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A peine j'ouvre les yeux
Les frémissements de la révolte tunisienne
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 21/12/2015
Leyla Bouzid, réalisatrice tunisienne
Leyla Bouzid, réalisatrice tunisienne
Michel Amarger (magazine Africiné)
Michel Amarger (magazine Africiné)
Hamza Ouni, réalisateur tunisien
Hamza Ouni, réalisateur tunisien
Nejib Belkadhi, réalisateur tunisien
Nejib Belkadhi, réalisateur tunisien
Nouri Bouzid, réalisateur tunisien
Nouri Bouzid, réalisateur tunisien
Raja Amari, réalisatrice tunisienne
Raja Amari, réalisatrice tunisienne
Soubresauts, de Leyla Bouzid, 2011
Soubresauts, de Leyla Bouzid, 2011
Scène du film
Scène du film
Scène du film (Farah et sa mère Hayet)
Scène du film (Farah et sa mère Hayet)
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Pochette de la B.O.F. (musique de Khyam Allami)
Pochette de la B.O.F. (musique de Khyam Allami)
Affiche suisse
Affiche suisse
Leyla Bouzid
Leyla Bouzid
Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)
Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)

LM Fiction de Leyla Bouzid, Tunisie / France / Belgique, 2015
Sortie France : 23 décembre 2015

Les cinéastes tunisiens semblent fascinés, et presque surpris, par les transformations de la société depuis la révolution de 2011. Ils en mesurent les conséquences dans des documentaires impulsifs, en captant les points de bascule comme Hamza Ouni avec El Gort, 2014, ou Nejib Belkadhi dans Sept et demi, 2015. Les fictions s'adaptent au changement dans la lignée de Millefeuille de Nouri Bouzid, 2012. Mais la jeune génération, illustrée par sa fille, Leyla Bouzid, ou Raja Amari qui signe Printemps tunisien en 2014, est aussi sensible aux signes annonciateurs du bouleversement qui a poussé le président Ben Ali hors ses murs. En signant son premier long-métrage, A peine j'ouvre les yeux, 2015, Leyla Bouzid, remarquée pour ses films courts dont Soubresauts, 2011, revient sur le climat pesant qui encadrait et étouffait la jeunesse à l'été 2010.








Farah est une jeune fille rebelle de 18 ans. Elle chante du rock engagé et tonique avec un groupe de musiciens. Borhène, le guitariste, parolier, est aussi son amoureux secret, avec qui elle esquisse des caresses furtives mais appuyées dans les nuits de Tunis. Le jour, Farah attend les résultats de son bac. Hayet, sa mère, espère une réussite pour qu'elle entreprenne des études de médecine. Son père, contremaître d'une exploitation minière, muté en province car il n'a pas la carte du parti au pouvoir, est moins pressant mais aussi ferme lorsqu'il est au foyer. A côté de la pression familiale, s'exerce une autre pression sur Farah. Celle de la police invisible et omniprésente du régime qui réprime l'expression libertaire des jeunes.
En s'avançant de plus en plus sous les feux de la notoriété dans les bars de Tunis, Farah et le groupe deviennent gênants. Un ancien ami de Hayet, lié au pouvoir, la prévient du danger. Mais le groupe accroit son audience et la mère tente d'éloigner Farah de la capitale. Lorsqu'elle disparaît, l'ami d'autrefois, compromis avec le régime, aiguille Hayet qui est sur la piste de sa fille. Bousculée, Farah perd son insouciance et ses raisons de chanter. Elle comprend que l'œil du mal est même caché dans le groupe et que la flamme rebelle, enfouie sous la vie quotidienne de ses parents, peut encore se rallumer.
En tentant de restituer l'atmosphère lourde des derniers mois du règne de Ben Ali, Leyla Bouzid célèbre en contrepoint l'énergie et la fougue de la jeunesse qui trouve un exutoire dans la musique pour faire partager son ras-le-bol. A peine j'ouvre les yeux tire son titre du début d'une chanson qui brosse un constat amer de la Tunisie aux inégalités sociales criantes, où la mainmise du pouvoir sur les affaires et les privilèges écrase la vie courante. Les paroles composées par Ghassen Amami, prennent force sur les musiques rythmées de Khyam Allami, aux origines iraquiennes. Le parolier et le compositeur de la bande originale du film encadrent les scènes chantées par Baya Medhaffer qui joue Farah, convaincante en étudiante comme en leader vocal du groupe.
Leyla Bouzid filme avec entrain la fuite en avant de Farah et ses copains dans les rues de Tunis. Sa caméra mobile, parfois frémissante, sait surtout cadrer les scènes intimes où les corps des amoureux se frôlent pour échapper à l'espace public. Et peu à peu, le film valorise la confrontation entre Farah et sa mère. La froideur affichée de Hayet, interprétée avec allure par Ghalia Benali, soucieuse de sa fille, se tempère des élans révoltés de sa propre jeunesse qui trouvent un relais dans la résistance de Farah. Tandis que le père est prêt à l'allégeance au parti pour revenir assurer la sécurité de sa fille, Hayet transmet son énergie à Farah comme un prolongement des espoirs de sa génération.







A peine j'ouvre les yeux semble alors un éveil à la conscience, une exhortation à la prise de parole, à la résistance aux formes du système. Il paraît donc troublant de voir que Leyla Bouzid restreint son propos à l'été 2010 alors que les questions qui se posent aujourd'hui à la jeunesse de Tunisie n'ont pas sensiblement changé de forme, même si l'État a pris de nouvelles voies. Appuyée par une coproduction tunisienne, française, belge, avec le concours des Emirats Arabes Unis, la réalisatrice propose un spectacle vif où les prestations scéniques résonnent avec les émotions de ses jeunes héros. Centré autour d'une Tunisienne enflammée, A peine j'ouvre les yeux expose un dialogue de femmes, intense, comme le souligne Leyla Bouzid en évoquant Farah : "En tant que chanteuse libre et impulsive, elle est la voix d'une génération qui résiste au quotidien".

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France),
pour Africiné

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