Dans un contexte de Covid, Lingui (Les liens sacrés) de Mahamat-Saleh HAROUN (87 minutes, 2021) a été projeté à l'ouverture de la 32è édition des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC), ce 30 octobre 2021. Le film n'est pas de ces fictions qui étonnent, même si son miroir reflète le mal d'une société tchadienne enfermée dans ses croyances éprouvées par la nouvelle donne du Temps.
On penserait à une sacralité dénudée, lessivée de mauvaise conscience. Au point que les scènes filmées sous une structure narrative quasi linéaire, dénotent de la faiblesse d'un scénario certes courageux dans l'intention, mais volontairement fuyant. Lingui supporte une absence plurielle, en fin de compte. Et que même la dernière image, au lieu de la gommer, renforce tristement.
Les choix de position de caméra en disent parfois long sur l'engagement d'un réalisateur ; et même sur la couleur (sociétale, politique, culturelle, etc.) de sa filmographie. Après Cannes et un séjour sur les écrans burkinabès du Fespaco (en compétition), Lingui se retrouve aux JCC. Ce long-métrage raconte ce que le tabou étouffe : comment pouvoir avorter dans une société foncièrement conservatrice, à cheval sur les valeurs religieuses, malgré un fond de paganisme toujours vécu pudiquement ou du moins secrètement. Et ce, dans une soif de liberté encadrée par les pesanteurs de toutes sortes.
Certes cette liberté suinte chez Amina, la mère d'une fille sexuellement "trompée". Cependant, elle n'est pas réellement rendue dans les expressions du jeu d'acteur, malgré quelques signaux parlants. Au contraire, c'est la roublardise féminine qui se substitue à celle-ci, pour en colmater les brèches.
L'absence, comme souligné ci-haut, revient dans Lingui sous des formes diverses. Celui de l'époux-père délogeant l'amour à travers la mort, après l'abandon-trahison subie par une femme qui a aimé. Et de là surgit le fatum, par ce croisement de deux destins aux relents fatalistes : ceux d'une mère et de sa fille qu'une grossesse à l'adolescence ont poussé vers la porte de sortie de l'école.
L'absence aussi d'un matériau introductif d'une histoire banalement connue dans la société, mais qui nous est servie crûment dès les premières scènes. Est-ce une volonté de renversement ? L'on ne sait ! En tous les cas, l'illusion référentielle est repoussée ou cachée par choix. Et c'est là aussi que l'on découvre cette autre absence d'une figure de paternité (pécheresse et violente). longtemps couvert par la succession de séquences sur une non-identité, jusqu'à ce que sa réalité brutale se révèle à Amina, la bouleversant profondément.
Cependant, la seule consolation qui sauve d'un naufrage ce film à l'issue inattendue et bien trop facile, reste ce choix de rendre le pouvoir et l'esprit d'un raccourci salvateur aux femmes. Les solutions finales avancées par le réalisateur replacent la femme au centre d'un pouvoir traditionnellement détenu par les hommes, à l'image de l'imam du quartier, figure autoritaire non habituée à l'esprit de contradiction.
Même s'il faut souligner qu'à la résolution choisie par Amina puis Fanta s'est superposé un labyrinthe ayant longuement obstrué le chemin de la fuite (de la délivrance ?) pour Amina et sa fille. Métaphore du sinueux parcours esthétique et social des personnages.
Bassirou NIANG