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Andrea Wenzek, déléguée générale du film francophone de Tübingen
"Les Africains ont tellement à raconter mais on ne leur donne pas cette possibilité"
critique
rédigé par Fortuné Bationo
publié le 19/03/2009
Fortuné Bationo
Fortuné Bationo
Andrea Wenzek
Andrea Wenzek
Ouaga saga, 2004
Ouaga saga, 2004
Dani Kouyaté
Dani Kouyaté
Moolaadé, 2004
Moolaadé, 2004
Sembène Ousmane
Sembène Ousmane
Bamako, 2006
Bamako, 2006
Abderrahmane Sissako
Abderrahmane Sissako
Andrea Wenzek
Andrea Wenzek
Das Team 2008 : Die Französischen Filmtage Tübingen
Das Team 2008 : Die Französischen Filmtage Tübingen
Andrea Wenzek
Andrea Wenzek

Andrea Wenzek est déléguée générale du Festival international du film francophone de Tübingen. Dans cet entretien, elle revient sur la 25ème édition de ce rendez-vous cinématographique (du 11 au 19 novembre), où la République démocratique du Congo était à l'honneur.

25 ans d'existence. Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?

Le festival a été lancé par un petit groupe de cinéphiles non professionnels ayant le désir de présenter des films, d'abord de la France mais ensuite, après quelques années, cela a commencé avec des cycles thématiques sur l'Afrique. Et cette petite initiative a grandi pour intéresser un large public composé de gens qui viennent de loin pour voir les films. Pour moi c'est quelque chose d'extraordinaire parce que normalement, c'est très difficile pour les festivals qui se sont spécialisés sur un groupe de films (dans notre cas : des films de la francophonie), c'est très difficile de survivre. Le français n'est pas une langue qui est parlée activement ici en Allemagne, c'est surtout l'anglais, cependant il y a un réel intérêt et cela grâce à Tübingen qui est une ville universitaire. Il y a beaucoup de jeunes qui sont curieux, qui s'intéressent aux films qu'on ne voit pas normalement dans les salles. C'est un très grave problème du cinéma français mais aussi d'Afrique, cette rareté de les voir sortir en salles. Nous leur offrons cette occasion.

Quels sont les différents critères pour la sélection des films africains ?

En prenant les années passées, c'était toujours très facile parce qu'il y a des coproductions internationales régulières. Cette année en revanche - parce que les conditions pour coproduire les films africains sont devenues un peu difficiles - on a pris la décision de faire un cycle thématique sur la République démocratique du Congo. Nous avons un groupe de trois personnes qui animent la section Afrique depuis 23 ans. C'est un groupe très fidèle. Ils ont fait les recherches sur la situation actuelle concernant la production de films au Congo.

Il y a beaucoup de programmateurs qui soulignent la difficulté d'avoir les films africains. Comment Tübingen s'y prend pour vaincre cet obstacle ?

Il n'y a pas mal de productions africaines, de coproductions françaises. Il y a les distributeurs mondiaux avec lesquels on peut avoir les copies. Ça ne pose pas de problème normalement. Mais pour contacter les petits producteurs par exemple, c'est clair qu'il faut avoir des contacts. Notre groupe y travaille depuis longtemps et s'occupe de tous ces contacts avec les producteurs et les réalisateurs africains. Actuellement il n'y a pas mal de petits festivals qui présentent aussi des films africains ; les organisateurs de ces festivals viennent souvent à Tübingen pour s'informer sur les nouveaux films africains. Mais comme cette année, il n'y avait presque rien de nouveau à présenter, on a opté pour le choix thématique.

Entretenez vous des partenariats avec des festivals africains ?

Oui, s'il y a des possibilités on le fera avec plaisir ; mais pour le moment pas encore.

Comment expliquez-vous le manque de visibilité des films africains malgré les efforts de certains festivals pour les faire connaître ?

Ici en Allemagne il y a un distributeur qui s'appelle Kairos qui a acheté des films africains au cours des années passées. Il s'agit de Ouaga Saga de Dani Kouyaté, de Moolaadé de Sembène Ousmane. Tous les films qu'on a présentés ces quatre dernières années, il y en a eu trois qui ont trouvé un distributeur. En Suisse, la situation est un peu différente, parce qu'il y a Trigon films. C'est un distributeur qui travaille énormément dans la distribution de films. En Allemagne, Il y a aussi EZEF. C'est un distributeur à Stuttgart qui est soutenu par l'église évangélique. Cette structure a aussi distribué de nombreux films africains au cours des années écoulées.

Comment percevez-vous l'évolution du cinéma africain ?

Moi j'ai remarqué que pendant les années 80 et 90, le niveau esthétique était différent de celui d'aujourd'hui. Aujourd'hui, c'est clair, les jeunes réalisateurs sont moins fixés sur les grands maîtres comme Ousmane Sembène ou Souleymane Cissé. Ils cherchent le scénario, le contenu et les idées pour un public africain. Et c'est moins pour satisfaire les critiques en Europe. Et moi je trouve cela très bien. Le problème est de savoir si le film africain est présenté dans les salles en Afrique ou s'il est diffusé à la télé. Même si on fait un film africain pour un public africain, y a-t-il la possibilité de le présenter ? Cela dépend bien entendu de chaque gouvernement, de chaque chaîne de télévision. Je sais que les vidéos de 30 minutes jouent un très grand rôle à la télé en Afrique de l'ouest, au Nigeria ou en Côte d'ivoire. On y est attaché aux séries courtes. Qu'en est-il des autres pays? Moi je ne sais pas. Je connais le Burkina où les films bénéficient du soutien actif du gouvernement. Dans les centres urbains, on peut voir les films. Dans les autres pays, c'est très difficile.

Ces dernières années, quel est le film africain qui vous a le plus impressionné et pourquoi ?

J'étais à la recherche d'un film qui a aussi trouvé un distributeur et c'était Bamako. Bamako est un très beau film. C'est un tribunal pour critiquer à la fois la société africaine et la globalisation. La manière de procéder du réalisateur renvoyait au théâtre mais aussi et s'inspirait d'une manière très africaine. Parce que très souvent, j'ai l'impression que dans le milieu des grands réalisateurs, on veut satisfaire la critique ou le distributeur européen or dans ce cas, c'était une pédagogie africaine. On voulait expliquer tous ces problèmes dans la société en collant à une démarche africaine.

Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d'initier un forum de discussions autour de la République démocratique du Congo ?

C'est évidemment à cause de la situation politique qui prévaut dans ce pays. Ici (ndlr : en Europe) nous sommes toujours confrontés aux images de refugiés, de femmes violées, de guerre civile, etc. Mais tout cela reste bien superficiel. J'ai été agréablement surprise de constater qu'il y a des réalisateurs qui font régulièrement des films documentaires sur la situation dans leur pays. Et pour moi, c'était très impressionnant. Pour nous, c'était quelque chose d'extraordinaire de recevoir quatre invités de la République démocratique du Congo. Les différents débats m'ont permis d'approfondir mon regard sur ce pays, de mieux le découvrir. J'étais focalisé sur l'Afrique de l'ouest. Je me disais qu'en raison de la situation politique, il devait être difficile d'y faire des films. Mais il y a une telle productivité ; je trouve cela très bien.

Malgré les efforts de certains pays, le cinéma africain n'a pas encore atteint le niveau où on l'attend. Des commentaires ?

L'essentiel, c'est que les gouvernements africains ne considèrent pas seulement le cinéma comme 7ème art mais que le cinéma participe réellement à la productivité même de leur pays. Pourquoi les africains sont si friands des séries qui viennent de l'Europe ou des Etats-Unis ou même de l'Asie ? Moi, j'ai vécu en Afrique. La société africaine est tellement narrative et productive. Mais tout dépend tellement des autres, des fonds des autres, soit de la francophonie, soit des Ong, soit des organisations. Il y a une négligence des gouvernements. Les Africains ont tellement à raconter mais on ne leur donne pas cette possibilité.

Pouvez-vous dresser les grandes dates de votre festival ?

Nous avons accueilli des grandes personnalités du cinéma africain comme Pierre Yaméogo, Ousmane Sembène, Souleymane Cissé, Ahmed Attia qui nous a beaucoup aidé à présenter des films du Maghreb ici. Il y a aussi le passage de Dani Kouyaté avec son film Ouaga Saga qui a obtenu ici le prix du public. C'était un grand succès, ce qui a décidé des producteurs allemands à l'acheter. On a fait des projections et tout le monde a adoré ce film qui, je le souligne, vient de la société africaine. Ce n'était pas qu'un film avec des conceptions artistiques, c'est un film populaire. Je pense que les Africains doivent faire beaucoup de films populaires pour atteindre leur public. Moi si je parle comme critique de cinéma, c'est autre chose. Les films populaires m'intéressent moins. Mais je souhaite que les réalisateurs investissent tous les genres. Le cinéma populaire, la comédie, le thriller, le mélodrame. Il faut s'ouvrir à tous les genres. Actuellement les films populaires son prisés et je trouve cela très bien parce que c'était une quantité un peu négligeable dans le passé. C'est bien que les Européens les voient, mais je voudrais surtout que les films africains soient aussi vus par des Africains.

Entretien réalisé à Tübingen
par Fortuné Bationo

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