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Tu mourras à 20 ans (You will die at twenty)
Composer avec le sort au Soudan
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 10/02/2020
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
Amjad ABU AL-ALA, réalisateur et producteur soudanais
Amjad ABU AL-ALA, réalisateur et producteur soudanais
Scène du film
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LM Fiction de Amjad Abu Alala, Soudan / France /Egypte / Allemagne / Norvège / Qatar, 2019
Sortie France : 12 février 2020


Raviver le cinéma soudanais à l'heure où le régime politique opère une transition entre militaires et civils après le départ de Omar el-Bechir, en avril 2019. Tel est l'enjeu recherché par Amjad Abu Alala avec son premier long-métrage, Tu mourras à 20 ans, 2019. Installé à Dubai où il a grandi, le cinéaste tente d'élargir ses moyens dès ses courts-métrages après Plumes d'oiseaux, 2005, filmé avec la contribution de sa famille, puis Tina, 2009, coproduit avec l'Afrique du Sud et un chef opérateur cubain.
Amjad Abu Alala est aussi producteur de films courts et il s'investit dans des ateliers de formation, à travers le Sudan Film Factory depuis 2008. Il devient aussi programmateur pour la première édition du Festival du film indépendant du Soudan à Khartoum, en 2014. Et il monte une coproduction internationale avec la France, l'Egypte, l'Allemagne, la Norvège et le Qatar pour Tu mourras à 20 ans. L'équipe est composée d'un chef opérateur français, d'un premier assistant égyptien, du preneur de son libanais, assistés par des Soudanais en formation. Et la postproduction s'effectue au Caire.




L'histoire débute dans la province d'Aljazira, à la naissance de Muzamil. Lors du rituel soufi qui la marque, un derviche s'évanouit et le chef religieux prédit que l'enfant mourra à 20 ans. Le père de Muzamil ne peut le supporter et il quitte le foyer. Sakina, la mère, élève seule, l'enfant, affrontant le regard plein de commisération de l'entourage. Mais son fils grandit sans aller à l'école puisqu'il n'a pas d'avenir prévu.
Muzamil est attiré par une jolie voisine mais n'ose céder à ses sentiments à cause de la prédiction. Seul Suleiman, un marginal qui projette des films dans sa maison en buvant et en vivant hors des codes, veut élargir l'horizon du jeune homme. Il le défie de se démarquer de son sort, de s'écarter des préceptes du Coran et de son apprentissage dans lequel le garçon se réfugie. Et à 19 ans, les principes de Muzamil vacillent face à l'échéance de sa mort annoncée.

Tu mourras à 20 ans est l'adaptation d'une nouvelle du célèbre écrivain soudanais, Hammour Ziada, opposant exilé en Egypte. Amjad Abu Alala l'enrichit de souvenirs personnels comme la figure de la mère du héros et la vieille dame du village, vêtues comme sa mère et sa tante, de noir et de blanc pour marquer le deuil. Suleiman est inspiré d'un oncle du cinéaste qui lui a fait aimer les projections.
Le récit est déplacé au sud de Khartoum, dans le village du père du réalisateur. C'est la région où coule le Nil blanc, et le Nil bleu qu'on voit dans le film, avant de se rejoindre à Khartoum. "Je voulais situer l'action chez moi, au centre du Soudan", confie Amjad Abu Alala. " Le soufisme, cet élan mystique opposé au salafisme, est très fort dans cette région."

Tu mourras à 20 ans se pose alors comme une réflexion sur le foi et le destin. "Le film montre comment une forte croyance peut affecter la vie des gens, et la façon dont cette foi peut être instrumentalisée politiquement", affirme le cinéaste, faisant allusion à la manière dont le gouvernement a utilisé l'islam pour régner. La mère de Muzamil paraît symboliser une forme de résignation en décidant de ne pas l'envoyer à l'école car : " A quoi bon apprendre s'il doit mourir ?"
Le père comme d'autres hommes au Soudan, émigre. "Ils préfèrent envoyer de l'argent que d'élever leurs enfants", déplore la cinéaste. C'est donc chez Suleiman, son ami, amateur de films et d'alcool auprès de sa compagne, que le héros va entendre une autre philosophie comme le souligne Amjad Abu Alala : "Suleiman voudrait que Muzamil vive sa vie : une vie pleine de bien et de mal, ou personne ne vous indique le chemin."

En montrant des images du passé projetées par Suleiman, le réalisateur cite le documentaire Khartoum de Jadallah Jubarra, cinéaste local disparu. On y voit des citoyens qui s'amusent, en rupture avec ceux du Soudan actuel. "Ces gens étaient libres avant 1989, avant que le gouvernement islamique ne ferme tous les bars et finisse même par fermer le centre du cinéma", regrette Amjad Abu Alala. Son travail vise à encourager les Soudanais à se prendre en main. "Mon film est une incitation à être libre", renchérit le cinéaste. "Rien ni personne ne peut vous dire : voici ton destin, il est écrit quelque part."
Mourir à 20 ans illustre cette démarche volontariste en soignant la qualité des images, le rythme ralenti de la vie au village. La musique de Amine Bouhafa s'amplifie parfois avec emphase comme pour souligner la nécessité d'exporter une fiction spectaculaire. "Notre culture est métissée : au Soudan, les influences arabes et africaines se mélangent", estime Amjad Abu Alala, défendant la richesse des échanges renouvelés dans Tu mourras à 20 ans. "C'est pour cela, à mon sens, que le cinéma soudanais a un avenir."

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France)
pour Africiné Magazine

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