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À bas l'injustice
Le Chaos, par Youssef Chahine et Khaled Youssef
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 16/12/2007

Le Lion du cinéma égyptien marque par son nouvel opus un retour inopiné à sa vocation de cinéaste engagé. Dans la même lignée que L'Autre et Le Destin, ce mélodrame politique, on ne peut plus actuel, se veut une dénonciation des travers du système gouvernemental arabe et en l'occurrence, celui de l'Égypte. La stigmatisation, assez franche, prend la forme d'une histoire au récit narratif ingénieusement ficelé. Le scénario déroule un schéma actantiel délibérément classique et représentatif de la structure mélodramatique. D'un côté le gentil, bel homme, et sa bien aimée, de l'autre le méchant qui cherche à empêcher leur union. D'un point de vue diégétique, la courbe narrative répond aux trois phases courantes : équilibre (apparent), déséquilibre puis retour à un équilibre (confirmé).

Le film s'ouvre, in media res, sur l'insurrection massive et revendicatrice de jeunes protestant contre l'absence de justice. Peu après, pour calmer ce feu de rébellion, la police finit par embarquer le petit groupe investigateur. L'esthétique chahinienne se fait reconnaître illico notamment par l'enchaînement d'une série de plans d'ensemble où au final, la mère de Nour, femme au foyer, réussit à esquiver la foule en ébullition. Les contours d'une vision manichéenne s'afferment au seuil des profondeurs infernales d'une prison/charnier. Au visage candide de Chérif (le procureur de la République qui n'hésite pas à libérer quelques jeunes contestataires ou à s'apitoyer sur la santé en dégradation d'un prisonnier), s'oppose la conduite despotique de Hatem, le corrompu policier qui, en gouvernant à sa guise, fait régner la terreur dans le quartier populaire de Choubra. Dans cette arène politique où triomphe la barbarie au détriment d'un civisme peu soutenu, où le gigantisme du mal cache les quelques petits soubresauts du bien, se tissent des histoires d'amour.
L'aspect dualiste du monde, en pointe depuis le début du film, s'estompe avec l'évolution du personnage de Hatem. Tels les personnages dédoublés de David Cronenberg, sous le masque de la force et de l'oppression, loge un être humain faible et sensible à l'amour. Cette thématique de l'amalgame, pour ainsi dire est traduite par l'alternance entre des scènes de torture orchestrées par la figure du bourreau et des déclarations d'amour désespérément réitérées à l'adresse de Nour. La scène clé qui nous livre Hatem sous son trait le plus humanisant, est à l'évidence le tête-à-tête tant attendu avec l'objet de son obsession amoureuse. Le jeu magistral de l'acteur confiant à Nour l'histoire éprouvante d'un passé sombre et d'une enfance triste et dur, sollicite l'empathie du spectateur. Aussi la complexité intérieure du protagoniste est-elle ici doublée de ses complexes. Cet aveu se concrétise aussitôt après. En réaction au refus catégorique de Nour, le policier redouté, se déchaîne sous des rugissements bestiaux sur ses prisonniers en les flagellant sans l'once de pitié. Les événements atteignent le climax avec l'enlèvement de son objet de désir et l'acte de viol qui s'ensuit. Un montage alterné avec les images de l'affolement de la mère de la victime (entourée de Chérif et de sa mère) accentue l'empathie avec la belle retenue par la bête dans un taudis abandonné sur les rives du Nil.
La chute est partagée entre deux mondes superposés. Les péripéties adviennent en premier lieu sous terre. Dans un paysage dantesque, le couple parvient à saisir le passeur du Nil, complice dans l'enlèvement de Nour. Au final, le suicide spectaculaire de Hatem en haut de l'escalier et sous les yeux de ses victimes est emblématique de la revanche du peuple mais surtout de la fin d'un règne dangereusement obscurantiste. À l'évidence, le film finit sur un happy end propre à l'esthétique du mélodrame, ce genre où la musique constitue un personnage autonome et au rôle éminemment indispensable. Il faut dire, que concevoir les films de Chahine sans l'élément musical, paraît impensable tant il remplit toute une palette de fonctions qui, aussi bien sert la narration que souligne les actions et sentiments des personnages.

Meriam Azizi

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