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La Vie sur terre, de Abderrahmane SISSAKO
critique
rédigé par Samir Ardjoum
publié le 21/07/2006

Voilà le genre de film que nous devons défendre. Un cinéma tout en retenue, forgé sur un siècle de mises en scène aussi éclectiques que celle de Murnau, en passant par Renoir et Truffaut, jusqu'à Carax. Un style qui nous ravit, qui nous donne envie de faire du cinéma, tel un amateur ivre de pellicule impressionnée. La Vie sur terre symbolise un cinéma qui ressemble à la Justice de l'imagerie populaire.
L'intrigue est mince : à la veille de l'an 2000, Abderrahmane Sissako, revient à Sokolo, un petit village du Mali, retrouver son père. Il croise Nana, une jeune fille elle aussi de passage, puis erre dans les ruelles, sur les places, à la poste, dans les champs. Toute cette fraîcheur, ces situations pagnolesques, Sissako a très rapidement eu le désir de les filmer. Cette vie sur terre, ce désir de quitter la France, il en a eu l'envie depuis des lustres. Il sait pertinemment que l'an 2000 approche, il sait aussi que rien n'aura changé pour le meilleur. "Ce que je vis loin de toi vaut-il ce que j'oublie de nous ?", écrit-il à son père.
En tant qu'Africain, lorsqu'on demande à ce cinéaste mauritanien de 38 ans comment ça va avec la douleur, il répond qu'il préfère qu'on le laisse avec sa douleur et qu'on lui pose tout simplement la question : comment ça va ? Ce premier film d'un diplômé de l'institut du Cinéma de Moscou est le résultat logique de milliers de cris de souffrance et de silence, étalés sur un siècle de colonisation européenne. La relation entre le Vieux Continent et l'Afrique est très claire : elle ne pourra jamais être apaisée par tant de bassesses et de faux espoirs. Construisant son film sur une myriade d'historiettes totalement farfelues mais surprenantes, Sissako filme ses personnages face à leurs difficultés qui paraissent dérisoires mais extraites du quotidien (la complexité des appels téléphoniques, les dragueurs de la place publique, les bains douches, etc.). Adoptant un rythme volontairement lent, l'auteur encadre ses réflexions dans une image extrêmement forte. Il distille, détruit, casse en tous sens et répand ses fantasmes pour mieux dompter ses propos. Certains vont trouver ce procédé déroutant. Tant pis pour eux ! On ne peut juger sévèrement un film sur le simple fait que son auteur ait adopté une structure audacieuse et neuve. Il y a des films qu'il faut observer sans défaillir un seul instant. La Vie sur terre est de ceux-là.
Sa véritable et incontestable richesse vient du jeu des acteurs. Sissako, tout comme Renoir, donne le sentiment de filmer ses acteurs entre deux prises. La théâtralité absurde et affligeante de certains acteurs nuit souvent aux aspirations du metteur en scène. Sissako l'a très bien compris. Il anticipe les réactions de ses comédiens non professionnels et les prend sur le vif, ce qui décuple la force de cette improvisation.
La Vie sur terre est finalement simple, beau, complet et se présente comme un parfum aux essences précieuses et aux fragrances somptueuses. Du grand art !

Samir ARDJOUM (France)

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