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"L'Aventure ambiguë" de l'art conceptuel
analyse
rédigé par
publié le 27/04/2006

Quand les goûts et les modes de création évoluent très vite, dans un émiettement qui prend de vitesse les éclectismes les plus laxistes, la définition même de l'art a tendance à perdre de son évidence.

Transposer le débat politique et social dans l'art
Ces penseurs, concepteurs ou artistes installateurs en général, ont exprimé à travers divers supports les aspirations fondamentales qui ont toujours inspiré ou accompagné l'image que les Hommes se font d'un monde meilleur. Ces aspirations sont relatives au bien-être, à la sécurité, à la justice sociale. Par son pouvoir intellectuel, l'installation contribuerait ainsi à l'émergence et au triomphe des causes justes. Incrustation réaliste de figures ou d'événements historiques par quoi s'opèrent des changements politiques et sociaux, elle a la possibilité d'exalter des repères réels, relais objectifs par lesquels les forces du changement prennent conscience d'elles-mêmes. Le traitement formel appliqué à ces photos, images, coupures de presse et textes ajoute à cette note d'objectivité une charge encore plus forte.
Dans son installation " Weernadé " (divagation, épanchement), l'artiste sénégalais Cheikhou Bâ parcourt un monde physique et métaphysique à travers toutes ses formes de création. Entre cet espace ouvert de l'installation et celui, clos, de la feuille de papier, Cheiky, comme l'indique sa signature, se transforme en metteur en scène de nos " âmes préoccupées ". À travers ses dessins de personnages anthropomorphes coincés dans des cadres noirs qui se déroulent comme des négatifs de films, ses corps sculptés, entassés, qui rappellent le drame du " Joola " (ce bateau sénégalais qui a sombré le 26 septembre 2002 au large des côtes gambiennes, faisant près de deux mille morts), il tend à la société le miroir de ses maux. Le courant conceptuel sénégalais ne s'arrête pas à l'œuvre de ce jeune artiste. L'installation de Soly Cissé, présentée dans le cadre de l'exposition Africa Remix à Paris et retraçant l'itinéraire d'un jeune soldat au front, rappelle les conflits qui existent de par le monde, comme pour dire : " Arrêtez de nous faire souffrir ! ". Dans " Mbënd Mi " (inondation) Auro Nalla Ndiaye, dans un savant jeu de démultiplication de figures sculptées, décline des corps aux caractéristiques semblables, tous différents les uns des autres, mais qui partagent une seule et même préoccupation : survivre !
Sur toiles installées, sur vidéo ou à travers des sculptures théâtralisées, l'écho du monde envahit totalement " l'œuvre-vie " de ces artistes installateurs sénégalais. Loin de faire du suivisme comme le pensent certains spécialistes de l'art contemporain, les artistes africains pour qui les moyens et supports esthétiques traditionnels ne suffisaient plus pour exprimer de façon adéquate la complexité de la nouvelle réalité africaine, ont trouvé dans l'installation le support idéal leur permettant de transposer le débat politique et social dans l'art. Tant mieux s'ils parviennent à chausser avec audace et sans complexe ce " grand soulier " appelé " art conceptuel " qui leur va si bien et qui leur permet ainsi de faire leur entrée dans le marché international de l'art. Pour une fois, l'artiste africain n'a pas besoin d'avoir une fenêtre en Afrique pour exister en Occident. Il n'est, en effet, recherché dans son œuvre aucun aspect de cette " authenticité " qui reste à définir et qui fait " Afrique " comme ont dit. Tant mieux si, loin d'un quelconque jardin exotique, le créateur africain éclaire notre chemin de son génie et nous entraîne grâce à la force de son imagination et de sa capacité d'initiative. Et tant mieux si au-dessus des intérêts mercantiles, l'installation permet aux artistes africains d'appartenir au village global sans cesser d'être des membres de leur village local.
Loin de nous l'idée de sous estimer les difficultés de réception de l'installation et celles qui sont liées à la logistique qu'elle implique pour un collectionneur d'art et qui fait qu'elle est réservée aux collections des Musées. Enfin le coût de ces œuvres empêche bon nombre de collectionneurs privés de s 'en porter acquéreurs. Mais ces difficultés n'enlèvent rien à la force conceptuelle de cette modalité d'expression visuelle. Au contraire, elle porte en elle un potentiel d'expression et de communication avec le plus large public, à condition que ce dernier soit formé ou informé des nouveaux paradigmes de l'art. Et plus que le débat biaisé qui est posé, c'est là où réside le véritable enjeu du développement et de la réception des arts visuels en Afrique.

Youma Fall*

* Membre du staff de la Biennale de Dakar

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