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Le cinéma dans la cité
À propos de trois débats autour de Junun (Fadhel Jaibi, Tunisie)
critique
rédigé par Ikbal Zalila
publié le 27/02/2008

En sortant de la salle que reste-t-il d'un film ? Quelle est aujourd'hui l'utilité d'en débattre ? La cinéphilie est agonisante, les débats auraient fait long feu. La mode est à la consommation individuelle de " produits culturels", sans échange. Consommation frénétique qui exclut le partage d'émotions, d'idées, de sensations provoquées par un film. La mort d'une certaine manière de vivre l'expérience filmique est pour beaucoup de nos concitoyens une fatalité à laquelle ils ne peuvent que se résigner. Il fut un temps où le débat constituait la clé de voûte de notre relation au cinéma. Débats au cours desquels le cinéma n'était parfois que prétexte au déploiement d'une logomachie qui n'a pas toujours rendu service à l'art du film mais dont le principal mérite était de prolonger cette communion dans la solitude qui est au fondement du spectacle cinématographique. Le succès des débats organisés à Tunis autour de Junun cette semaine qui ont drainé trois à quatre cent citoyens prouve que le paysage n'est pas aussi dévasté qu'on ne le prétend.

La stature de Fadhel Jaibi est sûrement pour beaucoup dans l'importance de son auditoire. L' "impertinence" de son discours, sa liberté de ton, la cohérence de sa trajectoire séduisent un public sevré de la langue de bois officielle distillée par la télévision et ralliée par un certain cinéma tunisien de plus en plus tourné vers le divertissement ou la transgression factice. Mon propos n'est pas de faire le panégyrique de Jaibi mais d'essayer de mettre en lumière deux ou trois choses qui m'ont interpellé dans ces débats.

Junun pose problème en tant que film aussi bien pour le citoyen ordinaire que pour les inconditionnels de Fadhel et Jalila. L'emprise de la pièce de théâtre est telle qu'une frange non négligeable des spectateurs a du mal à s'en défaire et de voir dans Junun le film autre chose qu'une captation de la pièce. Quoiqu'inconsistant, cet argument est l'expression d'une certaine manière qu'a le public de se représenter un film, le naturalisme hollywoodien est érigé en norme et en label de garantie de la nature cinématographique des images qui défilent sur l'écran. Le statut de metteur en scène de théâtre de Fadhel Jaibi a obéré toute possibilité d'échange approfondi sur Junun en tant que film.

Mais il suffit que Jaibi réoriente la discussion sur les enjeux thématiques de son film pour que les interventions soient plus cohérentes. Les langues se délient comme par effet de contagion, la parole devient plus libre, mieux articulée. Le débat à la maison de la culture Ibn Khaldoun a duré presque trois heures, ceux de l'Africa autant ou plus. Il y a une demande de parole perceptible dans l'intensité des questionnements du public. Cette volonté de savoir même si parfois elle a du mal à se formuler est la preuve qu'une démarche artistique citoyenne interpelle, plus, qu'elle peut jouer lorsqu'elle est portée par l'artiste un rôle de catharsis. Les rencontres avec Jaibi aussi bien autour de ses pièces de théâtre que de ses films ont cette faculté à articuler la réflexion sur l'art à des enjeux de société. Ce passage de l'art à l'histoire se fait le plus naturellement du monde sans élitisme ni discours savant, parce qu'interpellant en nous notre humanité. Jusqu'au malentendu parfois.
À trop vouloir se focaliser sur le ou les discours du film on en oublie qu'il est découpé, transposition du réel. Évidences, incontestablement, vite oubliées dès que l'on commence à traquer la conformité du film par rapport au monde qu'il re-présente. La vérité au cinéma est affaire de croyance non d'apparences. Que Junun soit une représentation fidèle de la schizophrénie telle qu'elle est pratiquée par les psychiatres et cliniciens importe beaucoup moins que le fait Noun en tant que personnage soit crédible.C'est par ce biais qu'une réflexion sur les institutions et leurs ravages, sur la limite ténue entre la marge et la norme est possible.

Ikbel ZALILA

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