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Deux absents au banc des accusés
Bamako, de Abderrahmane Sissako
critique
rédigé par Baba Diop
publié le 18/11/2006

Bamako de Abderrahmane Sissako qui représente la Mauritanie a été le premier des trois films de l'Afrique subsaharienne à être projeté en salle à la 21 ième édition des JCC. Le film a suscité des sentiments mitigés. Les trois films ont été mis en confrontation avec le public tunisien pour qui les Jcc, le temps d'une semaine deviennent l'écran du monde grâce à la multiplicité des regards qu'offre le cinéma.

Bamako de Abderrahmane Sissako, grand prix du public au festival de Cannes 2006, a été le premier des trois films à faire son entrée au deuxième jour de la compétition. Ce troisième long métrage de Abderrahmane Sissako est avant tout un film alter mondialiste qui met au banc des accusés les Institutions internationales que sont la Banque mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI), le Gatt… La Société civile les accuse de détournement de vocation parce que conçus au départ pour servir l'humanité, les voici qui se mettent au service du libéralisme, condamnant à la faillite les pays à faibles revenus écrasés par la dette et épuisés par les différents plans d'ajustement structurel.

Seulement ce tribunal où arguments et contre arguments s'entrechoquent n'est pas un tribunal ordinaire, il n'est pas non plus le tribunal du peuple, un tribunal "entrer-parler" où n'importe quel quidam peut se présenter, dire ce qui lui tient à cœur et repartir comme il était venu. Le procès se déroule au milieu d'une cour de maison, avec sa borne fontaine, son bélier, sa cuisine extérieure et tout à coté ses teinturières. Un procès qui ne paralyse pas la vie quotidienne qui poursuit son train train dans l'indifférence. Les témoins coptés par catégorie professionnelle cotonnier, cheminot déflaté, représentant de la société civile, instituteur… etc. qui défilent devant la barre sont des victimes de la mondialisation. Une mondialisation dans laquelle tout est vendre et à acheter. Dans la foulée, on évoque la montée en puissance de la Chine. On jette de gros pavés dans le jardin de Bush. La corruption galopante, le coton des Africains qui chute, le drame de l'émigration clandestine et son lot de morts, les richesses du continent qui enrichissent le Nord, c'est la valse des accusations. Le président du Tribunal réfute certains arguments, pour défaut de pièces à conviction. Procès déséquilibré puisque aucun représentant des Institutions financières n'est physiquement présent sur le banc des accusés pour se défendre. La tache incombe à leur avocat assailli par deux de ses confrères de l'accusation particulièrement teigneux. L'avocate sénégalaise Aïssata Tall Sall y joue son propre rôle comme les autres avocats du reste.

Mis en parallèle avec le procès, la vie du couple Chaka (Thiécoura Traoré) et Melé (Aïssa Maïga) se pose comme illustration des dégâts collatéraux des différentes politiques d'ajustement imposées par les deux grandes institutions financières. Chaka est sans travail. Il se ronge les freins dans sa chambre avec en écho le procès. Melé est chanteuse dans un bar.
C'est elle qui fait bouillir la marmite et l'orgueil de son mari au chômage en souffre terriblement d'autant que les liens avec sa femme s'étiolent et se désagrégent.

Le réalisateur Sissako qui, jusqu'à ce film, s'était illustré par le silence et l'absence quasi de dialogues dans ses films aussi bien courts que longs métrages, retrouve ici (à l'excès) la parole. Les altermondialistes salueront certes avec enthousiasme Bamako puisqu'il vient en écho appuyer leurs argumentaires. Mais rien de ce qui est dit n'est nouveau même si comme chez son psychanalyste, ça fait du bien de le dire. Le film reste au niveau de la dénonciation et la sentence finale qui condamne ces institutions financières au service du libéralisme sauvage à redevenir humaniste est bien puérile face à l'absence de réaction des pays en souffrance. Et c'est là où le film n'est pas audacieux et ne s'engage pas dans les chemins de la résistance.

BamakBamako reste un film qui se situe en deçà des possibilités du réalisateur qui avec Hérémakono avait fait preuve d'une grande exigence technique et narrative.
L'intrusion du western dans le film et la vidéo qui filme la scène d'inhumation, même si cela relève du parti pris de Abderrhamane Sissako, n'ont pas été des choix heureux. Le réalisateur n'a fait le déplacement pour venir défendre son film : officiellement il serait malade.

Baba Diop

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