AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 009 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Rêve d'innocent, refuge de l'Afrique malade
I want to be a pilot, de Diego Quemada-Diez (Espagne)
critique
rédigé par Médard Gandonou
publié le 13/02/2008

Un enfant rêve. Le rêve d'un innocent avec toute la liberté et la naïveté qui le caractérise. Le petit Omondi veut être pilote. Il veut planer dans les airs loin de sa terre où sévissent misère, famine, guerre et divers maux.

C'est ce détour rêveur, que le réalisateur espagnol Diego Quemada-Diez empruntera pour renouer avec les écrans après son court métrage A table is a table réalisé en 2001. Cinq années après, dans ce court métrage I want to be a pilot, Diego Quemada-Diez sollicite 12 minutes durant, le rêve et la voix d'un enfant, d'un innocent pour reposer les maux d'un continent africain en décrépitude. En l'absence de reconnaissance sur le continent africain pour saluer les subtilités d'un film original par sa nature, ce court métrage a déjà pu décrocher une dizaine de prix, à travers les festivals de villes en Europe et aux États-Unis.

Une fiction qui se confond à un documentaire. Une fiction qui se superpose aisément à la réalité. Une fiction aux allures poétiques avec le titre I want to be a pilot en anaphore. Ainsi, le poète naïf ressassera à chaque minute son rêve : "je veux être un pilote". Le réalisateur a dû user de ce style littéraire d'insistance pour présenter la profondeur du rêve de l'enfant, l'intérêt et l'attachement que Omondi accorde à la concrétisation de son rêve.

L'avion n'apparaît-il pas dès lors comme un exutoire pour un enfant, pour ne pas dire une Afrique vouée à la misère, à la famine, aux guerres … mais conscient qu'ailleurs sur la même terre, ces différents maux sont des vues d'esprit ?

Rêve légitime quand on se retrouve dans les conditions de vie dans lesquelles le réalisateur a essayé de présenter l'enfance au Kenya en choisissant dans son casting un jeune acteur Omondi de son vrai nom Collins Ottieno qui a opéré à son âge une adaptation surprenante dans l'interprétation de son rôle de miséreux rêveur.

Le premier plan de ce court métrage expose Omondi dans une salle de classe. Image assez expressive de la volonté du petit Omondi de gagner le pari de l'instruction. Mais à quel prix ? C'est toujours dans la même salle de classe que le réalisateur a su puiser les prémices des péripéties qui enveloppent un tel pari sur le continent noir. Et cet effectif dans la salle de classe de ce petit enfant qui rêve de devenir pilote ? Et ce cadre de travail branlant et non sécurisé ? Quemada-Diez ne s'est pas servi dans sa fiction de ces images par pur hasard.

Mais pour le petit Omondi, là n'est pas encore l'obstacle à la réalisation de son rêve. Il faut qu'il survive d'abord sur la faim et la maladie. La vie quotidienne de l'enfance africaine est une épreuve de survie. Omondi confesse observer un jeûne involontaire depuis trois jours. "Mon dernier repas c'était le dimanche. Aujourd'hui c'est mercredi". Et à en croire les vues panoramiques du réalisateur sur cet être fragile et isolé sur des immondices des ghettos kényans, on ne doute point qu'avant d'honorer sa passion d'instruction, il faut bien qu'il lutte pour rompre son jeûne imposé.

Omondi vulnérable à la faim, à l'abri, à la maladie… sera aussi une proie facile au réalisateur pour porter aux dirigeants africains quelques messages forts qui, transmis d'une autre manière, pouvaient valoir à son réalisateur, la censure. C'est pourquoi on peut se demander si le réalisateur n'a pas abusé de ce détour bien trouvé en surchargeant l'enfant Omondi dans son rêve, de messages dont il n'a véritablement aucune idée de la portée? C'est du moins l'impression qu'on a quand on entend quelques motifs évoqués par l'enfant dans sa volonté de s'éloigner de sa terre. Le petit Omondi veut devenir pilote pour être loin de cette terre où les enfants sont objets des tests de médicaments occidentaux. Il veut être pilote pour planer loin de cette atmosphère de corruption généralisée de ses dirigeants… Mais que peut-il en savoir réellement à son âge ?

Néanmoins, Diego Quemada-Diez a réussi à travers l'innocence de l'enfance à focaliser toutes les attentions sur sa thématique, à rendre beaucoup de cœurs réceptifs à son message. Et il ne saurait mieux clôturer son film qu'avec ces dizaines, ces centaines, ces milliers, ces millions de mains tendues d'enfants qui remplissent l'écran et qui se bousculent. Ces mains continueront-elles à réclamer du pain de l'extérieur ou réclament-elles juste au nom de l'Afrique, le mieux-être ?

L'interrogation est entière et le public peut ne pas forcément partager la réponse du petit Omondi qui rêve devenir pilote pour s'envoler loin de ces maux. Une approche qui est sujette à beaucoup d'inquiétudes et qui sème de confusion : cet avion qui plane loin de la misère, de la faim, de la maladie, de l'empoisonnement… et tant convoité par Omondi ne fait-il pas penser à cet "occident" qui miroite aux jeunes africains le paradis ? Si c'est le cas, il vaut mieux que la lutte pour le salut de l'Afrique se mène sur "terre" et non dans "l'air".

Médard Gandonou
Journaliste au quotidien L'Evénement Précis
Bénin

I want to be a pilot
Diego Quemada-Diez
Kenya/Espagne/Mexique
2006,
12 minutes

Films liés
Artistes liés
Structures liées