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Droits d'auteur et cinéma au Cameroun : crises et perspectives de solutions
critique
rédigé par Jacques Bessala Manga
publié le 17/07/2005
J. Bessala Manga
J. Bessala Manga

Bulletin n°6, Festival Écrans Noirs du cinéma d'Afrique francophone (FENCAF, Yaoundé, Cameroun), 2005.

Yaoundé, ce mois de juin pluvieux, il n'est que 7 heures, mais le lieu dit "montée SNI", attenant au rond-point de la poste centrale connaît déjà une animation toute particulière. L'un des trottoirs de la rue, du côté de "l'immeuble de la mort", est soigneusement évité par les passants alentour. La raison de cette frénésie est que des commerçants, vendeurs de disques compact, audio et vidéo, sont en plein dans ce qu'ils appellent "déballage". Les grossistes de ces produits de contrebande, massivement importés du Nigeria pour la plupart, sont en train de "lancer" les détaillants, qui eux-mêmes, dans quelques instants, vont écumer la ville pour écouler leurs produits. Ce matin, il y a plein de "diamants", allusion faite à toutes les nouveautés qui font fureur dans les box-offices. Parmi les sésames du jour, Hôtel Rwanda, le film à succès de Terry Georges fait figure de méga-star. Sous les apparences d'une scène de marché ordinaire, c'est le drame du droit d'auteur qui se noue. C'est l'histoire d'un univers où les réseaux mafieux ont fini par prendre en otage les créateurs.

Si l'histoire du droit d'auteur au Cameroun vous était contée, ce serait celle d'un univers où le burlesque le dispute au pathétique, où les tentatives bien que volontaristes de l'autorité publique, n'ont jamais pu résoudre de façon durable la question de la protection de la propriété intellectuelle.

Le cinéma, bien plus que les autres genres, subit de plein fouet les méfaits de la piraterie. L'image du DVD de contrefaçon de Hôtel Rwanda sur les étals des vendeurs ambulants de Yaoundé, alors même que le film fait sa sortie nationale lors du festival Écrans Noirs, et qu'il sera par la suite mis sur le réseau commercial par Ciné Distribution, est un symbolisme poignant de cette difficulté à rentabiliser un investissement lourdement consenti. Cette situation n'est pas seulement déplorable, elle vient plomber une initiative elle-même fragilisée par de nombreux facteurs. Les publics ont acquis, depuis l'avènement de la télévision au Cameroun, d'autres habitudes de consommation des images et du cinéma. De plus, l'on ne cessera jamais de gloser sur la sempiternelle question du pouvoir d'achat des Camerounais, qui sacrifient désormais très peu leurs maigres ressources pour la culture. Toutes raisons qui se conjuguent pour favoriser toutes les permissivités, y compris celle d'acquérir des CD, DVD piratés, à 1500 francs CFA (un peu plus de 2 euros), alors même que c'est le prix d'accès dans la salle du cinéma théâtre Abbia où le même film sera projeté.

Mais il n'y a pas que ça. Et si on parlait de l'environnement du droit d'auteur au Cameroun ? C'est-à-dire une régulation qui pourrait aboutir à la "refondation" des rapports de force en présence.

Au commencement, il y eut la Société Camerounaise du droit d'auteur, SOCADRA, créée sur les cendres de la SACEM, dans un élan de nationalisme prévalent. Elle s'est sabordée après dix années de fonctionnement chaotique, victime d'une gestion "administrativiste et fonctionnariste" empreinte de gabegie. La SOCADRA fut remplacée par la SOCINADA, la Société Civile Nationale du Droit d'auteur et des Droits voisins. Originale, car constituée sur la base d'une société civile, gérée par les créateurs eux-mêmes, la nouvelle corporation a charrié, le temps d'une rose, les espoirs des créateurs. Hélas, comme atteinte d'une malédiction congénitale, la SOCINADA fut rattrapée par les vieux démons de sa devancière, avant d'être dissoute par le ministère de la Culture, sa tutelle administrative. En 2000, à la faveur d'une refonte de l'environnement juridique et légal du secteur de la création au Cameroun, une nouvelle loi sur le droit d'auteur est adoptée, de même qu'il est créé quatre nouvelles sociétés de gestion collective : la SOCILADRA, Société Civile des droits d'auteurs de littérature et des Arts dramatiques pour les créateurs en littérature et d'arts dramatiques ; la SOCADAP, Société Camerounaise des Droits d'Auteurs Plasticiens pour ceux de la peinture et des Arts plastiques ; la CMC, Cameroun Music Corporation pour les musiciens ; enfin, la SOCIDRAP, Société Civile des Droits Audiovisuels et Photographiques pour le secteur de l'audiovisuel, du cinéma et de la photographie. Les zélateurs et chantres de la propagande politique ont clamé le renouveau culturel.

Les carillons de la nouvelle noce n'ont pas cessé de faire entendre leur écho, que les premiers signes annonciateurs d'une crise latente vont apparaître à l'horizon. En effet, les blessures profondes, laissées béantes au sortir des assemblées constitutives et élections des membres des conseils d'administration respectifs, vont tarder à cicatriser, et se transformer en véritables gangrènes, cancérigènes et métastasées. Les luttes internes vont secréter des structures délabrées, ce qui va pousser une fois de plus la tutelle à s'immiscer dans leur fonctionnement et leur structuration. A coup de retrait d'agréments, de suspension de membres des conseils d'administration et autres actes de gouvernement, les nouvelles sociétés de gestion collective vont être replâtrées, sans grande perspective de résolution définitive des crises. Le paternalisme tutélaire exercé par la Commission Permanente de Médiation et de Contrôle, CPMC, le mécanisme mis en place par le ministère de la Culture, va se révéler insupportable pour les dirigeants. Une autre source latente de conflit va ainsi surgir et en rajouter à la litanie de problèmes qu'éprouvent déjà ces structures fantômes. A l'évidence, toute cette architecture compliquée manque de coordination, ce qui rend inefficace toutes les actions de lutte contre la piraterie. Et les contrefacteurs font leur lit sur ce terrain laissé en friche par les créateurs, englués qu'ils sont, dans une palabre interminable.

Doit-on pour autant se résigner ? Des pistes de sortie de crise, sans être miraculeuses, existent. Elles résident d'abord dans la volonté partagée de parvenir à un consensus minimum entre les créateurs et les gestionnaires du droit d'auteur au Cameroun. Elles résident ensuite dans l'imitation des formules qui font recette ailleurs, à l'instar du Nigeria voisin, où les structures de production culturelle inondent le marché de produits avant que les pirates ne le fassent à leur place. Mais pour cela, il faut un marché de consommation conséquent, susceptible d'atteindre le point de rentabilité en un temps relativement court. Elles peuvent enfin résider dans la considération que le consommateur de la culture devrait porter au créateur. Ce dernier doit cesser d'être admiré publiquement et méprisé secrètement, pour parodier un grand penseur.

La question de la définition d'une politique culturelle nationale est encore d'une actualité brûlante. Toute logique contraire conforterait les contrefacteurs dans leurs acquis. Et les conséquences sont inimaginables à plus ou moins brève échéance. C'est l'âme de tout un peuple qui disparaîtrait avec la mort des schémas structurants d'une industrie culturelle viable. Il est urgent d'appliquer à la piraterie une thérapie de choc. Pour que nous puissions continuer de voir des films aux Écrans Noirs et ailleurs.

Jacques Bessala Manga

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