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Ce que tu peux nous manquer…
Djibril DIOP Mambéty
critique
rédigé par Abdallah Faye
publié le 01/08/2008

Dix ans, déjà, que tu n'es plus ! Mon Dieu, comme le temps passe vite, sans cependant jamais arriver à panser la plaie que ta disparition a, jusqu'ici, laissée béante dans nos cœurs encore meurtris. Notre seul réconfort de simples mortels c'est que, à chaque fois que tes amis et proches évoquent ton passage, fugace, sur terre, le chapelet de souvenirs qu'ils égrènent reste toujours aussi étonnant. Leurs pensées sont, toujours, remplies de réminiscences gaies et rafraîchissantes, à l'image ce qu'a été ta brève mais si riche existence sur cette Vallée de Larmes.

À écouter les uns et les autres, on se croit encore plongé dans la trame d'un film qui refuse de s'achever.
C'est comme si tu continues à hanter leur mémoire, depuis le jour où tu as dis à Madior Fall, dans Sud-Quotidien du 2 novembre 1996 : "Je vais vivre 37000 ans. J'ai tout le temps.. !". C'est vrai que ce temps, tu l'avais si bien apprivoisé et subrepticement emprisonné sous un pan de ton célèbre long boubou-fétiche qui flottait dans ton sillage au gré du souffle du vent du Plateau, que tu n'as rien vu venir.



Ce n'est qu'arrivé au Terminus, sans t'en rendre compte, que t'est revenue en mémoire l'histoire du condamné à mort que tu adorais raconter, que dis-je, conter à tes interlocuteurs privilégiés. Tu te souviens, c'est cet homme qui reçut un télégramme juste avant de passer à la guillotine et qui dit crânement au facteur : "Mettez-le dans le panier, je le lirai à tête reposée !".
Là, je t'imagine paresseusement affalé sous l'ombre enveloppante d'un arbre généreusement touffu, ton chef posé sur les genoux hospitaliers de ta grand-mère Mame Betty, en train d'écouter ses contes merveilleux qui ont bercé ton enfance, peuplée de nuits d'étoiles, de kassaks, langgbëré et autres raay-mbëlé. Tu as dû, à ton tour, lui en raconter de bien bonnes depuis que l'Eternité vous a réunis, en compagnie de ton idole de toujours qui t'a fait tant rêver tout éveillé, le Grand Yaadikone, cette sorte de Robin des Bois bien de chez nous dont les "hauts faits" ont durablement défrayé la chronique populaire. Tout comme lui, toi aussi, tu es venu, et tu es parti ! Beaucoup d'eau a coulé sous les ponts depuis ce 23 jullet 1998.

Ah, tu sais depuis que tu es parti, Dakar, ta ville que tu chérissais par-dessus tout, a beaucoup changé. Mais ton lieu de vie privilégié d'entre tous - entre les abords du Port, Jules Ferry, Carnot et Bayeux pour les nostalgiques de tout bord - garde toujours son charme désuet, ses personnages haut en couleur, ses saveurs et ses odeurs si particulières. Le béton a frénétiquement gagné du terrain, certes, mais ces indécrottables habitués prennent toujours un plaisir, chaque jour renouvelé, à arpenter ces ruelles d'un autre âge pour aller à la rencontre de la… Culture et de ses acteurs privilégiés. Tu sais que c'est un espace de brassage culturel à nul autre pareil.

Oh, ne t'inquiète pas : ce sont les mêmes qui, contre vents et marées, se retrouvent entre "initiés" pour faire et refaire le monde. Inlassablement et quoi qu'il leur en coûte. Des artistes, quoi ! Mais au sens très noble du terme, comme tu le devines. Et sur qui le temps et les vicissitudes de la vie n'ont aucune emprise. Tellement insaisissables depuis que tu leur a prêté tes "semelles de vent" avant de t'éclipser à l'entracte, pour te réfugier dans ces coulisses d'où l'appel d'aucun Brigadier ne peut te tirer désormais.

Non, tu sais bien que je ne te citerai pas des noms, puisque tu les connais tous. La seule chose que je puis te dire, c'est qu'ils se souviennent, chaque jour que Dieu fait (musulman, chrétien ou égyptien ?!), ils se font un devoir de te célébrer à chaque fois que le hasard - les accointances ? - les font se re-trouver ensemble. Et, à chaque fois qu'ils disent ton nom, ils ne parlent qu'en bien de toi, malgré les excès et exigences de toutes sortes que tu charriais dans ton sillage, avec cette rare élégance du Prince que tu n'as pas eu le temps de tourner.

Ah, une dernière chose à te conter, puisque je ne sais point raconter : l'autre soir, j'ai pris un taxi pour rentrer chez moi. Perdu dans mes rêveries - eh oui, t'en as pas le monopole ! -, je n'ai donné aucune indication au conducteur. Lorsqu'il a tourné à l'angle de ma rue, j'étais tout ébahi. Devinant mon étonnement il s'empressa de me répondre, tout sourire : "Je sais que tu as oublié, mais je t'ai déjà déposé ici. Avant, tu habitais à Liberté VI Extension, à côté de la Grande Mosquée. J'étais le taximan de Djibril Diop Mambéty !". Et là, je l'ai effectivement reconnu. Tu sais, c'est celui qui te promenait du matin au soir, au gré de tes pérégrinations dans le Dakar d'antan, avant de te déposer comme une fleur sur la plage de la Brazzerade d'où tu prenais ta pirogue… réglementaire pour regagner ton repaire de l'Ile de Ngor. Là-bas, bercé par le clapotis des vagues qui venaient s'échouer langoureusement sur ce bout de rocher tant convoité, tu t'extirpais du tumulte de la grande ville pour, enfin, t'adonner à ton "passe-temps" privilégié : te triturer les méninges et reposer ton imposante carcasse pour, le lendemain, repartir à la… reconquête de Dakar.

Dix ans déjà ! Ce que tu peux nous manquer, Djibril…

par Abdallah Faye

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