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Tradition et modernité
Siraba, la grande voie, de Issa TRAORÉ DE BRAHIMA (Burkina Faso)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 21/07/2006

Au travers d'un long flash-back, Issa Traoré de Brahima se sert du prétexte de l'abandon d'un village (Wouroubono) par ses habitants, du fait de son éloignement du point d'eau, pour participer au débat éculé entre tradition et modernité. Pour ce faire, il réalise un conte moderne, un conte africain, qui commence par le meurtre de l'instituteur du village. Meurtre perpétré par l'esprit du boa sacré. La vengeance du gouverneur, son père, qui pense à un simple assassinat prendra des proportions démesurées. Entre autres, il fera construire une route à travers le bois sacré où habite Djinnaba, le dieu protecteur de Wouroubono.
Après des études de cinéma à Ouagadougou et à Paris, Issa Traoré travaille d'abord comme comédien avant de devenir monteur. En 1989, il coréalise (avec Dani Kouyaté et Sékou Traoré) le court métrage Bilakoro. Assistant de Dani Kouyaté sur le tournage de Poussière de lait, il signe deux courts métrages : Gombèle en 1994 et Boubou l'intrus en 1998. En 2001, il sort Siraba, la grande voie, son premier long métrage, qui n'échappe pas à ce qui apparaît comme la "fatalité scénaristique qu'est l'opposition entre tradition et modernité".
Au moment où l'Afrique semble inexorablement tournée vers la modernité, elle est encore, malgré elle, retenue ou attirée par la tradition. Cette opposition, ou bien ce paradoxe, ou encore ce tiraillement, exposés dans Siraba, la grande voie, trouvent des inconditionnels dans chaque camp. Pour le démontrer, Issa Traoré de Brahima se veut original. Il expose sa contribution à ce débat en utilisant non seulement des symboles, mais aussi une argumentation relevant du merveilleux et du mystérieux, incarnés ici par Djinnaba. On a ainsi le christianisme, représenté par l'Abbé, contre l'animisme, représenté par le grand prêtre et Djinnaba; le développement ou le progrès, symbolisés par la route (là où elle passe, ne dit-on pas vulgairement que le développement suit), contre la tradition, symbolisée par la forêt sacrée; l'école occidentale (avec le neveu de l'abbé et le fils du directeur de l'école), opposée au rite initiatique, sorte d'école pour protéger et prolonger la tradition (avec Dokan, le petit-fils du grand prêtre), qui porte courageusement le film. Pour fixer cette opposition, Issa Traoré a recours à une séquence on ne peut plus représentative : celle dans laquelle Dokan est appelé par son grand-père pour commencer son parcours initiatique. Il croise alors sur son chemin des enfants de son âge allant à l'école occidentale. Cette séquence ne résume-t-elle pas à elle seule la trame du film, tout en en rajoutant à sa richesse ? Car en fait, le film de Traoré est très riche. Et le problème qu'il pose ne se circonscrit pas à l'Afrique. Certes, dans Siraba se pose la question de l'écartèlement entre la tradition et la modernité, mais, par extension, Siraba ne pose-t-il pas un problème humain, celui de la dimension spirituelle de l'être humain, ou tout au moins, l'emprise de celle-ci sur le corps, sur la chair? Partout où vit ce dernier, n'est-il pas confronté au quotidien à une quête spirituelle, alors qu'il est avant tout un être de chair, avec toutes les sollicitations et les conséquences que cela induit? Dans ce sens, l'humain n'est-il pas, en fin de compte, un hybride complexe ?
Par ailleurs, lorsque l'arbre qui abrite le Djinnaba est bombardé et que la route finit par passer, Issa Traoré ne veut-il pas montrer que lorsque deux cultures se font face, la plus technicienne l'emporte toujours sur la moins outillée? N'étant plus protégés par leur dieu, les villageois quittent Wouroubono. Pour où ?
Ce film réalisé avec des bouts de ficelle a été tourné sur vidéo avant d'être kinescopé. Produit du cœur, il peut émerveiller à coup sûr les enfants et les adolescents. Les adultes peuvent cependant lui trouver de l'intérêt quant au fond de son propos. Ceci, malgré un jeu des acteurs manquant de naturel, surtout au niveau de la diction et de la gestuelle, proches de celles des acteurs de théâtre.

Jean Marie MOLLO OLINGA,
Cameroun

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