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Camp de réfugiés
Bè Kunko, de Cheik Fantamady Camara
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 08/02/2007

Le court métrage du Guinéen Cheik Fantamady Camara, intitulé Bè Kunko, réalisé en 2004, a obtenu la Mention spéciale du jury au Festival international du film de Ouidah (Bénin), baptisé Quintessence. Raison ? "Pour sa qualité technique, notamment sa direction photo, pour son rôle de sensibilisation par rapport aux méfaits dus à la guerre…", a expliqué le jury.

Le film retrace l'histoire de quatre jeunes gens, Tom, John, Assatou et Dady ayant fui la guerre. Réfugiés avec Mémé, une vieille Dame, dans un camp de transit en Guinée Conakry placé sous la garde des soldats de l'ONU, le groupe d'adolescents s'intègre rapidement dans les mauvais coups, se jouant par le fait même de l'autorité de Mémé. Comment tout cela s'organise-t-il ?

Bè Kunko qui est une intrusion dans un camp de réfugiés se présente comme une boucle, un circuit fermé où le réalisateur (re)présente une succession de faits dont les effets du premier se répercutent sur le dernier, démontrant par-là que les méfaits de la guerre se déplacent avec les acteurs de celle-ci dans un lieu qui, a priori, peut être considéré comme un îlot de paix.

Cheik Fantamady Camara y introduit le spectateur par le truchement d'un véhicule transportant sa cargaison de réfugiés. Et dès cette séquence d'ouverture du film, celui à qui on a recours quand tout semble perdu, quand on est désespéré, est invoqué : "Jésus est notre seul espoir. Nous nous en remettons à la volonté du Seigneur". Nous sommes dès lors face aux conséquences de la guerre. Et la plus visible, du premier coup, est ce camp.

Sorte de prison à ciel ouvert protégée par les soldats de l'ONU, elle marque le recul sociologique de l'être humain en ce sens que les individus y sont réunis par une proximité physique, et sans réelle interaction stable entre eux. Et cette prison n'est pas seulement physique, elle est surtout mentale. Sinon, comment expliquer les souvenirs de la guerre, matérialisés par d'incessants cauchemars ? Souvenirs faits de violences, et dont ces jeunes semblent incapables de s'affranchir. L'hypocrisie diurne dont ils font montre ne témoigne-t-elle pas que la possibilité de comportements collectifs ici n'est mue que par le souci d'assouvir des besoins primaires, d'où le harcèlement sexuel ? Ou bien par celui de gagner facilement de l'argent ? De nuit, les filles se prostituent alors, et les garçons trafiquent des armes et braquent, parfois aidés par ces filles. Pour mieux démontrer et cette hypocrisie, et la véritable face de ces monstres malgré eux, Cheik Fantamady Camara crée deux mondes : le monde du jour et celui de la nuit.

Dans la journée, les adolescents de Bè Kunko sont presque tous des anges, faisant semblant d'être soumis à l'autorité de Mémé, cette espèce de Grande Royale qui tente de veiller à l'éducation des jeunes et au bon ordre dans le camp. Pourtant, elle ignore tout de l'autre réalité de ce camp, celle qui prend corps dans la nuit, transformant les anges du jour en loups pour leurs semblables. À ce moment-là, les coups tordus établissent d'autres types de rapports entre humains. À ce niveau, l'on est en droit de s'interroger sur la complexification de ce type de rapports entre jeunes moulés à la violence d'un conflit armé et autres acteurs sociaux. Nos héros peuvent-ils s'en sortir ? Au travers de leur comportement, on peut en douter. La guerre et son corollaire immédiat, la violence, semblent avoir définitivement constitué ici des facteurs d'influence représentés comme un faisceau de déterminations faisant penser aux "déterminismes sociaux" si chers au sociologue Emile Durkheim.

Interprété par des acteurs bien dirigés et dont l'humour rend le film sympathique - "Tes dents sont solides ?" "Viens mettre ton doigt pour voir"… "Je viendrai par surprise". "Tu repartiras par surprise" -, Bè Kunko est un film tourné en partie de nuit. Le réalisateur en a profité pour jouer avec les éclairages, donnant ainsi du film une photographie de qualité suffisamment relevée. Ces séquences de nuit dont la dangerosité des situations interpelle quant aux conséquences de la guerre, sans être moralisatrices, méritent qu'on s'y arrête. Pour méditer. Les conflits entraînent une modification des rapports sociaux. Malheureusement, ceux-ci font partie des relations sociales. Est-ce la raison pour laquelle Camara boucle sa boucle sur une note pessimiste ? "Dieu ne viendra pas. Il est mort. Trop vieux". Pourtant, l'invocation du Sauveur de l'humanité au début du film pouvait laisser augurer d'une nouvelle conduite de la part de ces jeunes gens, d'un repentir, d'une foi retrouvée. Mais, que vaut la foi sans les actes ? Et l'image de ces quatre jeunes gens face à la mer n'est-elle pas significative à souhait ? Devant son immensité qui n'augure rien de bon, ne semblent-ils pas désemparés ? L'expression Bè Kunko qui se traduit par "nos problèmes", sous-entendu, "à tous", prend alors toute sa dimension, car les problèmes que le film soulève sont ceux encourus par tous les pays voisins de pays en guerre, et ayant la bonne volonté d'accueillir des réfugiés dans des camps qui deviennent très souvent des lieux potentiellement dangereux.

Jean-Marie MOLLO OLINGA,
Cameroun.

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