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"Une Histoire d'amour et de désir" ou quand Leyla Bouzid s'intéresse "à l'éducation sentimentale d'un jeune garçon timide"
entretien
rédigé par Falila Gbadamassi
publié le 24/08/2021
Leyla Bouzid, réalisatrice franco-tunisienne
Leyla Bouzid, réalisatrice franco-tunisienne
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Scène du film
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La réalisatrice et scénariste Leyla Bouzid
La réalisatrice et scénariste Leyla Bouzid

Une Histoire d'amour et de désir a clos la Semaine de la critique lors de la dernière édition du Festival de Cannes. Avec tendresse et bienveillance, le deuxième long métrage de fiction de la réalisatrice franco-tunisienne raconte les amours naissantes et les tribulations amoureuses d'un jeune couple d'étudiants d'origine maghrébine. Le long métrage est en compétition au Festival du film francophone d'Angoulême qui se tient du 24 au 29 août 2021.

Ahmed (Sami Outalbai), 18 ans, rencontre sur les bancs de l'université Farah (Zbeida Belhaj). Lui est un Français d'origine algérienne. Elle est venue de sa Tunisie natale pour poursuivre ses études à Paris. Le cursus qu'ils ont choisi les amènent à la découverte d'une littérature arabe sensuelle et érotique. Leur démarche intellectuelle coïncide bientôt avec une quête amoureuse. Et le moins frileux des membres de ce nouveau couple n'est pas celui que l'on croit.



Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?

Beaucoup de choses se sont agrégées mais l'idée de départ est de m'intéresser à l'éducation sentimentale d'un jeune garçon timide. J'avais envie de raconter les émois et de construire un récit d'émancipation autour d'un jeune garçon, plutôt de culture maghrébine. Petit à petit, il y a des choses qui sont venues nourrir le film.

Ce film peut avoir des allures de mise au point. Le propos étant de dire au spectateur, l'idée que vous avez aujourd'hui de la culture arabe concernant le sexe et l'amour s'est construite à partir d'images complètement erronées…

En tout cas, c'est une image qui est réductrice et trop simplifiée. L'idée est par conséquent de proposer de la complexité, de la nuance et de la subtilité là où on est beaucoup trop réducteur. Je ne pense pas que le film puisse changer complètement cette image mais il s'agit au moins de dire qu'il n'y a pas que ce qui est mis en avant aujourd'hui.

Votre long métrage est très pédagogique et très didactique. On y retrouve des références littéraires intéressantes justement sur l'amour et le désir traité par des auteurs arabes. Comment vous êtes-vous documentée ?

J'ai essayé de me renseigner et de lire pour nourrir les personnages qui découvrent cette littérature et, effectivement, il y a une dimension pédagogique parce que les protagonistes eux-mêmes apprennent ces textes. Il y en a évidemment beaucoup plus que ce qu'il y a dans le film.

Votre attention se focalise davantage sur le personnage d'Ahmed et celle dont il tombe amoureux, Farah, semble plus libérée que lui quand il s'agit des choses de l'amour. Pourquoi ce parti pris ?

Il me semblait qu'une jeune Français d'origine maghrébine peut avoir du mal avec l'amour, peut être timide et réservé; et qu'une jeune Tunisienne qui arrive de Tunisie peut être, pas forcément libérée, mais en tout cas ne pas avoir de problématique à ce niveau. Néanmoins, Ahmed ne représente que lui-même. J'avais envie de parler d'un garçon timide. Ces personnes existent mais sont peu représentées. On est toujours collé à des clichés. On ne voit que des personnes d'origine maghrébine viriles, avec une masculinité très affichée.

Vous expliquez pourquoi il est timide et combien la pression sociale peut jouer. Ahmed vit dans une banlieue parisienne où ses congénères ont des idées bien arrêtées sur les choses de l'amour ou les relations hommes-femmes. Ils ont érigé des codes dont ils ne connaissent pas eux-mêmes les origines. Ahmed discute ainsi avec un grand-frère du quartier qu'il respecte et qui lui explique, entres autres, qu'on leur aurait volé leur arabité dont le contenu reste flou, y compris pour celui qui la revendique. Qu'est-ce qui explique ce type de situation dont vous rendez compte dans votre film ?

Ils sont dans une recherche identitaire et dans une revendication. Ils ne savent pas eux-mêmes. C'est ce que le film raconte. Je ne sais pas non plus ce que ça veut dire mais j'essaie de remettre de la complexité dans tout cela. Le film s'intéresse à cette identité arabe mais c'est aussi un film sur une romance. Et Ahmed n'est pas timide à cause de la banlieue où il peut y avoir une forme de misère sexuelle, en tout cas des difficultés à vivre une histoire d'amour. Ahmed est timide parce que c'est quelqu'un qui a un monde intérieur, qui aime lire et qui a une vision probablement très pure de l'amour. C'est son tempérament.

Comment avez-vous choisi Sami Outalbai, qui incarne Ahmed, et Zbeida Belhaj qui donne corps à Farah ?
Sami, qui interprète Ahmed, joue depuis qu'il est très jeune mais plutôt des rôles secondaires. Je l'ai vu dans Fiertés (mini-série dramatique) de Philippe Faucon qui passait sur Arte où il jouait un petit rôle mais il m'a paru vraiment intéressant. En le voyant, je me suis dit qu'il avait l'âge, le profil et le physique pour être Ahmed. Je l'ai rencontré et il a tout de suite adhéré au projet. Je l'ai ensuite casté et il était incroyable : il a une voix très belle quand il lit les textes. J'ai rencontré Zbeida en Tunisie. Je l'avais entr'aperçue pendant mon film précédent (A peine j'ouvre les yeux, son premier long métrage de fiction sorti en 2015). Elle était alors très jeune : elle avait 14 ans et là, elle avait le bon âge. Je tenais à ce que ce soit quelqu'un qui vit en Tunisie.

D'une certaine manière, vous êtes une femme qui s'est mise dans la peau d'un jeune homme avec le personnage d'Ahmed. Comment qualifieriez-vous cet exercice ?

Je ne sais pas si je me suis mise dans sa peau mais en tout cas j'ai essayé d'être dans son regard, de le suivre et de le filmer. Je l'ai regardé et j'ai essayé d'être avec lui. Mais il m'échappe un peu aussi. Il a une part de mystère que je lui ai laissé.

Vous êtes franco-tunisienne. Le cinéma africain aujourd'hui est aussi beaucoup celui de sa diaspora. Pensez-vous que votre regard est différent de celui d'un cinéaste en Tunisie ou qu'il n'y aucune différence parce que, peu importe où l'on est, le regard que l'on a sur son pays ou son espace culturel ne change pas vraiment ?

J'ai grandi en Tunisie et je suis arrivée en France à l'âge de 18 ans. Pour ce film, je pense que mon parcours et ma trajectoire m'ont permis d'avoir du recul par rapport à la manière dont on parle de ce que l'on considère comme étant la communauté maghrébine en France et ce sans y mettre de la diversité. Je remets de la diversité au sein de la diversité. Notre trajectoire nourrit forcément notre regard. Ce dernier est nourri par mon vécu et le fait que je sois d'un autre pays et que j'arrive en France. C'est une chance énorme d'avoir une double culture et de pouvoir avoir cette distance-là. Après, en fonction des projets et des films, il y a des histoires que l'on peut raconter de n'importe où. Ce n'est pas obligatoire d'être d'un endroit où d'un autre. Pour ce film, l'enjeu était un questionnement des identités, une interrogation sur la représentation de cette identité. Je suis toujours attentive à la justesse et elle est aussi nourrie par ce que j'ai vu.

Falila Gbadamassi, correspondante spéciale

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