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Décès du cinéaste sénégalais Samba Félix Ndiaye
L'impertinence d'un témoin pertinent
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 26/11/2009
Michel Amarger
Michel Amarger
Samba Félix NDIAYE, en 2007 à Ngor
Samba Félix NDIAYE, en 2007 à Ngor
Samba Félix avec Michel Amarger
Samba Félix avec Michel Amarger

Son regard attentif manque déjà. Sa parole incisive nous fait défaut. La disparition subite de Samba Félix Ndiaye, le 6 novembre 2009, à Dakar, des suites d'un neuro-paludisme violent, laisse un vide dans le cinéma sénégalais. Un vide qui affecte aussi la grande famille du documentaire. La curiosité a toujours poussé Samba Félix Ndiaye à débusquer des pratiques visibles, mais mal vues, ou occultées, pour en faire la matière de son oeuvre. Son désir de voir autrement l'a incité à partager des observations critiques, aiguisées par sa malice. La vivacité des échanges qu'il aimait susciter sur le cinéma, l'évolution du Sénégal, les valeurs africaines était relancée par une réflexion sur le sens des images qu'il défendait passionnément.

Cette passion s'est fourbie à Dakar, autour du Centre Culturel Français où Samba Félix Ndiaye s'anime dans les ciné-clubs. Il naît en 1945 et sa jeunesse épouse l'éclosion du cinéma sénégalais. Turbulent comme Djibril Diop Mambety, hâbleur comme Ben Diogaye Beye, il dévore les films d'ailleurs, se révolte contre l'autorité de Léopold Sédar Senghor qui fait la part trop belle à la culture française. Pourtant c'est à Paris que le rebelle obtient une maîtrise de cinéma et intègre l'institut Louis Lumière. Malgré une formation à l'ethnopsychiatrie et aux sciences économiques à Dakar, c'est en France où il réside 30 ans, qu'il jette la base de son cinéma via sa société de production, Almadies Films.

D'emblée, Samba Félix Ndiaye puise sa verve dans les réalités du Sénégal dont il fixe les rites et les évolutions. Il approfondit son inclination pour le réel en fréquentant Jean Rouch. Samba Félix Ndiaye aime aussi discuter, construire des passerelles entre diverses visions du cinéma. Sa production s‘élabore de France pour observer avec un recul singulier les réalités sénégalaises. Brièvement tenté par la fiction à ses débuts, il devient l'un des premiers cinéastes africains à se consacrer exclusivement au documentaire à partir de Perantal, 1975, court-métrage sur les massages prodigués aux nouveaux nés. Il mesure les changements de la condition des pêcheurs avec Geti tey - La pêche aujourd'hui, 1978. Puis il s'illustre avec Trésor des poubelles, 1989, série de cinq films courts sur la récupération des déchets reconvertis en objets usuels. Cette attention prophétique à l'environnement est remarquable dans Diplomates à la tomate ou Les Malles. Et plusieurs éléments de la série remportent des prix.
Le réalisateur examine l'artisanat avec Amadou Diallo, un peintre sous verre, 1991, et il se lance dans le long-métrage. Dakar Bamako, 1992, évoque l'histoire du train mythique. Ngor, l'esprit des lieux, 1995, célèbre la résistance à l'urbanisme galopant, exercée par les Lébous qui peuplent l'extrémité de la presqu'île sénégalaise. Samba Félix Ndiaye capte les transformations du pays qui laminent les valeurs ancestrales. Sa caméra est patiente, apte à saisir les cènes sans brusquer les sujets. Le montage longuement élaboré, organise le discours de l'auteur et s'articule autour de lui. Samba Félix Ndiaye prend le temps et un recul certain sur la situation de son pays. Il tente de s'émanciper des contraintes en tournant en 16 mm puis prend le tournant de la vidéo sans perdre sa verve.

Autour des années 2000, son rapport à l'Afrique questionne le cinéaste. Il le questionne à son tour dans Rwanda pour mémoire, 2003, évoquant le génocide subi par le pays. Il en relève les traces pour en suggérer l'écho, indigné que ses confrères n'aient pas exploré cette tragédie africaine. Avec la maturité, l'appel des racines se fait pressant. La réévaluation des orientations de Senghor qui a lancé le Sénégal dans la modernité après l'indépendance, motive Lettre à Senghor, 1998. Le ton devient plus personnel. Le commentaire à la première personne est prolongé par Questions à la terre natale, 2008. Les films prennent la forme d'essais plus que de documentaires. La poésie remonte en sourdine. L'ombre de Senghor plane. Après Naatal, 2001, le temps est venu de mesurer le passage du temps, de transmettre autrement.

Le mouvement de retour vers le Sénégal prend corps quand Samba Félix Ndiaye accepte de prendre des responsabilités dans l'organisation du Média Centre de Dakar. Il devient pédagogue et surtout encourage les nouveaux talents. Il supervise la confection de documentaires, motive les jeunes cinéastes comme s'il passait le relais à la nouvelle génération. La nécessité de se fixer là pour réchauffer son inspiration à l'élan de la jeunesse qui l'entoure, s'impose. Les pistes de travail se multiplient. La mort subite qui frappe le réalisateur laisse ses proches dans un silence hébété. Son espièglerie, son désir d'en découdre pour interpeller le cinéma en interpellant l'autre sont consumés. Après sa disparition, un morceau de l'arbre à palabres a brûlé. Mais ses films nous éclairent.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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