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Messieurs de la Banque Mondiale, qu'avez-vous à dire pour votre défense ?
Bamako, de Abderrahmane Sissako
critique
rédigé par Mohamadou Mahmoun Faye
publié le 20/11/2006
Mohamadou Mahmoun FAYE
Mohamadou Mahmoun FAYE

Bamako, le tout nouveau film du Mauritanien Abderrahmane Sissako, est en compétition officielle aux Journées Cinématographiques de Carthage. Un singulier procès contre le FMI et la Banque Mondiale.

TUNIS - (TUNISIE) Dans une cour d'une concession de la capitale malienne, se déroule un singulier procès : celui de la Banque Mondiale (BM) et du Fonds Monétaire International (FMI). Le décor est presque pittoresque. Entre deux plaidoiries et trois réquisitoires, les habitants de la maison vaquent à leurs occupations quotidiennes, comme si de rien n'était. Pourtant, leur avenir semble se jouer là et l'issue de ce procès pourrait bien peser sur le cours de leurs vies déjà incertaines. Les deux grandes institutions financières sont accusées de tous les maux : la voracité de leur système qui a poussé des millions d'Africains dans le précipice de la misère et de la pauvreté, un ajustement structurel dont les effets pervers sont encore ressentis par les populations des pays qui l'ont appliqué… Le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako (Heremakono, La vie sur terre, Rostov-Luanda…) a un sacré culot pour avoir l'idée de faire un film, Bamako, sur ce thème (le sous-développement de l'Afrique causé par les politiques du FMI et de la BM) qui a été tellement ressassé dans des rapports d'experts, des séminaires et autres colloques. Au début du film, on se surprend même à se demander ce que va nous raconter le réalisateur tellement on en a appris dans articles de presse ou des livres comme Les nouveaux maîtres du monde du Suisse Jean Ziegler. Cependant, l'originalité du nouveau long-métrage de Sissako réside dans son approche qui consiste à faire cohabiter des membres d'un tribunal et de paisibles habitants d'un quartier populaire de Bamako (Hamdallaye) qui, malgré leur dénuement, vivent dignement. C'est le cas de Chaka, chômeur, qui voit son couple partir en lambeaux car son épouse Melé, chanteuse dans un cabaret (interprétée par Aïssa Maïga) ne semble plus supporter cette vie de misère qu'elle veut fuir à tout prix.
La caméra de Sissako, même si elle traque toute l'atmosphère autour du procès, ne joue pourtant pas au voyeur. Les rares fois qu'elle pénètre dans l'intimité des habitants de la concession, c'est pour saisir quelques bribes de conversation, des regards furtifs, le vague à l'âme d'un malade qui n'a pas les moyens d'aller se faire soigner à l'hôpital ou le sourire d'un petit garçon qui observe tout cela avec toute la naïveté de l'enfance. Dans ce film, les avocats et certains personnages jouent leur propre rôle. Ainsi, Me Aïssata Tall Sall (ancien ministre sénégalais de la Communication sous Abdou Diouf) se lance dans un vibrant réquisitoire contre les institutions de Bretton Woods qui font supporter à l'Afrique une dette que ses fils et filles ne pourront peut-être jamais payer. Son discours est tellement empli de réalité qu'on se croirait dans un véritable procès, sans caméra ni projecteur. L'avocate sénégalaise est épaulée par Me Bourdon, un avocat français, qui crache lui aussi ses vérités aux prédateurs de l'oligarchie ultra libérale de la planète. La BM et le FMI sont défendus par Me Rappaport, tout aussi lyrique, mais qui a bien du mal à démonter les arguments de la société civile dont l'un des représentants est Aminata Traoré, écrivain et altermondialiste très connue au Mali.
Tout autour de ce procès, se déroulent des intrigues qui, apparemment, n'ont rien à voir avec le thème mais qui, à y voir de près, lui apportent une certaine force narrative sans laquelle le film pourrait ennuyer le spectateur. Le réalisateur aborde subrepticement d'autres thèmes : la corruption, le dépit amoureux, la débrouille quotidienne… Et les populations, omniprésentes dans les scènes, semblent dire aux dirigeants de ce monde qu'elles peuvent bien s'en sortir sans eux et leur politique de paupérisation. Dans quelques séquences, Sissako ne se gêne pas montrer une caméra par ci, un micro par là, apportant une certaine touche de réalisme. On a même l'impression, parfois, qu'il ne semble pas s'embarrasser de détails techniques si chers aux puristes de la cinématographie, et que ce qui l'importe le plus c'est de laisser les images parler d'elles-mêmes. Parfois, on croit aussi regarder un documentaire ou des bribes d'un making of tellement la démarche filmique peut dérouter.
L'une des originalités de Bamako ce sont aussi ces belles couleurs que la caméra a su bien capter, par exemple tous ces pagnes multicolores teints à l'indigo et suspendus à des fils (dans la cour où se déroule le procès ou devant la concession) et qui renforcent l'esthétique tout en apportent du souffle au film. Le réalisateur mauritanien s'est également bien servi de l'oralité si chère aux Africains pour faire passer son message. Les spectateurs qui suivent le déroulement du procès, à travers les haut-parleurs sous forme d'entonnoirs orientés vers la rue, n'ont ainsi pas besoin de voir les avocats et les magistrats pour comprendre l'enjeu de ces joutes oratoires. Dans leur attitude, on sent comme une attente interminable, celle-là même qu'on remarque aussi dans l'atmosphère lourde qui pèse sur Heremakono, un autre film de Sissako. Ce cinéaste aime décidément enfermer ses personnages dans un dilemme tout en leur donnant la liberté de choisir leur destinée. Ainsi dans Bamako, la jeune chanteuse de cabaret représente une sorte de rebelle qui refuse d'accepter l'ordre établi qui la condamnerait à s'enfermer dans une vie dont elle ne veut plus. Au-delà du procès de la Banque Mondiale et du FMI, Sissako fait aussi celui de la société africaine qui, parfois, est engluée dans des contradictions que ne comprennent pas toujours les jeunes générations. Et c'est peut-être cela qui les pousse à aller voir ailleurs s'il y fait bon vivre…

MODOU MAMOUNE FAYE

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