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Un pionnier s'en va
Décès de Sembène Ousmane
critique
rédigé par Mohammed Bakrim
publié le 12/06/2007

Avec la disparition de Sembène Ousmane, mort samedi dernier à Dakar à l'âge de 84 ans, le cinéma africain perd une de ses figures historiques les plus authentiques et les plus originales. Sembène Ousmane fut un cinéaste autodidacte, il avait ouvert la voie à l'expression de tout un continent cantonné pendant longtemps dans la seule consommation de images des autres ou d'images de lui-même montées et produites par l'autre.
Le parcours de Sembene Ousmane reproduit le chemin sinueux d'une quête : la quête d'émancipation et de réalisation de soi. Arrivé en Europe comme ouvrier immigré, il s'est mis à vivre la vie comme une expérience totale. Il découvrit alors que la réalité ne peut être transcendée que par sa représentation notamment par l'écriture ; l'écriture de la fiction notamment. Le chemin vers le cinéma était indiqué à travers la fascination pour des films issus de réalités différentes de la sienne mais traversées des mêmes souffrances, des mêmes rapports de forces : le néoréalisme, le cinéma soviétique… la rencontre du cinéma fut le prolongement d'un engagement. Militant syndicaliste et politique de la première heure, Sembène Ousmane, trouva et réalisa dans le cinéma le prolongement de la politique par d'autres moyens ; ceux de l'imaginaire. Il forgea dans ce sens un concept, celui du cinéma école du soir. La fonction didactique est restée une composante majeure de son cinéma. Il entama sa longue et riche carrière par un court métrage célèbre, Borom Sarret (1963), Prix de la première œuvre à Tours. Il donna naissance au cinéma d'Afrique noire. Jusqu'ici les premiers films "africains" parlaient de l'Afrique sur Seine ; il n'était pas évident de tourner sur le continent. Ce court métrage dessinait en filigrane tout le programme narratif de ce qui allait constituer le cinéma noir africain notamment par la mise en scène du rapport à l'espace. Le film raconte la journée d'un charretier avec ses déboires, victime d'un escroc…en fait, c'est la mise en image d'un sujet clivé, confronté à un espace dichotomique : l'espace adjuvant et l'espace opposant ; la traversée de l'espace est le signe d'une quête.
Le premier long métrage de Sembène, La Noire de… (1966) s'organise autour de cette dichotomie en la reprenant à l'échelle du pays : l'opposition fondatrice entre l'espace africain et l'espace européen. Dualité qui se révèle comme déchirure… Le Mandat deuxième long métrage en 1968, reprend la figure du sujet confronté à un espace hostile : l'arrivée du mandat ouvre devant le personnage principal un parcours d'obstacle. Sembène le décrit dans ses contradictions : maître chez lui, il est confronté à l'échec face à la nouvelle logique qui s'installe dans le pays…
Ces films instaurent Sembène Ousmane comme un grand cinéaste africain, le pionnier…Il confirmera cette position avec constance et souci de témoigner. Moolaadé, 2004, Prix du jury à Marrakech, un hommage à la femme africaine, son dernier long métrage est une somme esthétique et thématique. Il a valeur aujourd'hui de testament.

Par Mohammed Bakrim

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