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Jean-Pierre Bekolo : "J'ai envie de faire des films qui soignent"
entretien
rédigé par Simon Mbaki Mazakala
publié le 21/06/2017
Jean-Pierre Bekolo, réalisateur camerounais
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Simon Mbaki Mazakala (Africiné Magazine)
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V.Y. Mudimbe, philosophe congolais
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Les Armes Miraculeuses (Miraculous Weapons), 2017
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Miraculous Weapons, 2017
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Miraculous Weapons, prochain film, tourné en Afrique du Sud, avec Maryne Bertieaux, Andrea Larsdotter, Xolile Tshabalala
Miraculous Weapons, prochain film, tourné en Afrique du Sud, avec Maryne Bertieaux, Andrea Larsdotter, Xolile Tshabalala

Dans le cadre de la 2ème édition de "KINSHASA 2015 : Digital City", un évènement artistique pluridisciplinaire qui s'interroge sur la ville du FUTUR dans le développement numérique et les nouvelles technologies, nous avons rencontré le cinéaste camerounais Jean-Pierre BEKOLO, ayant participé en tant qu'invité au travers ses œuvres cinématographiques.

Vous êtes cinéaste et sur invitation de GOETHE institut vous avez proposé vos films à la projection à l'institut français. D'abord Les choses et les mots de Mudimbe. Qu'est-ce qui vous a attiré pour réaliser un film sur ce philosophe de la République Démocratique du Congo ?

La réalisation de ce film découle d'une expérience antérieure. J'avais connu un grand peintre sud- africain, monsieur Gérard SEKOTO quand j'étais étudiant à PARIS. Malheureusement il est mort par après. Quand j'étais parti en Afrique du sud, tout le monde aurait souhaité le connaître vraiment. Et moi, j'étais pratiquement son fils à Paris. J'étais avec lui tous les jours presque. Alors je l'ai regretté profondément. Je me suis dit quand vous avez la proximité avec un aîné qui a fait de grandes choses et que vous êtes cinéaste, vous avez le devoir de documenter. Ce regret-là m'a décidé quand j'ai eu accès au philosophe MUDIMBE, qui était très ouvert à moi, alors que c'est un homme que l'on dit très fermé, pas accessible et qui enseignait des choses très compliquées, et pourtant avec moi tout était simple. Ainsi donc, j'ai estimé que c'était un devoir de le filmer.

Et il s'est ouvert à vous, il vous a donné tout ce qu'il avait à dire en face avec le parler de philosophe. Ce n'était pas facile ?

Je n'ai pas à comprendre ce qu'il dit. Je suis un médiateur. Je prends ce qu'il dit et je propose au public. Ce qu'il dit, je dois le rendre digeste pour que les gens puissent comprendre. Et je ne suis pas le filtre total de ce qu'il dit. En médiateur, je prends d'un côté et je balance vers le public.
Mais c'est vrai que quand les gens me décrivent MUDIMBE, ce n'est pas le MUDIMBE que je connais. C'est la personne la plus gentille, la plus ouverte avec moi. Je partais chez lui, j'entrais partout. Il me donnait à boire du vin dans sa cave. Il m'invitait au restaurant, il a payé l'hôtel pour moi, il m'a donné sa voiture. Vraiment quand on vous donne tout ça, ce genre de personne, ça ne peut pas exister ? Il n'a pas été le moindre obstacle pour tout ce que je voulais faire. Au contraire, il était à mes soins pour mon travail. Quelqu'un de si grand, il pouvait chasser un cinéaste, mais il a accepté de partager. C'est moi qui lui avais proposé au départ ce travail. Par contre, c'est lui qui m'a choisi. Ce n'est pas parce que j'étais très fort ou intelligent. Il a compris le sens de ce que cela avait de le faire et il a accepté.

Autre film proposé Le Président, film sur le Cameroun. Mais un film que le Cameroun officiel n'a pas encore adopté. Comment sentez-vous cette indifférence ?

Ce qui est important dans le travail que nous faisons comme cinéastes, c'est un peu de faire des propositions de cinéma par rapport à nos sociétés d'Afrique. Qu'est-ce que le cinéma, comment il peut être utilisé, comment peut-il entrer dans nos vies comment il peut l'améliorer et nous soigner ?
Quand vous voyez un enfant qui aime Batman ou Superman, c'est parce qu'il est faible. Car le cinéma a une vertu de rendre un enfant faible comme Batman qui le rend fort. Nous tous quand nous avions vu les films de Kung-Fu, nous avions envie de nous bagarrer. Ce n'est pas que nous étions devenus très forts, mais parce que le cinéma avait imprimé en nous quelque chose qui nous rendait le sentiment de la force. La vraie nature du cinéma, on ne l'utilise pas assez.

Pour moi, dans Le Président, c'est de faire voir un problème politique à venir, éventuellement avec le départ d'un président assez âgé. Il fallait qu'on en soit conscient et pas qu'on attende les Nations Unies pour régler les conflits comme on a vu partout. On sait qu'un président de 84 ans va mourir ou va partir. Qu'est-ce qu'on fait pour préparer ça ? C'est la vraie question. Vous n'allez pas être surpris. Quand le problème va arriver, nous n'allons pas dire que nous ne savions pas. Nous ne prenons pas à bras le corps le problème évident qui va nous advenir. Nous attendons toujours la dernière minute. Le cinéma est là pour l'anticipation. C'est pour cela qu'il y a la science-fiction. Si la terre n'était pas ronde. Si la terre s'arrêtait de tourner.
On spécule sur tout. On peut spéculer avec notre quotidien pour notre vie. Spéculer c'est réfléchir et le cinéma a cette mission de nous permettre de réfléchir. Ce n'est pas seulement nous divertir. En français, divertir c'est créer diversion. Quelqu'un qui veut vous divertir, vous regardez à gauche et lui il va à droite. Le cinéma doit nous permettre que nous fassions la science-fiction, que nous anticipions, que nous spéculions.

La science-fiction, vous êtes là-dedans. Vous avez réalisé Les Saignantes pour expliquer le monde du futur ?

C'était pour aller dans le futur. Quand il s'agit d'Afrique, c'est comme si le sujet n'était pas pour nous. Il y a un côté où le futur est réservé. Nous, c'est le passé, c'est le présent. Dès qu'on dit le futur, l'Afrique n'est pas dedans. Pourtant, nous devons occuper cet espace. Il y a aussi mon film Naked reality en noir et blanc. Je voudrais expliquer les religions africaines dans le sens du futur Quand on dit le culte des ancêtres, il suffit d'avoir les problèmes, on recourt aux ancêtres. Tout ça c'est moderne quand on parle de l'ADN. Dans ce film, la maladie du futur sera la malchance.
Chez nous, quand vous avez la malchance, on vous d'aller vous laver au village : c'est-à-dire allez parler aux ancêtres. Or si les ancêtres, c'est l'ADN, la malchance on peut voir ça dans les examens que les blancs font. C'est pour commencer petit à petit à décortiquer nos traditions de manière moderne pour qu'on ne croit pas à un conflit. Au fond, c'est juste une ignorance pour le monde moderne des blancs. Ils ne comprennent pas cela. Mais nous, avec le cinéma, nous pouvons aller au-delà et ouvrir un monde qui est le nôtre et qui est lisible par tous parce que le langage du cinéma est un langage universel.

En tant que cinéaste, vous mettez tout ça ensemble et en projetant le monde actuel dans le futur ?

Le futur est un prétexte. C'est une espèce d'excuse. Parce que si je dis que c'est aujourd'hui, on va me prendre pour un fou. Car ça n'a pas de logique. Or le futur est une espèce d'espace où tout est possible. Je n'ai aucune vision de comment cela va se passer dans le futur. Le futur est un espace où certaines libertés qui ne sont pas encore utilisées sont autorisées.

Vous êtes cinéaste camerounais, vous avez étudié en Europe. Vous évoluez dans toute l'Afrique, mais des fois à l'étranger. Quelle est la symbiose que vous faites entre tous ces voyages et la réalisation de votre travail ?

C'est intéressant, parce que je viens de la Colombie. J'ai fait Bogota-Kinshasa et là je pars à Vienne parce qu'il y a une exposition sur l'histoire coloniale, une série que je fais qui vient de commencer.
Je crois qu'il n'y a pas de différence. Il faut savoir qu'elle est la posture que l'on prend. L'idée de dire qu'il faut sortir du face-à-face avec l'occident. On parle tous les temps des Français, des Belges et des Américains, aussi il faut l'horizontalité. Les Colombiens m'ont plus appris que tout ce que je fais avec les Français et les autres. Ils ont plus d'intérêt. Il y a quatorze millions de Noirs en Colombie ; c'est tout le Sénégal. Ils sont en brousse parce qu'il y a la guerre, ils sont dans l'Amazonie. Quelle différence avec le Noir qui est au Congo ?
Au fond, on a la même brousse. On les a pris esclaves, aujourd'hui, ils vivent la même chose ; les dictatures, les guerres, les rebellions etc.…Ils ont tout ça pareil là-bas. Je préfère être en dialogue avec eux. Ils peuvent avoir des solutions à mes problèmes comme moi de même. L'échange me nourrit.



Quand on va en occident, que je fais une série télé, c'est comme si je la faisais pour les Camerounais [sa dernière production est la série Our Wishes, ndlr]. Je montre un salon d'une maison du pays. Eux viennent regarder comment nous, on les regarde. Notre point de vue. Dans les voyages, il ne faut pas perdre sa perspective. Il ne faut pas perdre son projet. J'ai un projet africain ; quel échange nous avons entre nous et puis qu'est-ce que nous disons aux autres de nous et comment nous le disons. Je crois qu'une fois que tout ça est clair dans la tête, le voyage n'est qu'un moyen de promouvoir cette vision du monde.

À Kinshasa, on vous a posé beaucoup de questions sur votre travail. Quelle a été la préoccupation des personnes intéressées par votre parcours ?

C'est très enrichissant d'entendre ce que disent les Kinois, les Congolais, du cinéma, du monde et de leur pays. Il y a une réelle leçon pour moi parce qu'il y a un proverbe qui dit "si vous voulez aller vite, partez seul. Si vous voulez aller loin, allez avec les autres".Je suis dans la perspective de ce que si on veut aller loin, à chaque fois faire comme un test avec nos populations, nos peuples de ce que nous faisons et d'évaluer où nous sommes. J'ai envie de faire des films qui soignent. Avec l'exemple de l'enfant qui se sent fort, je suis convaincu que nous avons des traumatismes personnels même coloniaux, entre nous, avec les filles qui se dépigmentent la peau pour devenir blanches, problèmes de honte, de complexe d'infériorité. Il faut, c'est FELWINE SARR qui le dit, "reconstruire nos infrastructures psychiques" et le cinéma est l'outil par excellence, c'est l'hôpital. Il faudrait qu'on s'y mette et ça, ça m'intéresse.

MBAKI MAZAKALA Simon

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