en pointant ce qui n'est pas vrai mais que l'on entend dans les médias", explique Mamadou Dia. Après avoir peaufiné son scénario grâce à des ateliers d'écriture successifs, il signe Le père de Nafi en s'appuyant sur une production sénégalaise qu'il coordonne avec ses associés pour raviver le cinéma de son pays.
En employant un cadre parfois théâtral, des accélérations de rythme et de tensions, Mamadou Dia compose un spectacle éclairant avec des images soigneusement travaillées. Il profite de sa connaissance profonde de Matam où il est né, de l'engagement des techniciens, pour livrer une fiction tendue, menée par ses interprètes dont Alassane Sy qui joue Tierno avec sobriété. Et la musique de Baaba Maal peut résonner.

Le père de Nafi paraît ainsi une fiction sénégalaise qui se joue entre les genres de cinéma, sans parfois réussir à aérer une histoire très réfléchie. Son auteur lance pourtant avec énergie son regard sur la tolérance et le sens civique au Sénégal. Il propose une image constructive de la religion musulmane pour élargir les esprits en célébrant la famille. "Le film est un moyen de défaire les préjugés", affirme Mamadou Dia, en projetant ses héros sur les voies de l'accomplissement et de l'ouverture.

Michel AMARGER
Afrimages / Média France
pour Africiné Magazine

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