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Une Histoire d'amour et de désir
S'ouvrir au sentiment et au corps
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 01/09/2021
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine
Leyla Bouzid, réalisatrice franco-tunisienne
Leyla Bouzid, réalisatrice franco-tunisienne
L'actrice tunisienne Zbeida Belhajamor (Farah)
L'actrice tunisienne Zbeida Belhajamor (Farah)
L'acteur français Sami Outalbali (Ahmed)
L'acteur français Sami Outalbali (Ahmed)
Scène du film
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LM Fiction de Leyla Bouzid, France / Tunisie, 2020
Sortie France : 1er septembre 2021

La sensualité et le romanesque qui s'épanouissent dans le cinéma tunisien se perpétuent sous la caméra de Leyla Bouzid. Appréciée avec son premier long-métrage, A peine j'ouvre les yeux, 2015, qui capte l'image de la jeunesse tunisienne à travers les visions d'une chanteuse engagée, elle retourne son objectif pour saisir les émois d'un jeune homme coincé dans Une histoire d'amour et de désir, 2020. Cette fiction, retenue à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2021, pose et expose la question des sentiments entre deux Maghrébins qui se rencontrent en France. A Paris, là où le film est produit.
Ahmed est un Français d'origine algérienne, grandi en banlieue parisienne. Intériorisé et plutôt timide, il se passionne pour la littérature arabe du XIIème siècle en suivant des études de lettres à la Sorbonne. C'est là qu'il tombe sur Farah, une Tunisienne pleine d'énergie qui arrive dans la capitale pour poursuivre ses études supérieures. Ahmed est irrémédiablement séduit mais il freine son attirance par pudeur et réserve. L'exploration de la littérature arabe, pleine de sensualité, suggestive, ouvre de nouveaux horizons à Ahmed en le rapprochant de Farah.



Avec son titre explicite, Une histoire d'amour et de désir s'attache à la naissance du sentiment et de l'attirance charnelle en réglant son focus sur le héros masculin. Ahmed trouve la manière de cultiver son univers intime en lisant et en étudiant à la fac. "La question de sa place dans cet espace et de sa légitimité à ses propres yeux se pose", relève la réalisatrice en faisant du garçon, né en France, un homme coupé de sa langue et de sa culture algérienne que ses parents, émigrés pour fuir la décennie noire, ne lui ont pas transmis.
À l'opposé, Farah "entretient un rapport direct à sa culture d'abord tunisienne, puis arabe", selon Leyla Bouzid. "Si elle vient en France, c'est parce qu'elle en a fait le choix". En opposant les origines de ses protagonistes, la cinéaste croise leurs trajectoires et illustre la variété de situations des Maghrébins. "Je voulais redonner de la pluralité et de la diversité au sein de ceux qui composent "la communauté maghrébine" en France", explique Leyla Bouzid, montrant des personnages aux options différentes autour des héros.

Les contradictions qui freinent l'expression des sentiments de Ahmed puisent leurs racines dans l'éducation et les postures du garçon, comme le pointe la réalisatrice : "Le dilemme dans la culture arabe entre amour pur et jouissance, la sublimation de l'amour, la peur de ne pas savoir, l'impossibilité de se référer à un aîné… Chez Ahmed, tous ces éléments se cristallisent". Du coup, l'attirance que provoque Farah, la découverte des écrits sensuels, se conjuguent pour décoincer peu à peu Ahmed.
"L'émancipation s'opère par petites touches progressives, à travers l'évolution du sentiment amoureux, mais aussi la rencontre avec la littérature érotique arabe, l'écriture, la puissance des mots", commente Leyla Bouzid. "Il s'agit d'un récit initiatique et Ahmed va, d'une certaine manière s'émanciper." C'est cette ouverture progressive que le film propose de partager, en jouant sur le contraste entre l'assurance de Farah et la déstabilisation qui gagne Ahmed tel que le confirme la réalisatrice : "Que Farah cristallise à la fois un sentiment amoureux et un désir charnel le submerge et il a besoin du temps du film pour y parvenir.".

Ainsi Une histoire d'amour et de désir met en scène un homme en déséquilibre. "J'ai voulu redonner une vraie place à la fragilité masculine et accorder une part signifiante à sa sexualité", avance la cinéaste. Mais elle valorise aussi le rôle de la littérature arabe classique, érotique, avec sa liberté de ton. "Tout le monde connaît Les Mille et Une Nuits", s'enflamme Leyla Bouzid. "Il fait partie d'un corpus littéraire foisonnant, d'une richesse et d'une modernité vertigineuses." En revendiquant cet héritage, la cinéaste s'affirme contre les interprétations réductrices et les intolérances récemment exprimées en Tunisie.
Servie par ses jeunes acteurs, Sami Outalbali, actif en France, et Zbeida Belhajamor, fonceuse en Tunisie, Leyla Bouzid pose sa caméra avec tact pour saisir par petites touches, les regards, les frôlements, les évitements, les attractions qui se jouent entre les personnages. "La sensualité a vraiment été le mot qui a guidé l'ensemble des choix artistiques du film", affirme la réalisatrice. Avec son chef opérateur familier, Sébastien Goepfert, elle saisit délicatement l'éclosion des sentiments, le frémissement des chairs qui emporte les amants au-delà de leur zone de confort. Pour mieux s'inscrire dans leur histoire…

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)
pour Africiné Magazine

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