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MORJANA, de Jamal Souissi
Le producteur marocain met en avant sa première œuvre, comme réalisateur
critique
rédigé par Amina Barakat
publié le 07/03/2024
Jamal SOUISSI, réalisateur marocain
Jamal SOUISSI, réalisateur marocain
Hanaa BOUAB ("Morjana"), actrice et chanteuse marocaine
Hanaa BOUAB ("Morjana"), actrice et chanteuse marocaine
Scène du film MORJANA
Scène du film MORJANA
Amina BARAKAT, Rédactrice (Rabat) à AFRICINÉ MAGAZINE
Amina BARAKAT, Rédactrice (Rabat) à AFRICINÉ MAGAZINE

Jamal Souissi est surtout connu en tant que producteur. Il est le président de la Chambre marocaine des producteurs de films et fondateur de la maison de production Tangerine Cinéma Services.
Morjana, sa première oeuvre en tant que cinéaste, a vu le jour.

Le producteur Jamal Souissi émarge désormais comme réalisateur. Son visa de passage est Morjana. Ce joli prénom est porté par l'héroïne du film, interprétée par Hanaa Bouab, l'actrice principale actrice du film.

Jamal Souissi est très actif dans le domaine du 7ème art, présent dans les festivals du cinéma. Ses participations dans les débats, tables-rondes et autres activités sont souvent saluées par les professionnels, plus ceux et celles qui portent un intérêt particulier au cinéma.
Ce nouvel adhérent à cette sphère artistique est venu rejoindre la liste des réalisateurs (les faiseurs d'images) marocains.

Produit entre 2018 et 2022, Morjana est sorti dans les salles obscures. Il raconte l'histoire d'une jeune femme qui rêve de réaliser un opéra très populaire en Europe. Pour cela, elle multiplie ses efforts dans le but de réussir ce pari.
Le jour J, à un moment inattendu, Marjana se heurte à un gros problème qui entrave son travail. Le risque est grand de détruire tous les espoirs et rêves qu'elle avait planifiés dans son imagination. Elle qui travaille si dur pour réussir. Ce film dévoile les atouts d'un réalisateur talentueux et une œuvre mettant en valeur un genre de musique qui n'existe pas au Maroc : l'opéra. Ce n'est pas n'importe quel opéra, car il s'agit de Carmen, l'Espagnole, une œuvre de renommée internationale.
Les événements se passent à Tanger, la ville natale du réalisateur. Cette ville possède une incroyable richesse au niveau du patrimoine culturel et cinématographique, dotée d'une beauté exceptionnelle et naturelle, répondant aux attentes du maestro Souissi.



Un trouble fête survient provoquant une avalanche de problèmes perturbant la poursuite du travail de Marjana. Cette cantatrice professionnelle a déjà fait une tournée réussie en Europe où elle était installée avec sa famille. Elle veut promouvoir l'opéra dans son pays d'origine, le Maroc. Ce qui survient lors de ses répétitions chamboule ses ambitions. Son amoureux, Adel, membre de la troupe, est concerné.
Elle tient bon et décide de continuer cette aventure jusqu'à la fin. Pourra-t-elle relever le défi ? Allez voir le film !

Le droit des femmes à disposer de leur corps est encore tabou

Le réalisateur a voulu mettre l'accent sur un problème assez critique : celui des mères célibataires  dans une société musulmane et conservatrice qui ne tolère pas une grossesse hors mariage. Cela est clairement visible dans le personnage de la tante de Marjana qui ne cesse pas de réclamer l'avortement, vu leur appartenance à une classe sociale huppée. Elle y porte un intérêt : l'héritage qui risque de s'envoler et aller à sa nièce Marjana et son bébé.
Jamal Soussi et ses co-scénaristes apportent heureusement de la nuance : les parents de l'héroïne sont tolérants, ils la défendent et lui portent le soutien nécessaire en attendant de trouver une preuve pour légitimer cet état, normalement fruit d'un amour charnel.

Le plus beau dans cette histoire, c'est le sentiment que porte Marjana à son futur bébé, en hommage à un défunt. En plus, elle incarne la femme battante, décidée à faire face à tous les défis y compris les us et tabous qui restreignent le développement de la vie sociale des êtres humains. Cette jeune femme n'a pas fui son sort, au contraire elle a pu surpasser le regard méprisant de certaines personnes qui traitent son état d'inacceptable. Le film fait référence à une réalité alarmante que vivent les femmes dans la société marocaine. Cela s'aggrave tant qu'il n'y a pas une raison ou une pièce (un certificat de mariage) qui rend légitime cette grossesse.
Il faut dire que cette intolérance ne se limite pas au Maroc. Elle touche la totalité des pays arabo-musulmans, voire un mal universel dont souffrent particulièrement la gente féminine.

Ode à la musique

Le point positif : la bonne musique et la belle voix de la cantatrice servent très bien le film. C'est une valeur ajoutée, une lettre de noblesse du film à ce genre de musique.
L'héroïne paraît telle une diva, l'actrice chante avec une aisance et assurance d'une professionnelle de la scène, sous la direction du réalisateur.
La plupart des acteur sont à la hauteur de leur interprétation. Cependant, sur certains aspects, il y a un certain malaise : Morjana qui paraît avoir presque le même âge que sa maman (rôle magnifiquement campé par l'actrice Nadia Niazi, bien dans la peau d'une maman soucieuse de sa progéniture).
Un autre ingrédient essentiel est à noter : la dominance de la langue de Molière dans le dialogue. vu le statut de la famille qui vivait en France alors que les événements se passent au Maroc avec un public marocain qui parle arabe ; dans ce contexte, Le réalisateur a évoqué la différence des mentalités ; en l'occurrence celle des parents immigrés en Europe qui respectent le choix de leur fille et celle de la tante qui vit au Maroc avec une mentalité fossilisée et pétrifiée qui s'immisce dans les affaires des autres ; sans zapper le sujet de l'héritage, une question assez délicate dans la charia musulmane qui reste un sujet de débat à haut niveau,cela se voit dans l'acharnement de la tante, qui insiste sur l'importance de l'avortement pour préserver la part de son frère ; le papa de Marjana.

Le film a été primé à la 37ème édition du festival du cinéma méditerranéen d'Alexandrie en Egypte. Il y a reçu le prix du meilleur film arabe, une distinction prestigieuse dans la profession. C'est un début promoteur pour un réalisateur nouveau dans un métier aux multiples contraintes (la production, la distribution la diffusion….). Il ose mettre l'accent sur des points délicats qui suscitent des débats houleux. Dans ce film, Jamal Souissi annonce la couleur, en ouvrant ce dossier qui s'inscrit dans le registre des tabous en tant que ligne rouge à ne pas toucher, pour beaucoup.

Sur le plan technique, le réalisateur a su mener la barque selon les normes d'un film qui respecte les ABC de la fabrication d'une œuvre. Il livre un travail puissant qui peut sensibiliser une vaste tranche de la population composée de 60% des jeunes qui ont moins de 21 ans.
Le tournage s'est déroulé pendant la crise du covid 19 et a subi toutes les contraintes de cette situation difficile qui ont entravé l'ensemble de la réalisation de Morjana. Mais, le réalisateur a pu surmonter les problèmes cruciaux et finir son film. Même si les conditions de la fabrication de l'œuvre à cet époque n'étaient pas optimales, il a relevé le défi en allant jusqu'au bout de sa décision d' entamer l'expérience de joindre la réalisation à la production qu'il maîtrise parfaitement. Le résultat ne risque pas de décevoir ni le public ni les professionnels du cinéma.

Amina Barakat

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