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Rouge
Couleur de colère et de pollution
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 11/08/2021
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
Farid Bentoumi, réalisateur
Farid Bentoumi, réalisateur
Scène du film, avec Nour (Zita Hanrot) et Slimane (Sami Bouajila)
Scène du film, avec Nour (Zita Hanrot) et Slimane (Sami Bouajila)
Scène du film, avec Emma (Céline Sallette)
Scène du film, avec Emma (Céline Sallette)
Scène du film, avec Stéphane Perez, le patron (Olivier Gourmet)
Scène du film, avec Stéphane Perez, le patron (Olivier Gourmet)
Scène du film, avec Slimane (Sami Bouajila)
Scène du film, avec Slimane (Sami Bouajila)
Scène du film, avec Nour (Zita Hanrot)
Scène du film, avec Nour (Zita Hanrot)
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film

LM fiction de Farid Bentoumi, France / Belgique, 2020
Sortie France : 11 août 2021

L'acteur Farid Bentoumi s'est imposé come réalisateur par des courts-métrages remarqués tel Brûleurs, 2011, avant de défendre les couleurs de ses racines algériennes dans Good Luck Algeria, 2016. Cette comédie, basée sur l'histoire de son frère, candidat aux Jeux Olympiques d'hiver en portant le drapeau algérien, pouvait amuser à bon compte. Mais cette année, le cinéaste né en France, voit Rouge, en s'orientant vers un sujet plus social sans détacher son regard du noyau familial.



Nour, jeune infirmière, perd sa place dans l'établissement où elle exerce, pour un moment d'inattention. Son père, Slimane, la propulse alors dans un poste de soignante à l'usine où il travaille depuis des années. Délégué syndical à l'autorité incontestée, il épouse les directives des patrons, en ménageant la survie de l'usine. Alors qu'un contrôle sanitaire doit déterminer si les rejets de l'usine, enfouis sous une zone protégée, vont continuer à être autorisés, une journaliste indépendante, Emma, conteste la gestion des déchets malgré l'assentiment des élus.
Nour qui constate des manquements aux règles sanitaires dans l'usine, bien que son père la rassure, s'invite dans l'enquête d'Emma. Elles tentent de percer les secrets de l'usine qui fait vivre l'économie locale mais pourrait aussi polluer en fragilisant la santé des ouvriers, ou en occultant des accidents. En s'approchant de certaines vérités, Nour se retrouve confrontée à son père qui défend les vues de la direction.

La confrontation s'articule sur la question des déchets, inspirée au réalisateur par l'usine de Gardanne qui rejette des boues rouges toxiques dans la Méditerranée. Mais la fermeture de l'usine, demandée par les autorités, compromettrait l'économie du coin déjà plombée par le chômage. La complexité de la situation accroit la tension développée dans Rouge. Issu de milieu populaire, Farid Bentoumi s'est servi des impressions d'enfance auprès d'un père ouvrier syndicaliste, pour cultiver un style réaliste, renforcé par des enquêtes de terrain.
"Je cherche comment vont réagir les personnages, quelles seront leurs interactions", explique Bentoumi qui retrouve Sami Bouajila, héros de Good Luck Algeria, et lui fait endosser le bleu fatigué du syndicaliste. "Il croit se battre pour ses collègues, pour sa ville, alors qu'il subit ce que lui dicte l'usine", explique le réalisateur. Et lorsque sa fille, interprétée par Zita Hanrot, découvre cette situation, elle s'oppose à Slimane. "C'est très dur pour elle de voir que son père est lâche, même s'il est lâche malgré lui et ne veut pas se l'avouer", estime Bentoumi qui nuance les caractères tel celui du patron, joué par Olivier Gourmet, en mesurant les dangers qui clivent la cellule familiale autour du père : "La culpabilité d'avoir menti à ses filles lui pèse. S'il perd ses filles, il perd tout."

L'enjeu est aiguisé par l'enquête de la journaliste, Emma, enceinte comme son interprète Céline Sallette, qui précipite les révélations sur la pollution de l'usine et son fonctionnement véritable. "Le rouge c'est la salissure, mais aussi le sang, la blessure, et puis la couleur politique de l'engagement syndical", indique le réalisateur qui peaufine ses décors pour établir des rapports entre la progression de l‘enquête, les boues rouges, et l'indignation qui monte chez Nour. "Toute l‘ambiance de l'usine, les bruits, le brouhaha humain, c'est le son qui la crée", précise le cinéaste. "Pareil pour la musique de Pierre Desprats, elle soutient la dramaturgie, créé le drame, la tension dramatique."
Rouge valorise son sujet avec mesure et s'attache aux protagonistes grâce à son opérateur Georges Lechaptois. "J'avais envie de suivre les personnages, qu'ils soient cadrés près des visages, souligne Bentoumi. "C'est important qu'ils s'appellent Slimane et Nour, mais c'est tout aussi important qu'aucun signe extérieur ne les signale comme maghrébins ou musulmans. Dans les usines et chez les infirmières, il y a beaucoup de Maghrébins, donc mes personnages sont tout à fait crédibles sur ce plan là, mais ils ne portent pas de marqueurs de leurs origines."



Rouge s'inscrit ainsi comme un film de société, coproduit par la France et la Belgique. "Je suis né en France, j'ai toujours vécu là", déclare Bentoumi. "Quand on me demande mon origine, je réponds toujours très naturellement que je suis savoyard. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir des racines algériennes, de la famille en Algérie." Ces influences se combinent pour éclairer l'indignation d'une jeune Française et la soumission imposée à une génération d'ouvriers immigrés.
"L'engagement de Nour se situe là, dans cette prise de parole des femmes, mais ce n'est pas lié à ses origines. Alors que chez Slimane, c'est bien sa double condition d'ouvrier et de Maghrébin qui l'a incité à fermer sa bouche", analyse le cinéaste, scrutant une famille minée par la rudesse des rapports sociaux et l'emprise de l'économie. Farid Bentoumi opte ainsi pour un style classique, servi par ses interprètes qui incarnent Rouge avec fièvre, en soufflant sur les braises de la révolte.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)
pour Africiné Magazine

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