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Entretien avec Tambla ALMEIDA, Directeur du Festival Oia (Cap-Vert)
"Nous sommes un peuple dont la base culturelle est fondée sur l'oralité"
entretien
rédigé par Bassirou Niang
publié le 10/01/2023
Tambla ALMEIDA, Directeur du Festival Oia
Tambla ALMEIDA, Directeur du Festival Oia
Bassirou NIANG, Rédacteur (Dakar) à Africiné Magazine, Correspondant spécial à Mindelo, Cap-Vert
Bassirou NIANG, Rédacteur (Dakar) à Africiné Magazine, Correspondant spécial à Mindelo, Cap-Vert
L'équipe au travail (Trabalho de Produção, Festival Oiá)
L'équipe au travail (Trabalho de Produção, Festival Oiá)
L'équipe du Festival (Equipa de Produção, Oiá 2022)
L'équipe du Festival (Equipa de Produção, Oiá 2022)
L'équipe du Festival (Equipa de Produção, Oiá 2022)
L'équipe du Festival (Equipa de Produção, Oiá 2022)
Artemisa Ferreira, productrice et réalisatrice (Cap-Vert)
Artemisa Ferreira, productrice et réalisatrice (Cap-Vert)

Conquérir sa place dans l'espace cinématographique afrcain et international, tel est le cheval de bataille de monsieur Tambla Almeida, réalisateur cap-Verdien et Directeur du Festival de cinéma Oia. Il est conscient qu'il y a du chemin à faire. Un pas important vient d'être accompli par les amoureux du septième art, singulièrement les jeunes qui, aujourd'hui, sont en train d'écrire l'histoire du cinéma cap-verdien, à travers des productions montrant leur envie et un travail soutenu.
En tant que réalisateur, il présente ce mercredi 11 janvier 2023 son film Ulime (2010) à Maputo (Mozambique), avec l'Association des Ecrivains Mozambicains (AEMO). Il animera la discussion sur le cinéma capverdien à cette occasion. 

Tout d'abord, pouvez-vous me donner un aperçu du cinéma capverdien ?

J'ai dit dans un article de journal en 2010 que "Si l'histoire de l'exploitation du cinéma dans les salles du Cap-Vert est du genre comique-dramatique avec une fin stupidement tragique, l'histoire de la production fait exactement le contraire et arrive aujourd'hui avec la saveur d'un film héroïque".
En 2022, cette phrase est encore plus actuelle et plus affirmée dans les deux sens du terme. En d'autres termes, les salles de projection de films sont presque inexistantes dans toute l'archipel et, en sens inverse, la production de films n'a jamais été aussi proche de la consolidation qu'aujourd'hui. Nous sommes un peuple dont la base culturelle est fondée sur l'oralité, en particulier la musique.

Les arts visuels ont toujours été à la plus petite échelle. La production cinématographique actuelle, même si elle est amateur dans sa grande partie, impose une présence, même s'il n'y a pas d'unité dans cette production. Il est fait plus avec le cœur ; nous n'accordons pas toujours l'intérêt qu'il faut au cinéma au Cap-Vert. Et bien sûr, je veux dire une pensée collective, le résultat d'affrontements et d'accords.



"Les femmes réalisatrices sont franchement moins nombreuses, mais la qualité de leur travail est supérieure à la moyenne"



Quelles sont les tendances les plus marquantes ? Et quelle place y occupent les femmes réalisatrices ?

Actuellement, la tendance la plus répandue est le genre documentaire. Ce qui peut se comprendre par la nécessité d'enregistrer certaines marques d'identité et par la dimension plus légère de la production de documentaires par rapport à la fiction. Ces documentaires varient beaucoup en fonction des conditions et de l'expérience du réalisateur. Celles-ci varient entre un style télévisuel basé sur des interviews à celles plus expérimentales, qui révèlent une sensibilité poétique dans le travail du son et de l'image. Certains sont réalisés en pensant exclusivement à la sphère cap-verdienne, qui comprend les îles et les diasporas ; d'autres sont produits avec des fonds internationaux et présentent un visage plus professionnel et de meilleurs résultats techniques et artistiques.
Les fictions sont pour la plupart des courts-métrages, qui varient également beaucoup entre la qualité technique et la proposition créative. Les femmes réalisatrices sont franchement moins nombreuses, mais la qualité de leur travail est supérieure à la moyenne, avec de très bons résultats, en plus de quelques prix.
Il faut séduire les femmes pour trouver dans le cinéma un moyen de réalisation professionnelle, dans les différents domaines techniques et expressives. Il est extrêmement important que la réflexion sur le cinéma au Cap-Vert se fasse dans un équilibre entre les pairs, en rendant présente la voix féminine, qui a une importance historique fondamentale dans la culture cap-verdienne. Le nombre de femmes dans le cinéma sur les îles a augmenté, mais les plus grandes réalisatrices se trouvent dans la diaspora, où les possibilités d'action sont plus grandes.

Racontez-nous la genèse du festival Oiá au Cap-Vert

Oiá est né de la passion et de la volonté de jeunes gens qui voulaient faire quelque chose de grandiose pour leur pays. En 2003, alors que j'étais étudiant à Minas Gerais, au Brésil, j'ai réuni mes plus proches camarades de classe pour leur présenter la première grande idée de ce que nous pourrions faire à notre retour au pays. J'ai été très influencé par la reprise du cinéma au Brésil. J'ai fait une prémonition, une sorte de rêve éveillé, que nous pourrions bientôt être au Cap-Vert à produire des films sur nous-mêmes.
Nous avons fait une première édition en 2006 en tant que "Mostra". L'idée était de réaliser une nouvelle expérience de visionnage qui impliquait des projections en plein air, en accordant une attention particulière au genre documentaire. Ce n'est qu'en 2015 qu'il a été érigé en Festival.

Nous sommes très heureux de ce parcours, car depuis le début nous voulions qu'il soit un espace de rencontres pour les cinéastes, les artistes nationaux et les invités internationaux. Mais surtout pour créer une vitrine de qualité pour le producteur national, car nous sommes conscients des efforts que beaucoup doivent faire pour accomplir leur travail. Nous étions considérés comme fous d'investir dans une région sans tradition, sans ressources. C'est pourquoi je rappelle toujours à l'équipe, surtout aux plus jeunes qui n'ont pas été confrontés à certaines adversités, que ce que nous faisons n'est pas pour tout le monde. Seules les grandes âmes acceptent les défis de l'impossible.

Nous encourageons la production en investissant massivement dans la formation gratuite à différents niveaux, technique et créatif. La formation continue d'être au cœur du Projet, et nos stagiaires se produisent dans presque toutes les îles du Cap-Vert et dans la diaspora. Mais nous voulons plus, et nous investissons davantage dans la préparation technique des jeunes et offrons des opportunités de réussite professionnelle dans un domaine créatif aussi noble que le cinéma.

Comment expliquer la longue transition entre la première édition en 2006 et la décision finale d'organiser un festival digne de ce nom ?

Parfois nous avons une vision, elle peut être très lucide dans notre conscience, mais nous devons avoir une certaine humilité lorsqu'il s'agit de communiquer avec les autres. Nous devons être sensibles à notre interlocuteur. Si nous disions en 2006 que nous voulions organiser un festival du film dans un pays qui ne produit pas de films, ce serait un peu un manque de respect pour notre peuple. Au moins, nous avons montré que nous voulions faire quelque chose avec le cinéma.
Nous devons être didactiques, surtout lorsque nous voulons communiquer de grandes choses, lorsque nous voulons communiquer la nouveauté. Même sans avoir une culture de l'image conséquente, notre public est très exigeant, nous avons donc travaillé étape par étape, toujours à l'écoute de leurs observations. Nous avons ainsi atteint un très bon niveau de qualité.



"Nous avons besoin d'un art qui intervienne directement dans le changement de la vie des communautés"



Pourquoi avez-vous choisi de combiner cinéma, musique et environnement ?

La tradition occidentale qui consiste à faire de l'art pour une appréciation complète ne convient pas du tout à nos besoins et à nos ambitions. Nous avons besoin d'un art qui intervienne directement dans le changement de la vie des communautés. Nous combinons le cinéma, la musique, l'environnement et de nombreuses autres formes de communication et d'intervention. Car, de cette manière, nous créons des opportunités de transformation collective, en projetant le développement sans être nécessairement une entité "très sérieuse" ou un bureau de développement. Les dialogues sont plus fluides car avec une action intégrale, les frontières de la communication se diluent davantage. Les résultats ont été extraordinaires, notamment en ce qui concerne le travail dans les communautés et avec les jeunes.

La partie environnementale a été réalisée avec la plantation d'arbres, nous parlons d'îles désertes. Nous participons également à d'autres projets environnementaux, comme les projets marins. Nous avons été obligés, en tant que Cap-Verdiens, de vivre en contact direct avec les montagnes, la mer, les vents, les volcans. Ce sont des phénomènes naturels très puissants ; il faut une éducation à la sensibilité, c'est ce que nous proposons.

Pourquoi choisir, dans la compétition officielle, de récompenser juste les premières œuvres, et non pas les longs ou courts métrages ?

Les premières œuvres sont souvent garanties par les actions de formation que nous menons, il est plus facile de garantir un ensemble de titres nationaux pour le Festival. Pour les productions plus ambitieuses, nous ne sommes pas en mesure de garantir grand-chose. Parfois, nous collaborons avec l'une ou l'autre production locale ; ce qui est toujours un moyen de garantir des titres pour le Festival. Mais dans tous nos échanges avec les autorités nationales, nous avons attiré l'attention sur la nécessité d'augmenter le nombre de films produits dans le pays. Pour cela, il faudra que différentes institutions publiques, ainsi que le secteur privé, fassent ce pari.

Cette année, par exemple, nous avons choisi de ne pas organiser de concours, bien que nous avons déjà eu des éditions avec des prix pour les courts, longs et courtsmétrages d'une minute et la catégorie universitaire. C'était stupéfiant ce blackout vécu dans le secteur artistique depuis 2019. Nous devons toujours nous réinventer. Pouvez-vous imaginer éteindre la lumière des personnes qui ont dû faire face à l'impossible ? Pour nous, il est plus important de réaliser le festival que les compétitions.
Regardez les producteurs nationaux qui ont eu le grand mérite d'avoir maintenu un certain rythme de production durant la période de restrictions découlant de la pandémie de Covid-19. C'est le plus important, à mon avis. Félicitations à tous, quel spectacle ! Qui sait si les concours reviendront l'année prochaine ?

Parlez-nous de l'édition de cette année 2022. Quels grands noms du cinéma cap-verdien, en particulier, et du cinéma de langue portugaise, en général, étaient présents à Mindelo ?

La première chose était de garantir l'organisation du festival. Ce que nous avons obtenu avec le ministère de la culture et le projet ALLIANCE. En réalisant cela, nous voulions plus que la simple tenue d'un festival. Ainsi, en vertu d'un protocole avec la Fondation Roberto Marinho pour les cours de co.liga, nous avons réuni une panoplie de compétences lusophones.
Les principaux talents cap-verdiens présents et qui ont donné un nom à ce festival, étaient Mário Almeida, Yuri Ceunink, Mário Benvindo, Neu Lopes et Flávia Gusmão. Des noms comme Claire Andrade, Ana Fernandes, Jean Gomes, Nennas Almeida, Helder Doca, Nuno Miranda, Artemísia Ferreira, Edson Silva, Samira Vera-Cruz, Júlio Silvão, David Medina, Celeste Fortes.
De l'Angola, nous avons eu les courts métrages d'Ery Claver, l'un des réalisateurs les plus importants du cinéma africain, qui est issu du collectif Geração 80 [Lúcia no céu com semáforos, 2018, Air Conditioner, 2020, Nossa Senhora da Loja do Chinês (Our Lady of the Chinese Shop), 2022, NDLR].

Nous avions Mickey Fonseca - une figure importante du cinéma (de son pays, le Mozambique) qui a signé une sélection de courts métrages. Notre frère Rui Manuel Da Costa a fait de même pour les courts métrages de Guinée-Bissau. Du Brésil est venu le long métrage Ossos de Saudade, de notre cher Marcos Pimentel ; un film tourné au Cap-Vert, en partie.

Nous avons également essayé, sans succès, d'avoir les films de São Tomé et du Sénégal. Mais dans le sens inverse, nous avons fini par obtenir des films du Portugal et du Canada. ceux du Portugal, avec Basil da Cunha, dont les sujets portés sur la communauté cap-verdienne de Lisbonne par exemple.
Du Canada, nous avons reçu Pedro José Marcelino qui est réalisateur et producteur de descendance cap-verdienne dans les diasporas. Nous avons également eu droit à une présentation de courts documentaires sur le thème des droits de l'homme, avec de jeunes nouveaux venus à la suite du concours "Bodji", du projet ALLIANCE. Il est important que le cinéma dans notre pays se construise de cette manière, avec une voix plurielle.



Quels ont été les points forts de l'édition de cette année ? Les grandes lignes du programme officiel ?

Nous avons voulu mettre l'accent sur la production visuelle et audiovisuelle cap-verdienne, assurer la présence d'agents communautaires, de techniciens, de cinéastes, de producteurs, d'artistes, d'étudiants, d'entrepreneurs, de journalistes, d'autorités politiques et d'invités internationaux.
Nous mobilisons les communautés de quartiers et de la diaspora pour qu'elles s'engagent et participent à diverses activités visant à les connecter et à les responsabiliser. Nous cherchons à améliorer les capacités techniques audiovisuelles des jeunes et des étudiants, en proposant différentes expériences de formation telles que des résidences de création, des cours en ligne, des ateliers, des stages, des conférences, des performances, du théâtre de rue, de l'art urbain et, bien sûr, différents exercices de visionnage collectif. Promouvoir et diffuser des informations sur la production audiovisuelle nationale et les agents qui la produisent, favoriser les partenariats d'agents locaux et internationaux dans la réalisation de projets d'éducation artistique, de développement et de co-production ont aussi ryhtmé cette edition 2022.

Comme beaucoup d'autres festivals dans le monde, il y a un thème qui ponctue chaque édition. Quel était le thème du festival Oiá de cette année ?

"Comment le cinéma et l'audiovisuel peuvent-ils être le moteur du développement durable pour les communautés ?", tel était le thème principal. C'est ainsi que nous vivons le cinéma, dans la peau de notre peuple. L'audiovisuel est le secteur qui a connu la plus forte croissance, et qui continue de croître de manière exponentielle, au sein des industries créatives du pays. Cela, sans réflexion, sans structure organique de production ni planification économique de ses revenus. Cependant, la croissance de ce secteur est largement due à l'audace des aux jeunes Cap-Verdiens. Ils se sont appropriés les technologies avec une force terrible. Même sans une base structurée interne d'offres formatives. Ils ne se retiennent pas ; ils s'entraînent. Et ils partagent entre eux une formidable quantité d'informations. Et bien sûr, le cinéma étant un art technologique, le secteur en a profité.

Plus que la question économique, de l'auto-emploi, du travail indépendant, des petites structures de production, de la génération de revenus, du travail agréable, de l'importance du patrimoine. Nous voulons comprendre et montrer comment ces jeunes sont un atout pour leurs communautés.
Nous avons besoin de toute urgence d'une action articulée et d'un réseau pour les communautés. Nous parlons bien sûr d'une nouvelle dimension éducative. Plus communicatif, mieux partagé, mieux articulé ! Ce que nous rendons explicite, c'est que le potentiel des jeunes Africains, leur créativité, leur éloquence et leur détermination, est devenu un facteur hautement déterminant dans le développement de leurs communautés. Nous devons avoir une pensée pour cette puissante énergie au service du développement. Et le traduire en développement.



"Nous avons une idée du pouvoir des images et de l'importance de l'image de soi"



Quels sont les résultats obtenus à la fin du Festival de l'édition de cette année ?

Tout d'abord, nous avons voulu donner à notre peuple une satisfaction poétique, en proposant un programme de films axé sur la production nationale. C'était spectaculaire pour ces communautés vivant dans l'océan Atlantique. Ce rapprochement de la production nationale des localités, des gens, est précieux. Nous essayons de traduire cette approche de la manière la plus sensible possible. Nous avons une idée du pouvoir des images et de l'importance de l'image de soi.
L'équipe de production était d'un engagement incroyable. Je suis fier de faire partie d'un tel collectif. Les principaux acteurs de notre équipe sont des artistes du Carnaval de Mindelo. En outre, ces créateurs sont ceux qui sont les plus proches des communautés. Il est remarquable pour le Festival d'avoir réuni plusieurs d'entre eux dans une action collective. En fait c'est une reconnaissance pour Oia.

Nous avons également été très satisfaits de pouvoir présenter le projet à un groupe de personnes et d'institutions qui y ont investi de diverses manières. Nous avons réussi à rétablir le lien avec les communautés, en particulier avec les jeunes. Cette marche avec les communautés sur les chemins de l'accomplissement est très enrichissante. Parfois, cela ressemble à de la poésie, mais en fait nous participons à la réalisation de l'auto-développement des communautés.
Nous avons désormais conclu un partenariat avec le Ministère de la Culture du Cap-Vert. C'est un signe important, surtout à ce moment précis pour le projet Oiá. Il est d'autant plus important que nous poursuivions un dialogue constructif et collectif sur le cinéma et l'audiovisuel au Cap-Vert.

Au niveau international, nous avons conclu d'excellents partenariats, tant pour les co-productions que pour le renforcement des capacités et les laboratoires de création. Un grand merci à tous ceux qui ont participé au voyage cinématographique de l'autre côté de l'Atlantique. Nous sommes convaincus que les éditions 2023 et 2024 (consacrées à Amilcar Cabral) nous permettront d'accomplir encore de nouvelles belles choses. C'est aussi une satisfaction que le festival d'Oiá retienne l'attention d'un journaliste africain, spécialisé dans les cinématographies africaines.

Entretien réalisé à Mindelo par
Bassirou NIANG

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