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L'Oranais
L'amitié en proie à l'Histoire algérienne
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 18/11/2014
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)
Lyès Salem et Khaled Benaïssa (arrière plan), dans une scène du film L'Oranais
Lyès Salem et Khaled Benaïssa (arrière plan), dans une scène du film L'Oranais
Scène du film
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Africiné, Le Leader Mondial (Cinémas africains & Diaspora)
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LM Fiction de Lyes Salem, France / Algérie, 2014
Sortie France : 19 novembre 2014

Il y a plusieurs manières d'élargir le champ du cinéma algérien. L'acteur Lyes Salem s'est orienté vers la comédie de mœurs pour son premier long-métrage d'auteur, Mascarades, 2008. Une fiction dans la veine des comédies italiennes des années 1960, dont il revendique l'esprit. Cette fois, le réalisateur change de registre et s'essaie à la fresque romanesque avec L'Oranais, 2014, cousin lointain de sagas dont Il était une fois en Amérique, 1984, de Sergio Leone, qui ont marqué Lyes Salem.

Le récit balaie 30 ans de l'histoire algérienne, en s'attachant au sort de quatre amis, unis et désunis au diapason des évolutions du pays. Tout commence en 1957 lorsque Djaffar et Hamid gagnent les rangs de la Révolution. Comme Farid et Saïd, chacun s'engage pour libérer le pays de l'occupation française. La mort accidentelle du garde-champêtre Kotias, pousse son fils à se venger de Djaffar en violant sa femme. Ce drame marque l'existence de Djaffar et l'incite à masquer la véritable origine de son fils, au teint clair, à qui il devra rendre des comptes. A l'heure de l'indépendance, Djaffar, responsable au sein du FLN, dirige une menuiserie, rêvant de construire un Etat sain et solide.
Hamid suit un autre chemin. Il devient diplomate et représente le FLN à l'étranger, cultivant son profil d'homme politique. Il se marie à une Occidentale, monte des affaires et gère des hammams comme un capitaliste, au grand dam de leur ami Farid. Djaffar, lui, reste attaché à son entreprise d'Etat, de plus en plus gagnée par la bureaucratie. Peu à peu, les espoirs de l'Algérie révolutionnaire sont battus en brèche. Le drame de Djaffar avec "son" fils, la découverte de compromissions au sein du pouvoir, renforcent les clivages entre les amis de jeunesse dont l'un devient ministre. L'amertume et l'échec pointent jusqu'au dénouement final, dans un hôpital, à la veille des événements d'octobre 1988, qui vont bouleverser le pays.



En brossant cette fresque sur deux heures, Lyes Salem fait revivre la mémoire des années d'après l'indépendance comme pour mieux éclairer la situation présente de l'Algérie. "C'est le rôle de notre génération de s'accaparer cette mémoire", estime le réalisateur. "Il y a quelque chose qui ne va pas en Algérie. Il ne s'agit pas de remettre en question un combat. Ce pays est enfermé sur lui-même, depuis la fin des années 1980." Le film tente donc de réévaluer l'Histoire en s'articulant sur la dégradation des rapports entre les amis. Leur relation paraît une métaphore sur les déchirements entre les dirigeants qui ont conduit le pays dans les troubles.
L'Oranais éclaire les compromis de l'État par la fiction, n'hésitant pas à emprunter la représentation théâtrale pour évoquer la guerre de Libération. La démarche repose sur un scénario solide, travaillé pendant trois ans, pour valoriser les relations entre les individus, pris dans le contexte de l'Histoire. Les acteurs principaux portent le film. Lyes Salem s'est attribué le personnage torturé de Djaffar, en confiant le rôle de Hamid à Khaled Benaïssa. Autour d'eux, Najib Oudghiri qui est Farid, et Djemel Barek, Saïd, complètent efficacement le casting, ménageant aussi des seconds rôles forts.

La réalisation vise à défendre les couleurs de l'Algérie en proposant un spectacle soigné. L'attention à la lumière, aux décors, fait ressortir les rapports intimes des protagonistes. Lyes Salem les cadre dans leur appartement, les bars, les restaurants qu'ils fréquentent, en réduisant les extérieurs des années 60 et 70 qu'il aurait été compliqué et couteux de reconstituer. Les discussions se jouent alors en huis clos comme au bar L'Armador à Oran, entièrement refait pour le tournage. L'apport du chef décorateur, Nicolas de Boiscuillé, de la costumière, Carole Chollet, contribue à recréer la véracité des époques sans tomber dans la reconstitution appliquée que Lyes Salem sait éviter.
L'Oranais vibre aussi grâce à ses musiques notamment les chansons originales de Amazigh Kateb, les mélodies de Abdelhalim Hafez, les airs de raï qui s'égrènent en résonance aux émotions. L'emploi du français est prépondérant même si le questionnement sur l'identité algérienne affleure, âprement discutée lors d'un pique nique en forêt. Le débat sur la question berbère, l'opportunité de l'arabe classique sont évoqués parmi d'autres sujets sensibles tels la violence sur les femmes pendant la guerre, l'emploi de la torture comme l'encadrement des libertés par le régime, la bureaucratie tentaculaire, le népotisme et l'affairisme.

La production française, appuyée par l'AARC, l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel, permet d'exporter les images d'Oran à destination d'un large public. L'Oranais combine résolument la structure des fresques occidentales, centrées sur des personnages attachants, pour brosser les rêves et les limites de l'émancipation algérienne. "Nous devons avoir la lucidité pour avancer", conclut Lyes Salem.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France),
pour Africiné

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