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Histoire de Judas, de Rabah Ameur-Zaïmeche
Un cinéma sous le signe d'Hermès.
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 24/02/2015
Hassouna Mansouri (Africiné)
Hassouna Mansouri (Africiné)
Rabah Ameur-Zaïmeche, réalisateur
Rabah Ameur-Zaïmeche, réalisateur
Scène du film
Scène du film
Scène de L'Histoire de Judas
Scène de L'Histoire de Judas

Dans le cadre de la section Panorama de la 65ème Berlinale, Rabah Ameur-Zaïmeche a présenté son nouveau film, Histoire de Judas (Story of Judas). Surprenant pour certains, le thème biblique ne l'est pas autant que cela pour ceux qui connaissent l'œuvre et le style du cinéaste franco-algérien. C'est que l'emprisonnement du film dans le rapport étroit à la théologie enlèverait d'office une grande partie de sa signification. Ceci est d'autant plus vérifiable que le film est une contestation des sens admis dogmatiquement et sans rapport authentique à l'Histoire.

HISTOIRE DE JUDAS - Bande-annonce officielle from POTEMKINE FILMS on Vimeo.



Lors du débat qui a suivi la projection du film à Berlin, quelqu'un a posé à Ameur-Zaïmeche une question sur l'apparente discontinuité dans son œuvre considérant qu'il est passé du thème de l'émigration dans ses trois premiers films: Wesh, Wesh (2001), Bled number one (2006) et Le Dernier maquis (2009), à des films plutôt historiques.... et le tout dernier Histoire de Judas. La réponse du réalisateur était bien sûr que son œuvre est parfaitement continue et cohérente mais que pour saisir cela il faut prendre du recul par rapport aux évènements. La scène du faux procès se déroulant dans le cadre d'un site archéologique est un clin d'œil (aux raccourcis) qui place la réflexion suggérée par le film en dehors de l'emprise de l'Histoire.

Il est vrai que le cinéma de Zaïmeche est placé sous le signe d'Hermès, roi des voleurs et des artistes. Parlant humblement d'un collectif qui serait derrière son œuvre, le cinéaste a résumé la méthode et le sens profond de sa démarche. Celle-ci tiendrait son sens de la distance qui la sépare de l'histoire officielle, de ce qui est communément admis sans que ce soit pour autant vérifié et sans que ce soit la seule vérité possible. Le cinéma serait une revanche sur l'histoire, le lieu où les oubliés sont réhabilités.
La figure de l'émigré qui se cherche, celle d'un bandit au bon cœur qui est fasciné par la poésie et enfin celle d'un Judas replacé dans la mythologie biblique ne sont que des variations sur le même thème, des plis de la figure du subalterne et du marginal. L'histoire officielle et le dogme ont fait de Judas un traitre et élément de la machinerie montée contre Jésus. Revisiter cette figure c'est ouvrir la porte au réexamen de tout le mythe. Et, par delà même, remettre en question le texte tout entier.

Comme c'est le cas chez Pasolini ; il n'y a pas là contestation de l'importance du texte en tant que tel, mais de l'usage que l'on en fait. De la même manière, le personnage de Judas est très souvent présenté comme le mauvais compagnon de Jésus, sans que cela ne s'appuie sur des faits historiques. Il en est de même de l'authenticité de la Bible qui nous a été transmise. Il est attesté historiquement que le texte légué par Jésus fut brûlé. Cela mettrait en cause toute la mythologie.

Mais ceci n'est pas le plus important dans la démarche de Zaïmeche, présent à la Berlinale 2015. Lors du débat après le film, il lança une affirmation qui est la pierre de touche de son travail : le récit biblique ou mythologique n'est qu'une fiction au même titre que l'histoire qu'il raconte lui-même. Dans ce sens, Zaimeche est plus proche de Pasolini et sa lecture de l'Évangile selon Saint Mathieu que de Scorsese dans La Dernière tentation du Christ. Le premier confirmait la dimension fondatrice du récit biblique et glorifiait le personnage de Jésus en faisant de lui un révolutionnaire; par contre l'autre contestait la sainteté du fils de Dieu le ramenant à sa condition d'homme mortel parmi les mortels.
Cette proximité intellectuelle et stylistique se retrouve également au niveau de la manière dont l'Algérien fait éclater toutes les limites et repousse toutes les frontières. Non seulement Zaimeche conteste la version dogmatique du récit, mais il la sort de l'Histoire, en faisant de Judas un type cinématographique. L'archaïsme qui empreint le film situe le personnage en dehors de son contexte historique. De même, les décors tectoniques et telluriques de l'Algérie profonde libèrent encore le film de toutes contraintes du temps et de l'espace. En s'attaquant à un tel récit et avec cette maitrise et du sujet et du traitement, Zaimeche se place plus que jamais au côté des grands maîtres du septième art, en rappelant que le monde n'est que fiction et que le cinéma est l'art qui lui donne forme et sens.

par Hassouna Mansouri
Depuis Le Sud / Vanuit het Zuiden

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